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Chine: les lobbies militaro-industriels et pétroliers tout puissants?

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La meilleure façon de s’imaginer ce qu’est la China Poly Group Corporation est de penser à la première d’un jeu de poupées russes. Chacun des éléments en bois représente une nouvelle filiale qui entoure et protège un noyau central.

Un conglomérat central dans l’économie chinoise

La China Poly Group Corporation (CPGC) est la société mère de plusieurs centaines de filiales – le nombre exacte est précautionneusement gardé secret. Elle englobe des activités liées à la construction, à l’immobilier, à l’extraction des ressources, à la pêche, à l’armée et au divertissement. Enfin, la troisième maison de ventes aux enchères mondiale lui appartient.

Il serait en fait plus facile de décrire le conglomérat basé à Pékin comme un baromètre du paysage économique contrôlé par l’État chinois. Ses exportations d’armes vers les zones de tension comme la Birmanie ou le Zimbabwe laissent le champ libre aux entreprises chinoises pour aller extraire des matières premières sur ces territoires. Enfin, la suprématie de la CPGC dans les industries culturelles permet à Pékin d’exporter son « soft power » à l’étranger.

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Des dizaines de secteurs d’activité…

En apparence, ce conglomérat semble adroitement géré par l’État, qui y insère ses branches politiques, financières et militaires. Cela cache en réalité des relations hargneuses entre les différentes castes qui composent l’élite dirigeante du pays. Selon certains experts, Poly n’est qu’un engrenage dans une machine dirigée par de puissants intérêts contradictoires et en concurrence permanente.

Poly pourrait ainsi expédier des armes vers le Zimbabwe ou le Soudan, projeter de construire une autoroute reliant l’Irak à la Syrie ou gagner les droits de distribution de Ferrari ou de Maserati en Chine, le tout dans la même journée.

Le lendemain, la firme pourrait organiser une offre publique sur le Nasdaq pour un distributeur de film, gagner un accord de pêche à long terme dans la zone économique exclusive de l’Île Maurice, être accusé de soutenir financièrement un ministre de la Défense namibien corrompu et participer à nouveau à des ventes d’armes à l’Iran ou à l’Arabie Saoudite.

… mais un noyau basé sur l’armement

Jusqu’à très récemment, la firme était principalement connue pour sa branche Poly Technologies, le plus grand exportateur chinois d’armes.

« Parce qu’elle livre des armes dans les zones de conflits, et notamment en Afrique, Poly Technologies est dans le radar d’Amnesty international depuis longtemps, explique Frank Jannuzi, chef du bureau d’Amnesty International à Washington. Un effort est fait pour attirer l’attention sur le non-respect des normes internationales dont fait preuve Poly lors de ses exportations d’armes. Le scepticisme au sujet d’une autoréglementation de la Chine sur son commerce d’armes est justifié lorsque que vous avez une entreprise si diversifiée et qui entretient des liens si étroits avec les dirigeants chinois. »

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Quand une société cache d’anciens révolutionnaires

La CPGC débuta ses activités en 1983 en tant que filiale de la China International and Investment Corporation (CITIC), une société d’investissements appartenant à l’État. Mise en place à l’initiative de Deng Xiaoping, la CITIC devint rapidement l’un des conglomérats financiers et industriels les plus influents de Chine.

Un rapport publié en 1997 par le groupe de réflexion Rand Corporation, révéla la relation qu’entretenait Poly avec l’APL, l’Armée populaire de libération, et blâma l’entreprise pour avoir importé illégalement 2000 fusils d’assaut AK-47 aux États-Unis en 1996.

Deng Xiaoping installa alors Wang Ju, fils d’un ancien révolutionnaire, à la tête de la CITIC et du groupe Poly. Le même Wang Ju également connu pour l’affaire du « Chinagate » qui avait éclaté alors que la Parti démocratique américain était soupçonné d’avoir arrangé une rencontre avec le président Bill Clinton à la Maison Blanche en 1996.

Le gendre de Deng Xiaoping, He Ping, un ancien général de l’armée, fut quant à lui désigné président de Poly, et est toujours enregistré comme président d’honneur de la société dont le haut de la hiérarchie est constituée d’anciens officiers de l’APL ou de parents et alliés de Deng Xiaoping.

