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Le conflit syrien attise les tensions communautaires au Liban

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Il y a quelques semaines, lorsque le gouvernement syrien a renvoyé les corps mutilés de plusieurs combattants libanais qui avaient traversé la frontière pour combattre avec les rebelles, un visage connu était là pour les accueillir.

Ahmad Assir, le cheikh islamiste dont la popularité monte en flèche

Ce n’était pas un membre éminent du gouvernement qui accueillait avec joie les « martyrs », comme on aurait pu s’y attendre. La ligne de conduite officielle de Beyrouth est encore celle de la « non-association » avec le conflit syrien.

Il s’agissait en fait d’un chef musulman ultra-conservateur salafiste, passé de prédicateur obscur à personnalité connue en moins de deux ans.

La popularité de Cheikh Ahmad Assir monte en flèche et menace maintenant de pousser vers l’extrémisme une partie de la population sunnite du Liban ordinairement modérée, et de porter à ébullition les tensions sectaires que le pays couve depuis longtemps.

Ahmad Assir est aujourd’hui le plus visible des salafistes du Liban – une branche ultra-orthodoxe de l’islam sunnite. Une visibilité encouragée par la guerre en Syrie voisine, qui a dégénéré en une lutte principalement confessionnelle entre sunnites et chiites.

Pour Assir, la Syrie et le Hezbollah sont responsables des humiliations subies par les sunnites

Le principal message du cheikh fait écho à celui d’une grande partie de la société, et s’il est encore considéré comme un outsider excentrique par beaucoup, il attire de plus en plus d’adeptes traditionnels.

Le message d’Assir est clair : les sunnites ont subi des humiliations – à la fois par la Syrie et le Hezbollah, groupe politique et milice chiite basée dans le sud du Liban – depuis trop longtemps, et les dirigeants élus du Liban sont inutiles.

Le bain de sang à Saïda en novembre dernier laisse présager le pire

Un récent affrontement à Saïda, dans la ville natale du cheikh, située sur la côte sud du Liban, a montré que ses partisans étaient prêts à affronter le Hezbollah à un niveau de violence encore jamais vu auparavant.

Les habitants de Saïda ont été choqués en novembre dernier quand leur ville d’habitude plutôt calme s’est soudainement transformée en bain de sang sectaire. Cette ombre est venue obscurcir un tableau déjà sombre, et laisse présager le pire au Moyen-Orient.

Un conflit armé entre les hommes du cheikh à Saïda et les militants du Hezbollah a provoqué la mort de trois personnes. Deux des plus proches gardes du corps d’Assir ont été tués. Le commandant local du Hezbollah et son garde du corps ont été blessés. Et un jeune égyptien de quatorze ans a été tué dans l’échange de tirs.

Le conflit syrien porte à ébullition des tensions sectaires déjà existantes

Les tensions confessionnelles au Liban étaient déjà importantes avant le conflit syrien, et des affrontements armés éclataient occasionnellement dans les villes de Tripoli et dans la région de Beyrouth. Le Hezbollah a en effet mis de côté les politiciens sunnites et leurs partisans en 2008, consolidant le pouvoir du gouvernement parmi ses alliés.

Mais le conflit syrien, qui oppose principalement les sunnites aux alaouites – une branche de l’islam chiite à laquelle appartient le président syrien Bachar al-Assad – a crevé encore plus l’abcès au Liban. Des centaines de Libanais ont été tués et blessés l’année dernière lors des combats à Tripoli liés à la guerre en Syrie.

Ajoutez à l’équation la popularité grimpante d’Assir et ses discours sectaires, et le Liban commence à devenir dangereusement explosif.

Assir compte sur ses partisans pour asseoir sa légitimité

Beaucoup des plus ardents partisans d’Assir sont des ingénieurs et des avocats, des étudiants diplômés et des hommes d’affaires – un groupe qui donne de la crédibilité aux efforts du cheikh.

Et quasiment à chaque apparition en public qu’il a faite l’année dernière, Fadl Shaker, une célèbre star de la chanson libanaise qui a récemment troqué sa carrière lucrative de crooner pour se consacrer à sa vie pieuse de salafiste, était à ses côtés.

Assir a également misé sur le décalage croissant entre les sunnites mécontents du Liban et le leadership politique faible. Les dirigeants sunnites modérés se débattent maintenant pour avoir son approbation, et les élections parlementaires prévues pour juin ont accéléré leurs efforts pour courtiser les leaders salafistes populaires comme lui.

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Le Hezbollah dans la ligne de mire d’Assir

Depuis deux ans maintenant, le grandiloquent Assir a intensifié ses attaques verbales contre le Hezbollah, qu’il appelle « le parti de l’Iran » – une référence à la relation du groupe avec la République islamique – et contre le soutien indéfectible du groupe à Bachar al-Assad.

« Comment le Hezbollah peut-il prétendre défendre la dignité de tous les musulmans quand ils soutiennent le meurtrier Assad ? » s’est étonné Assir. Quelques jours après la fusillade de Saïda, il a qualifié de « vendetta » son différend avec le Hezbollah.

Drapeau noir

Peut-être que la preuve la plus frappante de cela peut être perçue dans les zones sunnites de Tripoli, la deuxième plus grande ville du Liban. Des hommes armés sunnites du quartier de Bab Tabbaneh combattent fréquemment avec les alaouites qui sont proches du régime d’Assad.

Dans le passé, les drapeaux des différents partis politiques sunnites et les portraits des anciens Premiers ministres Rafik et Saad Hariri étaient brandis presque à chaque coin de rue. Aujourd’hui, ceux-ci ont été en grande partie remplacés par le drapeau noir des salafistes, et le drapeau révolutionnaire de la Syrie, adopté par l’armée rebelle syrienne libre.

La zone qui entoure la mosquée Bilal Bin Rabah de Ahmad Assir à Saïda, proche de l’affrontement sanglant du mois de novembre, a désormais tout d’une forteresse, avec un large cordon de sécurité et des gardes lourdement armés.

« Si j’avais l’occasion de quitter la zone, je le ferais »

« Ils ont tué mes amis et ils seront de retour pour tuer plusieurs d’entre nous », a déclaré Adnan, un jeune disciple d’Assir. Alors qu’il tentait de retenir ses larmes, il a ajouté : « Ce n’est que le début d’un combat très long ».

Une femme dont l’appartement a été saccagé au cours de la fusillade a expliqué que l’incident avait pris tout le monde par surprise.

« Nous sommes mélangés dans ce bâtiment [entre sunnites et chiites], nous grandissons ensemble, nous sommes habitués à eux et ils sont habitués à nous », dit-elle. « Tous mes voisins sont ma famille ».

Mais elle craint que les choses n’empirent : « Si j’avais l’occasion de quitter la zone, je le ferais ».

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

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