Site icon La Revue Internationale

Retour sur le jour où Jacques Chirac a dit «non» à la guerre en Irak

[image:1,l]

Jeune conseiller d’État plutôt centriste, Philippe Bas entre à l’Élysée comme conseiller aux Affaires sociales du président Chirac. Il y restera huit ans, et deviendra secrétaire général de l’Élysée – pas le pire point de vue pour observer à l’oeuvre le grand fauve corrézien. Huit ans de travail en commun, de proximité quotidienne, de dévouement et même d’affection.

Avec Philippe Bas, le lecteur pénètre au coeur même de l’État, dans les coulisses et les couloirs de la présidence de la République. Nous assistons aux réunions, participons aux déplacements présidentiels, nous asseyons dans le bureau du président. Rouage essentiel de la machine France, Philippe Bas dessine d’un coup de crayon avisé les portraits des plus hauts responsables : Dominique de Villepin, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Louis Borloo. Il peint surtout le président Chirac dans son humanité. En 2007, Philippe Bas a quitté l’Élysée. En franchissant la Seine, il a quitté à regret la vie quotidienne avec le Président. Il la restitue dans ces pages avec pudeur, mais non sans ironie.

Extraits de « Avec Chirac » de Philippe Bas

La guerre en Irak. Ce fut la plus forte confrontation diplomatique avec les États-Unis depuis la décision du général de Gaulle de sortir de l’Otan en 1966. Seul au départ, Jacques Chirac a assumé le risque d’une position de fermeté inflexible contre l’intervention américaine. Ses arguments étaient simples et puissants. L’Irak de Saddam Hussein n’était pas un foyer de terrorisme international et ne disposait d’aucune arme de destruction massive.

L’intervention américaine allait rendre le monde plus dangereux. Le terrorisme se nourrit du chaos. Le fanatisme religieux s’exalte dans le rejet de l’impérialisme et du matérialisme. Les peuples musulmans font toujours bloc contre l’Occident quand un pays islamique est frappé. L’élimination d’une dictature ne suffit pas à faire naître une démocratie, surtout dans un pays en guerre contre lui-même, aux prises avec des forces sécessionnistes armées, divisé par des querelles religieuses inextinguibles.

Aujourd’hui, on a l’impression que la France a fait front dans une véritable unanimité. C’est vrai pour le peuple français, tout entier rassemblé derrière son Président. Cela l’est beaucoup moins s’agissant des élites. Jacques Chirac s’est en réalité trouvé très isolé quand l’épreuve de force annoncée fut devenue inévitable. Les diplomates dans leur ensemble, y compris parmi ses propres collaborateurs, tremblaient à l’idée que la France s’isole.

L’état-major, toujours soucieux de préserver l’alliance américaine, n’était guère plus allant. La menace américaine de mesures de rétorsion était prise très au sérieux par les milieux économiques. Le baron Seillière, président du Medef, n’hésita pas à se prononcer publiquement contre les positions françaises avant le déclenchement du conflit. Des patrons du Cac 40 tiraient la sonnette d’alarme à longueur de journée, craignant de perdre des marchés importants. Ils jugeaient aventureux les choix présidentiels. Il fallait s’aligner, sous peine de perdre de nombreux emplois.

Des ministres puissants, parmi lesquels Nicolas Sarkozy, des parlementaires influents aussi, ne faisaient pas mystère de leur opposition ou de leurs craintes, publiquement ou dans des cercles suffisamment larges pour que leurs propos fussent rapportés. La morgue des donneurs de leçons contre « Chirac l’irresponsable » frisait parfois la condescendance. La veulerie du parti atlantiste était de nouveau à l’œuvre, sous couvert de réalisme. Personne, ou presque, ne serait allé jusqu’à dire que les Américains avaient raison, mais la nomenklatura française soutenait George W. Bush parce que c’était l’Amérique, parce que nous étions la France, et parce que la France doit toujours rester unie à l’Amérique.

Alors, j’ai vu de nouveau la puissance de conviction de Jacques Chirac en action. Le Président n’a peur de rien ni de personne. À cette époque, il n’a plus de compte à rendre qu’à l’Histoire, et même l’Histoire a peu d’importance pour lui : il n’est pas de Gaulle, il le sait et ne s’autorise guère d’illusions sur lui-même, gardant toujours une étrange et rare humilité personnelle, une humilité peut-être excessive. Il est libre et responsable, totalement libre, totalement responsable. Il fait tout simplement, sincèrement, ce qu’il croit juste. Il accomplit son devoir et, quand l’essentiel est en jeu, il y met de la passion. Cette passion habitera aussi Dominique de Villepin lors du magnifique discours qu’il prononcera au Conseil de sécurité des Nations unies.

Quitter la version mobile