Lutte de surface contre la corruption

Les affaires étaient bonnes jusqu’à ce qu’un ancien président, Jiang Zemin, se préoccupe de la corruption qui minait l’armée et ordonne la cession de certains intérêts commerciaux en 1998.

Aujourd’hui, la Commission du Conseil d’État sur la supervision et l’administration des activités est censée contrôler Poly, comme c’est le cas pour toutes les autres entreprises publiques, mais les observateurs restent convaincus que cette décision de Jiang Zemin n’était que superficielle et que la société reste à ce jour dirigée par d’anciens officiers de l’APL et leurs proches.

Ventes d’armes : deux milliards de dollars

« La corruption de la sphère politique chinoise est une institution, affirme Parris Chang, ancien professeur et sous-directeur du Conseil de sécurité nationale de Taïwan. Dans les années 80, Deng Xiaoping a annoncé aux vétérans du parti que leur temps était révolu. Si la Chine voulait se moderniser, c’est d’ingénieurs, de scientifiques et de banquiers dont elle aurait besoin. »

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« Il leur a donc assuré que s’ils quittaient leurs postes au sein du Parti et de l’armée, ils ne seraient pas lésés : Nous avons les moyens de vous indemniser, vous et vos enfants. Cela fait partie de la relation symbiotique qui uni les entreprises d’État, le Parti et le gouvernement, » et qui a contribué à l’émergence d’un « complexe militaro industriel » au cours de ces deux ou trois dernières décennies.

« Poly et plusieurs autres entreprises sont partie prenante dans le [développement militaire de la Chine], notamment grâce à leur ventes d’armes et à l’extraction de matières premières à l’étranger, poursuit Parris Chang. Lorsque que les États-Unis s’étaient plaints que Poly vendait des armes à l’Iran, à l’Arabie Saoudite ou à bien d’autres États du Moyen-Orient, Deng Xiaoping avait convoqué les dirigeant de la société dans son bureau pour leur demander combien cela leur avait rapporté. Et lorsqu’ils avaient répondu que les revenus de ces ventes d’armes atteignaient les 2 milliards de dollars, il avait répondu « Pas  mal ! », et l’affaire en était restée là. »

Ressources naturelles : le deuxième grand secteur

C’est bien dans la vente d’armes que Poly s’est d’abord construit un nom. Il a ensuite gagné sa réputation en multipliant les entorses aux règlements. 

« La stratégie internationale de la Chine est basée sur l’accès du marché aux ressources naturelles, explique Frank Januzzi d’Amnesty International. Et qu’il s’agisse de respecter ses propres lois sur la liberté d’expression, d’adhérer à des sanctions internationales ou de soutenir des régimes haineux comme le Soudan, la Syrie ou l’Iran, les Chinois feront de toute façon en sorte de traiter ces problèmes comme des conflits internes, afin de garantir cet impératif. Et malheureusement, ces conflits sont généralement résolus en faveur de la croissance et de l’accès aux matières premières. »

Des conglomérats devenus hors de contrôle ?

Alors que des sociétés comme la China Poly Group Corporation ont longtemps été accusées de fournir des armes et des prêts à faibles intérêts aux despotes en échange d’un accès aux ressources, certains observateurs affirment que ces transactions ne sont pas toujours réalisées avec le soutien de Pékin.

Derek Scissors, chercheur associé en économie asiatique au sein du groupe de réflexion The Heritage Foundation de Washington, explique que le ministère chinois des Affaires étrangères ne maîtrise pas la plupart des puissantes entreprises publiques, notamment parce que leurs liens avec le Parti communiste et l’armée les protègent de tout reproche.

Car s’il est facile de cerner quel type de soutien Poly reçoit de l’État, quand les intérêts sont divergents, ce n’est pas toujours le gouvernement qui a le dernier mot.

« La politique chinoise est vraiment polarisée et fragmentée, conclut Parris Chang. Le complexe militaro-industriel et le soi-disant lobby pétrolier sont très puissants. Leurs points de vue et leurs intérêts ne sont pas toujours les mêmes que ceux du ministre des Affaires étrangères, et ils ne se soucient guère de ce qu’il pense. Le ministère des Affaires étrangères n’a pas le dernier mot, c’est pourquoi il ne peut pas s’acquitter de certaines promesses. »

GlobalPost / Adaptation : Antonin Marot pour JOL Press

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