Site icon La Revue Internationale

Syrie: l’enfer au cœur de la prison d’Idlib

[image:1,l]

Les montagnes calcaires forment une superbe toile de fond à l’imposante prison centrale d’Idlib. Des marques d’explosions parsèment les murs. Du verre et des débris jonchent le sol.

Le 20 janvier, après plusieurs jours de bataille acharnée, les forces rebelles ont pris d’assaut le complexe pénitentiaire et repris son contrôle des mains du régime syrien. Dès la semaine suivante, les explosions et les coups de feu avaient cédé la place au silence.

Un sombre aperçu du système pénitentiaire syrien…

Un coup d’œil jeté à l’intérieur de la prison, et quelques conversations avec ceux qui ont été libérés le jour où les rebelles ont pris le contrôle de la prison, donnent un aperçu de la façon dont le régime traitait ses prisonniers près de deux ans après le début d’un conflit qui a coûté la vie à près de 90 000 personnes.

De nombreuses chambres de la prison semblent avoir été utilisées comme cellules surpeuplées mais néanmoins suffisamment grandes. Mais trois étages souterrains racontent une histoire différente.

Dans une pièce sombre, deux cordes pendent au-dessus d’une plateforme d’exécution. Dans d’autres pièces, on trouve des tas de lourdes chaînes à l’intérieur de grandes cages métalliques. Des traces de sang sont encore présentes sur les parois des cellules.

La prise de la prison par les forces rebelles était la première étape avant Idlib

La mission de prendre d’assaut la prison faisait partie d’une attaque coordonnée qui marquait le début de la « guerre pour Idlib », selon les dirigeants rebelles.

La prise de la prison était une décision stratégique qui ouvrait la voie à la prise d’Idlib, dernier bastion des forces du régime. Pendant la bataille, les rebelles ont récupéré un stock d’armes, de munitions et plusieurs tanks.

Mohammed Ali, un combattant rebelle pour la brigade de Suqur al-Sham, a été parmi les premiers à pénétrer dans les cellules pour libérer les prisonniers.

Les prisonniers « ont subi les pires tortures »

« Les prisonniers se trouvaient dans un état de peur et de panique », dit-il alors qu’il marche au milieu des cellules désormais vides et largement détruites de la prison.

« Ils ont subi les pires tortures. Pendant que nous pénétrions dans la prison, les gardes du régime menaient des exécutions sommaires, tirant sur certains détenus qui criaient à l’aide et nous demandaient de les sauver ».

Pendant le raid de la prison, les forces d’opposition ont libéré 300 détenus, environ la moitié du nombre total de prisonniers. Les autres, dont près de 30 femmes détenues, ont été emmenés à Idlib pendant que les officiers et le directeur de la prison -un proche du président Bachar al-Assad– fuyaient sous la protection d’un char blindé et de tireurs embusqués.

Des prisonniers arrêtés pour crimes contre le régime

À environ 100 km de la vieille prison, les rebelles ont mis en place une prison secrète pour fournir un endroit à l’abri des raids aériens pour environ 200 prisonniers du complexe original.

Ces prisonniers, qui avaient été arrêtés pour des actes criminels d’opposition au régime, attendent d’être rejugés par un tribunal islamique de l’opposition. Ils racontent les traitements dégradants et la torture qu’ils ont subi des mains de représentants du gouvernement.

[image:2,l]

« Libérés de la tombe »

« C’est comme si nous avions été libérés de la tombe », a déclaré Youssef Sheikh Mohammed, qui purgeait une peine de 21 ans pour vol. Il raconte avoir été obligé de défiler dans la prison seulement vêtu de sous-vêtements, et forcé à lécher les chaussures d’un officier. « Sous le régime, nous nous sentions comme des chiens. Maintenant nous nous sentons à nouveau humains ».

Selon un rapport récent de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, basé à Londres, les méthodes de torture dans les prisons du régime sont monnaie courante.

45 méthodes de torture, physiques ou psychologiques

Le rapport répertorie 957 cas de décès dus à la torture en 2012. Le rapport répertorie aussi le nom et l’emplacement de chaque mort, et dans de nombreux cas, fournit des photos ou des preuves vidéo et le témoignage de codétenus ou des membres de la famille qui ont reçu les corps. La liste inclut 34 enfants et 17 femmes.

Quarante-cinq méthodes de torture sont décrites dans le rapport : prisonniers roués de coups ou de chocs électriques, pendus ou attachés dans des positions douloureuses pendant de longues heures, voire des jours ; refus de l’accès à la nourriture ou aux installations sanitaires et aux douches, tortures sexuelles et viol des hommes et des femmes, tortures psychologiques dont l’obligation pour certains détenus de rester dans la cellule d’un prisonnier mort ou mourant, ou encore de regarder la torture subie par d’autres détenus.

Six ans de prison pour le vol d’une bouteille de gaz

Alors que les prisonniers se rassemblaient sur leurs matelas dans une grande salle ouverte, devenue leur cellule de détention provisoire, plusieurs hommes armés montaient la garde. Beaucoup clamaient leur innocence ou se plaignaient de condamnations injustes.

Ahmed Anagi, vingt-quatre ans, paralysé des deux jambes depuis la naissance, a admis son crime. Selon les dossiers de la prison, il a été condamné à six ans de prison pour avoir volé une bouteille de gaz. Les détenus ont également raconté quelques-unes des méthodes de torture décrites dans le rapport.

