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Tirer des leçons de la guerre de Bosnie pour agir en Syrie

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La ville est assiégée. Les tirs de mortier réduisent les immeubles en poussière, tandis que, chaque jour, des soldats s’échangent des balles et se disputent des portions de territoire. Des civils se terrent dans ce qu’il reste des abris, sans eau ni électricité. Des familles doivent défier les tirs de sniper pour trouver de quoi manger. Quant à aller voir ses voisins ou se rendre au travail, cela nécessite de passer les postes de contrôles et d’éviter les milices errantes.

Cette situation de chaos, c’est celle que connaît aujourd’hui la Syrie. C’est également celle qu’a connue Sarajevo en 1992.

Les États-Unis ne savent plus comment agir…

J’ai été témoin de ce conflit en Europe de l’Est alors que j’étais ambassadrice en Autriche, non loin de la Bosnie.

Des populations qui se déchirent, c’est du déjà-vu à Washington, où les responsables politiques sont pris dans un débat vieux de vingt ans. Le spectre de l’instabilité politique régionale et la peur de l’islam radical ne sont pas suffisants pour provoquer une intervention.

Les États-Unis doivent-ils désormais financer le principal groupe d’opposition syrien ? Envoyer des soldats sur place ? Adopter de nouvelles sanctions ? Imposer un embargo international sur les armes ? Équiper les rebelles clandestinement ?

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Bien que l’opposition connaisse un certain regain de dynamisme, personne ne semble croire que la solution viendra des négociations. Pourtant, aucun des deux camps ne semble prendre l’avantage militaire. L’impasse. Et si les combats continuent avec la même violence qu’en Bosnie, où 2,5 % de la population avaient été tués, 530 000 Syriens mourront. Bien sûr, la Syrie n’est pas la Bosnie ; mais seuls les fous refusent de tirer une leçon des erreurs du passé. Comment éviter de rendre cet enfer plus horrible encore ?

Remettre en question ses préjugés sur le conflit syrien

La première leçon à tirer du conflit bosniaque est d’examiner les hypothèses de base. En 1995, l’ancien secrétaire d’État, Lawrence Eaglegurger, disait : « Dans cette partie du monde, cela fait un certain temps qu’ils s’entretuent joyeusement. »

C’est ce genre de propos désinvoltes qui justifiait la réticence des Américains à intervenir dans des rivalités ethniques « existant depuis toujours. »

La réalité était plus compliquée. De fait, toutes les communautés bosniaques – Serbes, Croates, Bosniaques (Musulmans), juifs – se mélangeaient, au point que tous s’identifiaient « Yougoslaves. » Cela représentait plus qu’un simple mot.

Les tensions entre ces différents groupes ont été un résultat de la guerre, et non une cause. Le conflit, lui, a été déclenché par les difficultés économiques et l’opportunisme politique. Comprendre ces causes profondes aurait provoqué une réponse mieux adaptée et aurait ébranlé les raisons qui nous poussaient à ne pas intervenir.

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À propos de la Syrie, il y a un biais équivalent. Au sein de la communauté internationale, beaucoup sont convaincus que le Conseil National Syrien (CNS), créé il y a un an, est avant tout constitué d’expatriés qui n’ont que très peu de contacts avec les « vrais » Syriens. Pourtant, depuis le début de la révolution, Dima Moussa, membre du CNS, discute quotidiennement avec des activistes présents sur le terrain via Skype. Ainsi, ils sont tenus informés de ce qui se dit dans les médias et peuvent prendre contact avec des responsables américains.

Il se dit également que les révolutionnaires syriens sont complètement désorganisés. Mais dans de nombreuses zones contrôlées par les rebelles, des conseils locaux se sont constitués afin de fournir les services essentiels à la population – eau, assainissement, services publics.

Nous n’aiderons pas Dima ni ces conseils locaux si l’idée que l’on se fait de la situation reste fausse.

Des prises de paroles nombreuses, mais souvent oubliées…

La deuxième leçon que l’on peut tirer du conflit bosniaque est qu’il est primordial de savoir d’où vient l’information. Les services de renseignement sont constamment éparpillés, surtout dans des zones de conflit. Pourtant, lorsque j’étais diplomate, j’ai bien vu comment l’information était recueillie uniquement auprès de ceux qui criaient le plus fort, ou que nous pouvions rencontrer sans trop de risque.

Nous avons alors gobé la propagande du président serbe Slobodan Milosevic, c’est-à-dire que la guerre était un conflit ethnique, qui prenait ses racines dans une haine historique. Parmi toutes les voix qui s’exprimaient, nous n’avons pas écouté celles des femmes qui avaient créé plus de quarante groupes multi-ethniques à travers le pays. Dans nos discours de paix officiels nous ne parlions que de ceux qui tenaient des armes. Pourtant, les femmes auraient certainement été une force plus modératrice que les soldats si nous les avions écoutées.

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Que nous diraient les femmes syriennes si nous leur posions la question ? Un rapport de l’Institut pour la sécurité inclusive de l’ONU cite une femme condamnée à onze ans de prison par le régime de Bachar el-Assad à cause des activités politiques de son mari : « Je ne souhaite pas me venger. » Comme beaucoup d’autres femmes, elle est davantage préoccupée par la reconstruction des infrastructures, la santé, l’éducation, et la réconciliation.

Au moment où l’on parle d’une victoire possible des rebelles, les États-Unis se doivent de soutenir ces femmes avant-gardistes aussi bien que les jeunes activistes qui initièrent les manifestations non-violentes sous le slogan « Une Syrie unie ! » Il faut ajouter à ces groupes des minorités comme les Kurdes ou les Alaouites, groupe ethnique et religieux dont fait partie Bachar el-Assad lui-même. Des communautés désireuses de voir se mettre en place de vraies réformes, mais craignent par la suite les conséquences qu’elles auraient une fois une autre majorité au pouvoir. Prêter attention à ces voix n’est pas affaire de politesse : c’est une nécessité.

Les États-Unis ne doivent plus craindre de prendre des risques

Voici enfin la troisième leçon à retenir de la Bosnie : contrairement à une expérience scientifique, aucun groupe de contrôle ne peut mesurer notre intervention. Même après avoir écarté de fausses hypothèses ou obtenu les renseignements les plus précis qui soient, nous ne serions jamais certains d’avoir choisi la meilleure tactique ou d’avoir obtenu les meilleurs résultats. Mais la politique étrangère ne peut être contrecarrée par d’interminables « Et si ? ».

Comme le président Clinton l’avait été en Bosnie, l’administration Obama est désormais porteuse d’une réelle légitimité morale, stratégique, budgétaire et stratégique. Décider de ne pas se lancer dans une intervention armée n’est pas la même chose que de se soustraire à son « devoir de protection ». Si nous n’engageons pas d’action militaire, ce doit être parce que nous pensons qu’une alternative pourrait être plus efficace.

En plus d’avoir fourni pour près de 200 millions de dollars d’aide humanitaire, la secrétaire d’État Hillary Clinton a demandé à son équipe de réfléchir à un soutien « non-létal » de l’opposition locale, notamment sous forme d’envoi de moyens de communication et de formations des locaux, afin que les activistes puissent organiser des actions non-violentes. Et lorsqu’on lui demande pourquoi elle dépense tant de capitaux financiers et politiques dans une campagne diplomatique, elle affirme : « Je préfère essayer et me tromper plutôt que de ne rien faire. »

Se lancer dans des actions risquées est terrifiant mais juste. L’inaction, elle, est lâche est injuste.

GlobalPost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press

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