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Armes chimiques en Syrie: la France répète les erreurs du passé

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Le 20 mars 2003, les Etats-Unis lançaient l’opération « Iraqi Freedom ». Dans leur guerre contre le terrorisme initiée en Afghanistan, les Américains ont un but précis : anéantir Saddam Hussein et le parti Baas, et pour cela ils détiennent un alibi parfait : des armes de destruction massives trouvées sur place et soi-disant destinées aux Américains. Parmi ces armes, des gaz, des armes chimiques.

L’obstination américaine en Irak

A l’époque, comme plusieurs années plus tard, les experts sont formels, aucune arme chimique n’est retrouvée sur place. A peine quelques munitions endommagées, inutilisables datant des années 90.

Il a fallu pourtant intervenir, malgré les controverses et malgré les polémiques. Il a également fallu achever publiquement Saddam Hussein, à titre d’exemple, pour pacifier une région aujourd’hui en proie à un terrorisme décuplé.

Les 100 000 victimes civiles du conflit irakien auraient pu servir d’exemple. Il semblerait que non. A quelques éléments près, nous assistons à la même précipitation en Syrie.

« Aucun doute »

Il n’aura fallu que deux journalistes du Monde, revenus de Syrie avec des témoignages et quelques échantillons de sang pour affoler le Quai d’Orsay.

Las de parler dans le vide et trop heureux de posséder une information exclusive entre ses mains, le ministre des Affaires étrangères a alors décidé de faire le pas. Les échantillons l’ont prouvé, du gaz sarin a été utilisé. La preuve est formelle.

« Nous n’avons aucun doute », a-t-on alors affirmé au ministère. Ces échantillons « démontrent la présence de sarin […]. Au regard de ces éléments, la France a désormais la certitude que le gaz sarin a été utilisé en Syrie à plusieurs reprises de façon localisée. »

Pour aller encore plus loin, Laurent Fabius a assuré, alors qu’il était interrogé sur France 2 : « Il ne fait aucun doute que c’est le régime et ses complices » qui ont utilisé ces armes « parce que nous avons pu remonter toute la chaîne. »

L’histoire se répète ?

Retour quelques années en arrière. Pour prouver la présence d’armes chimiques en Irak, les Etats-Unis et la CIA se fient au témoignage et aux preuves apportées par un certain Rafid Ahmed Alwan al-Janabi, mieux connu sous le nom de code Curveball.

Ce dernier, qui a fui son pays quelques années avant la guerre, affirme être un ingénieur chimiste qui a notamment travaillé dans des laboratoires mobiles servant à fabriquer des armes biologiques.

En 2004, il est pourtant prouvé que toutes les déclarations de cet homme sont fausses. Les preuves étaient pourtant assez formelles pour justifier une guerre.

Bachar al-Assad n’est pas le seul à manier l’arme chimique

 « Les journalistes du Monde ne peuvent pas se faire enquêteurs sur ce sujet et leurs prélèvements ne peuvent pas être utilisés sur un plan juridique », explique Hasni Abidi, spécialiste du monde arabe et directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM).

« Seuls des experts indépendants, mandatés par la communauté internationale peuvent tenir ce rôle. Car comment peut-on savoir d’où proviennent les échantillons des journalistes du Monde ? D’une arme utilisée par le régime ? Par l’opposition ? », s’interroge-t-il encore.

Car le régime syrien n’est pas le seul à connaître le fonctionnement des armes chimiques. Il y a à peine deux jours, une cellule d’Al-Qaïda fabriquant des armes chimiques – parmi elles des armes composées de gaz sarin – a été démantelée en Irak. Leurs armes étaient destinées à l’organisation d’attentats notamment en Europe et en Amérique du Nord. Pourquoi alors ne pas penser que ces mêmes armes aient pu se retrouver dans les mains du Front al-Nosra, deuxième force la plus importante sur le terrain de l’opposition syrienne ayant fait allégance à Al-Qaïda il y a peu ?

Des dangers déjà connus d’une intervention

Du gaz sarin a été utilisé en Syrie. Cela ne fait guère de doute désormais. Certains affirment même que la Syrie possède l’arsenal chimique le plus important du Moyen-Orient.

Plus de 94 000 morts après le début du conflit syrien, la « ligne rouge » de Washington, promise il y a quelques mois à Bachar al-Assad, a donc été franchie. Une autre question se pose alors. Si intervention il doit y avoir, pourquoi chercher un prétexte, pourquoi vouloir trouver une excuse à la précipitation ? Que ces Syriens soient morts par les bombes ou par les armes chimiques, cela change-t-il vraiment la donne ? Pourquoi alors attendre avant d’intervenir ?

En Syrie comme ailleurs, prudence est mère de sureté. Aujourd’hui plus qu’hier et riches des erreurs du passé, il ne faudrait pas imaginer trop vite cette intervention : nous savons désormais où mènent les actions occidentales dans la région.

En Irak, l’anti-américanisme est bien vivant et les cellules terroristes ont trouvé une nouvelle jeunesse dans ce sentiment partagé par une très large part de la population.

En Syrie, en s’imaginant lancer une opération militaire, les diplomates, Laurent Fabius en chef de file, croient être accueillis à bras ouverts par l’opposition sur le terrain. Bien loin de là, ces Syriens, encore farouchement déterminés à faire tomber Bachar al-Assad, préfèreront peut-être se ranger dans son camp que d’imaginer céder leur territoire à une armée étrangère.

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