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«Les échantillons rapportés par Le Monde ne peuvent servir de preuves»

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A l’approche de la conférence internationale qui tentera, une nouvelle fois, de sceller le sort de la Syrie en guerre depuis deux ans, la polémique enfle quant à l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad. Des journalistes du Monde sont revenus, il y a quelques jours, en France, munis d’échantillons récoltés sur le terrain qui seront analysés dans des laboratoires français. Dans le même temps, l’Union européenne a décidé de lever l’embargo sur la livraison d’armes en Syrie, afin de peser en faveur de l’opposition.

Pour peser sur Genève 2, les clans préparent leurs cartes et leurs arguments. La guerre en Syrie touche-t-elle à sa fin ? Pour Hasni Abidi, spécialiste du monde arabe et directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) à Genève, cette conférence pourrait bien être la bonne porte de sortie pour la crise syrienne.

Pourquoi  l’Union européenne a-t-elle pris la décision de lever l’embargo sur la livraison d’armes en Syrie ?
 

Hasni AbidiJe pense qu’elle a surtout constaté que l’équilibre des forces sur le terrain penchait de plus en plus en faveur du régime syrien, notamment en raison de l’implication désormais officielle du Hezbollah libanais.

Après ce constat, elle a souhaité envoyé deux messages. Le premier en direction de Moscou, soutien historique du régime syrien. L’Occident a souhaité montrer à la Russie que, si elle continue à aider l’armée de Bachar al-Assad sur le terrain, il pouvait également favoriser l’acheminement des armes en direction de l’opposition.

Le deuxième message a été envoyé en prévision de la conférence internationale Genève 2 qui doit se dérouler dans le courant du mois de juin. Les Occidentaux ont intérêt à se présenter avec des arguments de taille et de force plutôt que sans rien à avancer.

Les dernières preuves découvertes sur l’utilisation des armes chimiques en Syrie ont-elles pesé dans la balance ?
 

Hasni AbidiQue des armes chimiques soient utilisées dans le conflit syrien n’est vraiment pas un scoop. L’opposition au régime en a déjà parlé et des preuves scientifiques ont déjà été apportées. Une commission internationale a été envoyée sur le terrain.

Mais toutes ces preuves ne peuvent pourtant pas aboutir à une conclusion dans l’état actuel des choses. La carte des armes chimiques est jouée par les deux parties qui s’accusent mutuellement d’en utiliser sur le front.

Mais, en l’absence de résultats formels, on ne peut rien confirmer et la communauté internationale garde trop le souvenir des accusations similaires qui avaient été portées contre l’Irak sans que jamais rien ne soit trouvé sur le terrain lors de l’invasion américaine.

Le régime syrien serait-il d’ailleurs le seul à utiliser ce type d’armes ?
 

Hasni AbidiEncore une fois, on ne peut être sûr de rien. Les Nations Unies ont été admises à enquêter sur un certain nombre de territoires et ont également réunis des informations auprès des réfugiés syriens dans les pays limitrophes.

Il y a quelques semaines, Carla Del Ponte, membre de la Commission d’enquête indépendante des Nations unies sur la Syrie, a affirmé que l’opposition syrienne avait utilisé des armes chimiques, puis plus personne n’en n’a parlé par la suite.

Le fait est qu’officiellement, les Nations Unies n’ont pas diffusé de preuves officielles.

Qu’en est-il des échantillons que les journalistes du Monde ont rapportés en France ? S’il est avéré qu’il y a eu utilisation d’armes chimiques, pourraient-il servir de preuves ?
 

Hasni AbidiLes journalistes du Monde ne peuvent pas se faire enquêteurs sur ce sujet et leurs prélèvements ne peuvent pas être utilisés sur un plan juridique.

Seuls des experts indépendants, mandatés par la communauté internationale peuvent tenir ce rôle.

Car comment peut-on savoir d’où proviennent les échantillons des journalistes du Monde ? D’une arme utilisée par le régime ? Par l’opposition ?

Dans tous les cas, il y a quelque chose de dépassée dans la polémique autour des armes chimiques. Lorsque Le Monde a affirmé avoir apporté des preuves en France, toutes les chancelleries occidentales ont tenté de ne pas réagir car cela les met en porte-à-faux.

Est-ce parce que la « ligne rouge » fixée par Washington serait franchie ?
 

Hasni AbidiLes Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie ne souhaitent effectivement pas que cette « ligne rouge » soit franchie car cela signifierait qu’il doit y avoir réaction de l’Occident et donc engagement militaire.

Il y a donc une sorte de banalisation de l’affaire des armes chimiques pour ne pas avoir à franchir cette ligne.

Les soupçons et preuves d’utilisation d’armes chimiques seront principalement un argument puissant pour peser sur les négociations lors de Genève 2, auprès de Moscou comme auprès du régime syrien.

Les espoirs de la communauté internationale semblent désormais reposer sur Genève 2, mais y a-t-il vraiment de l’espoir alors que toutes les tentatives diplomatiques ont jusque-là échoué ?
 

Hasni AbidiLorsque les tentatives diplomatiques passent par les Nations Unies, elles sont toujours vouées à l’échec puisque les vétos russes et chinois empêchent l’évolution du dossier.

Des négociations sans un changement dans l’équilibre des forces sont forcément vouées à l’échec. Mais, aujourd’hui, il y a la menace des armes chimiques, la propagation du conflit au Liban et la présence de milliers de membres du Hezbollah et également des Iraniens, venus soutenir le régime syrien.

La levée de l’embargo européen compense cette nouvelle donne et, aujourd’hui, sous la direction de l’envoyé spécial des Nations Unies en Syrie, Lakhdar Brahimi, cette conférence peut aboutir à une transition politique en Syrie, d’autant que l’opposition syrienne a finalement accepté de négocier avec le régime syrien.

Genève 2 est une bonne porte de sortie pour cette crise.

Pourtant, le rôle de Bachar al-Assad dans cette transition est toujours un sujet qui oppose radicalement les parties. Lors de sa visite à Amman, en Jordanie, le secrétaire d’Etat américain John Kerry n’a d’ailleurs pas abordé la question de la démission du président syrien. Est-ce un recul des Etats-Unis sur cette question ?
 

Hasni AbidiLes Etats-Unis ont surtout souhaité ne pas braquer Moscou à quelques jours de la conférence internationale et n’ont donc pas souhaité mentionner ce point.

Mais, aujourd’hui, il est impossible pour l’opposition d’accepter la présence de Bachar al-Assad. Et même la Russie n’en fait pas une religion, elle négocie simplement, avec brio, ses intérêts au Proche-Orient avec les Etats-Unis.

Cette stratégie lui permettra notamment d’avoir plus de cartes en mains pour négocier sur d’autres dossiers plus importants pour elle.

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