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Quand le régime Assad instrumentalise le massacre de Daraya

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Al Dunia rentransmet les images du massacre de Daraya

« Les mots me manquent pour décrire ce que j’ai vu […] mais c’est ce en quoi ils croient », lance Micheline Azaz, reporter pour Al Dunia, la seule chaîne de télévision privée du pays, possédée en majorité par un cousin proche du Président Bachar al-Assad.  Derrière elle, les images macabres de son reportage sur le massacre de Daraya – dû aux bombardements de l’armée du 21 au 25 août – se succèdent sur un écran. La première d’entre elles est un vieil homme, affalé sur le siège du conducteur d’une camionnette de livraison, sortie de la route. La vitre explosée par un tir d’arme à feu. La caméra fait la mise au point sur le sang qui ruisselle encore sur la vitre. Micheline Azaz l’affirme : ce sont des habitants qui « ont commis des actes criminels » et ce sont encore d’autres habitants qui ont « été tués au nom de la liberté ». C’est du moins l’information transmise par la chaîne. Des « terroristes » et des « mercenaires », responsables du pire massacre des 17 derniers moisEntre 300 et 600 personnes, la plupart des civils, tués en quatre jours d’assaut sur Daraya, un bastion de l’opposition situé à huit kilomètres au sud-ouest de Damas.

Le bastion rebelle était encerclé par les militaires depuis le 16 août

Mais pour les survivants, interrogés par les journalistes de notre partenaire de GlobalPost, ces tas de cadavres, réduits à l’état de formes inhumaines, brûlés jusqu’à être méconnaissables, étalés dans les rues et les habitations, ne sont pas le fait de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Ils l’affirment : ces gens ont été tués par les forces de Maher al-Assad, le frère du Président. Abu Taha, un Syrien de 40 ans, a fui la ville avec sa famille. « Je sais que beaucoup de gens pacifiques, dont des médecins et des enseignants, ont été tués ces derniers jours ». Pour lui, l’objectif du pouvoir est affiché « Le régime Assad voulait tuer tous les sunnites de Daraya ». Selon le quadragénaire, la ville de 250 000 habitants, à majorité sunnite, était encerclée par les forces militaires depuis le 16 août déjà. Les habitants étaient privés de courant depuis le 18. Une opération préparée ? Le 21 août, trois jours après que la ville a été coupée du réseau électrique, la quatrième division des forces de Maher al-Assad, basée sur le Mont Quasioun, a procédé à une première série de bombardements sur les habitations, les fermes, les magasins… de Daraya. Durant cinq jours le pilonnage s’est poursuivi, tuant – selon le Conseil National Syrien – au moins 120 personnes. Les survivants n’auraient pas été secourus selon les rebelles.

« La seule chose que nous avons vu de l’armée c’est qu’ils sont bons »

Les images du reportage continuent de défiler. On y voit Micheline Azaz, la reporter de Al Dunia, poursuivre son chemin parmi les décombres. Elle se dirige vers une femme âgée, qui a apparemment perdu l’usage de ses jambes dans l’attaque. « Voilà une survivante », s’exclame-t-elle devant la caméra, désignant la femme, prostrée sur le sol, entourée de cadavres et surveillée par les soldats. Les mains manucurées de la journaliste contrastent avec celles, tâchées de sang, de la concernée. Interrogée, la femme affirme ne se souvenir de rien « Je ne sais pas où sont mes enfants […] Je ne me souviens de rien à cause de ma blessure ». La blessée est chargée sur un brancard par les militaires alors que la journaliste s’éloigne. Elle continue son travail et se dirige vers son prochain témoin, une femme voilée, réfugiée à l’arrière d’une camionnette. La reporter commence son interrogatoire : « Les gens tentent aujourd’hui de porter atteinte à l’image de l’Armée Syrienne, mais vous étiez ici et avez vu ce qui s’est passé. Racontez-nous ». La femme semble encore terrifiée, mais déclare : « La seule chose que nous avons vu de l’armée c’est qu’ils sont bons ».