« Certains des prisonniers n’avaient pas eu à manger pendant une semaine »

Dans une autre aile de la prison réservée aux prisonniers politiques, les conditions ont été décrites de manière pire encore. Les forces rebelles ont libéré – sans jugement – 100 hommes de cette section dont la plupart étaient dans un état épouvantable.

« Certains des prisonniers n’avaient pas eu de pain pendant un mois, et rien à manger pendant une semaine », a déclaré le Dr Abou Mohammed, un commandant de Suqur al-Sham, en charge des détenus en attente de jugement. « Après que nous leur avons donné à manger, il a fallu quelques jours à leur estomac pour qu’il se réhabitue, et beaucoup avaient des problèmes car ils n’avaient pas mangé depuis longtemps ».

« Ils frappaient leurs pieds jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus marcher »

La veille du jour où les forces rebelles ont pris d’assaut la prison, un jeune gardien, qui a souhaité gardé l’anonymat par crainte de représailles sur sa famille, s’est enfui de la prison alors qu’il avait été envoyé pour ramasser du bois.

« Les prisonniers souffrent de beaucoup de choses », a-t-il déclaré à son arrivée à la base de Suqur al-Sham, la nuit avant la bataille. « Juste parce qu’ils ont fait un petit écart, l’armée les bat et les torture, avec des électrochocs. Parfois, ils enferment les prisonniers, seuls dans une minuscule cellule souterraine, pendant des mois. Ils frappent parfois leurs pieds jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus marcher, ou écrasent leurs os ».

Le traitement le plus sévère était réservé aux prisonniers politiques, mais ils étaient détenus dans une aile privée de la prison, dont l’accès était strictement réservé aux officiers supérieurs.

[image:3,l]

Quand demander de l’aide peut signifier mourir…

Le jeune geôlier dit lui-même avoir été battu et détenu en isolement après avoir été surpris en train de déserter l’année dernière. Cette fois, il a trouvé un homme qui coupait du bois dans la forêt et lui a demandé s’il pouvait l’emmener à l’Armée syrienne libre.

« Bien sûr, j’ai eu peur de demander à cet homme de me prendre », raconte-t-il. « Demander peut signifier la mort. Il pouvait me livrer à l’armée. Mais dans cette situation, vous n’avez pas le choix – vous mettez juste votre foi en Dieu, et tentez votre chance ».

Des mois d’attente, et trois jours de bataille

Il a donné autant d’informations qu’il le pouvait aux combattants rebelles au sujet des armes, des positions et de l’état d’esprit des gardes. Il leur a dit que les prisonniers avaient attendu plusieurs mois que l’Armée syrienne libre ne les libère.

« Ils ont dit que, quand ils entendraient le premier son d’attaque, ils se soulèveraient à l’intérieur de la prison ».

À l’époque, le chef de file des groupes d’opposition, Ayachi Abdul Rahman, s’était montré préoccupé, parce que cela aurait pu conduire à des exécutions de prisonniers avant qu’ils ne réussissent à prendre le contrôle. Alors qu’il se promenait dans les bâtiments en ruines quelques semaines plus tard, il a indiqué que dix corps de prisonniers exécutés avaient été récupérés sur les lieux. Un seul a jusqu’à présent été identifié.

La bataille pour la prison a pris trois jours. Douze combattants de l’opposition ont été tués, et trente ont été blessés.

Trois brigades ont mené l’attaque de la prison d’Idlib

Parmi les blessés, il y avait les commandants des trois bataillons impliqués dans l’attaque. Tous ont miraculeusement survécu à des blessures qui auraient pu s’avérer mortelles. Le commandant de la brigade Suqur al-Sham, Abdul Rahman, a été touché à la tête par un sniper, alors qu’il menait ses hommes dans le complexe pénitentiaire. Le commandant d’Alhurra al-Sham a également été touché à la tête par un sniper et est en convalescence dans un hôpital turc. Le troisième groupe impliqué dans l’attaque était Liwa Towheed. Leur commandant a été touché à l’estomac, mais a aussi survécu.

« Après que les trois commandants ont été blessés, les soldats ne savaient pas comment travailler efficacement », a déclaré Abdul Rahman, qui est retourné sur le site de la prison, quatre jours après sa blessure, contre avis médical. « C’était difficile à gérer. Une fois que la prison est tombée, j’ai entendu que beaucoup d’hommes prenaient tout du complexe, y compris les portes, les fenêtres, les postes de télévision. Je devais retourner là-bas pour arrêter cela et contrôler la zone ».

[image:4,l]

Un poste de police et un hôpital devraient remplacer la prison

Abdul Rahman et ses hommes sont maintenant en train de restaurer le complexe pénitentiaire pour y établir un poste de police dans l’espoir d’arrêter les gangs criminels qui continuent de profiter de l’absence de sécurité dans le territoire rebelle. Des plans sont également en cours pour établir un hôpital dans les étages inférieurs qui offrent une protection contre les raids aériens.

Douze prisonniers du régime ont également été capturés au cours du raid. Après avoir comparu devant le tribunal, quatre ont été reconnus coupables d’actes criminels intentionnels. Huit ont été libérés sans inculpation. Quatre ont choisi de rejoindre les forces Suqur al-Sham et se trouvent actuellement sous les ordres d’Abdul Rahman.

GlobalPost / Adaptation : Anaïs Lefébure pour JOL Press

Quitter la version mobile