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Les rebelles voient une punition du régime

Ce massacre sonne comme une punition du régime aux oreilles de nombre de rebelles. Depuis les premiers mois du soulèvementDaraya défie Assad par des manifestations géantes. Réprimée brutalement par le régime, la communauté de Daraya a pris les armes pour se protéger et, plus tard, pour contre-attaquer. Ces deux derniers mois, le poste de police de la ville et le service d’information du régime ont été abandonnés. La ville, située à proximité de l’aéroport militaire de Mezze depuis lequel l’armée fait décoller un nombre croissant de bombardiers a destination des zones occupées par les forces de l’opposition, est rapidement devenue un bastion des rebelles abritant près de 3000 combattants des forces syriennes libresLes rebelles de Daraya disent avoir attaqué à plusieurs reprises l’aéroport de Mezze ces derniers mois, mais, équipés de mortiers et de lance-grenades, ils n’ont pu que le fermer pour quelques heures et n’ont détruit aucun avion. Les forces rebelles de Daraya ont par ailleurs déclarées avoir récemment tués 30 membres de la 4e division de Maher al-Assad lors de l’attaque d’un avant-poste militaire.

La fuite des rebelles vendredi a laissé les civils sans défenses

Omar, un jeune combattant des Forces Syriennes Libres à Daraya nous déclarait ce vendredi, quatre jours après le début des bombardements : « Nous avons assez de combattants, mais nous avons besoin de munitions et d’armes. Nous pouvons faire face à des tanks avec des lance-grenades, mais comment pourrions-nous combattre des avions de combat ? […] Nous ne tiendrons pas Daraya très longtemps. Nous allons nous retirer de la ville pour sauver les civils ». Mais, loin de sauver les civils, la retraite des rebelles ce samedi les a, au contraire, laissés sans défenses face à l’assaut des forces du régime.  « Nous avons trouvé plus de 100 corps dans la mosquée de Abu Suleiman Derane et plus de 200 autres dans les maisons et les rues. Nous avons été contraints de les enterrer dans une fosse commune car le cimetière de la ville, lui, est déjà plein […] le régime a tué des familles entières à Daraya pour nous punir », explique Abu Yahya, un commerçant.

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Des actes qui alimentent la haine du régime

Un journaliste avait décrit Daraya comme une ville de « fantômes et de cadavres » après avoir visité la ville ce dimanche. Des dizaines de corps jonchent les rues de la ville. Des familles entières ont été exécutées d’une balle dans la tête ou dans la poitrineMohamed, un homme de 35 ans, dit avoir perdu neuf de ses cousins dans le massacre. Abattus ou poignardés chez eux. Parmi eux, Issam Qafaa, 26 ans, Wissam Qafaa, 24 ans, qui devaient tout deux se marier ce vendredi. Une situation que Mohamed refuse d’accepter. « Je tuerai chaque homme du régime sur mon chemin. Je continuerai à tuer, ce même si je n’ai rien à manger » affirme-t-il, enragé, le téléphone à la main pour annoncer la nouvelle au reste de sa famille. « Ils étaient très calmes, ils n’allaient même pas aux manifestations anti-Assad ».

Des témoignages instrumentalisés par le régime

En comparaison avec Mohamed, les deux enfants interviewés par la reporter d’Al Dunia, semblent très silencieux. « Ici vous pouvez voir des enfants encore vivants avec leur mère morte », annonce Micheline Azaz devant la caméra, capturant en image ce qu’elle appelle « la tempête de destruction qui a suivi l’entrée des terroristes dans la ville ». Elle interroge la fillette : « Qui est derrière toi ? ». « Ma mère », répond l’enfant. « Sais-tu qui lui a fait ça ? » continue mécaniquement la journaliste, flanquée de deux soldats. Les yeux de la petite fille trahissent sa détresse. Elle répond dans un chuchotement. « Non ».

Globalpost / Adaptation Stéphan Harraudeau pour JOLPress

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