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Géorgie-Russie: 5 ans après la guerre en Ossétie, comment tourner la page?

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[image:1,l]Cinq ans après quelle est la situation sur le terrain ? Les esprits se sont-ils apaisés, une paix durable est-elle possible ? Où en sont les relations russo-géorgiennes ? Où en est l’intégration de la Géorgie à la communauté internationale ?

Franck Guillory a interrogé Gocha Javakhishvili, ministre-conseiller, n°2 de l’Ambassade de Géorgie à Paris. Un entretien réalisé mercredi 7 août 2013.  

JOL Press : Quelles traces ont laissé les événements de 2008 en Géorgie ?

Gocha Javakhishvili : Cette guerre a profondément marqué les esprits de toute la population en Géorgie, et pas seulement les habitants de la région  dite d’Ossétie du Sud. Il y a une des pertes de vies humaines dans les deux camps et des déplacements de population.

Aujourd’hui, 20% du territoire national géorgien reste occupé et contrôlé par les forces russes. Une des traces les plus alarmantes et marquantes, c’est que la Russie a reconnu l’indépendance de ces deux régions (NDLR – Ossétie du Sud et Abkhazie), y a installé de nouvelles bases militaires et y a renforcé les anciennes. Il y a une forte présence militaire russe et un armement lourd offensif. Et, de ce fait, cette région est la plus militarisée au monde.

Les forces du pays agresseur en 2008 restent présentes à environ 50 kilomètres de la capitale géorgienne, Tbilissi.

JOL Press : Ce n’est pas ce que prévoyait, en 2008, l’accord de cessez-le-feu ?

Gocha Javakhishvili : L’accord de cessez-le-feu n’est pas respecté. Nicolas Sarkozy, à l’époque président de la République française – et qui occupait la présidence tournante de l’Union européenne -, s’était précipité au secours de la Géorgie, était intervenu et avait négocié un accord de cessez-le-feu avec Dmitri Medvedev, le président russe, qui a alors permis d’arrêter les hostilités. Cet accord en six points prévoyait un retour aux positions militaires telles qu’elles étaient avant le 7 août 2008. Cet engagement n’a pas été respecté.

De plus, il était prévu que les parties laissent une mission d’observation de l’Union européenne surveiller tous les périmètres de l’ex-zone de conflit. Or, cette mission européenne n’opère que sur la partie du territoire contrôlé par le gouvernement géorgien. Les Russes ne les acceptent pas au-delà de la frontière que constitue la ligne d’occupation.

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JOL Press : Quelle est la situation des réfugiés ?

Gocha Javakhishvili : C’est un des éléments qui pèsent lourds sur la situation économique et sociale… Nous avions déjà près de 300 000 réfugiés des guerres précédentes en Abkhazie. Là, depuis 2008, il y a encore des milliers de déplacés supplémentaires, obligés de quitter leurs foyers en Ossétie du Sud pour rejoindre d’autres régions de Géorgie.

JOL Press : Un retour de ces populations est-il envisageable ?

Gocha Javakhishvili : Ces personnes, lorsqu’ils tentent de retourner en Ossétie du Sud, ne peuvent même plus retrouver leurs maisons parce que les autorités actuelles ossètes ont rasé les villages pour justement prévenir de tels retours.

JOL Press : Utiliseriez-vous le terme de « purification ethnique » ?

Gocha Javakhishvili : C’est le terme qu’utilisent les organisations internationales, comme l’OSCE, dans leurs rapports. Il est question de « nettoyage ethnique » à l’égard des Géorgiens. Les autorités ossètes actuelles n’ont pas voulu que les Géorgiens restent mais, pire encore, elles ont pris les dispositions nécessaires pour prévenir tout retour.

JOL Press : Pourtant, avant ce conflit de 2008, la coexistence entre les différentes communautés était plutôt pacifique, il semblerait même qu’il y ait eu de nombreux mariages inter-ethniques…

Gocha Javakhishvili : Je suis moi-même originaire de la région. J’ai grandi entouré d’amis ossètes et, dans mon enfance, on ne faisait pas de différences, de distinction entre qui était ethniquement géorgien ou qui était ethniquement ossète… Dans ma famille même, il y a eu de tels mariages entre communautés, ma propre belle-sœur, la femme de mon frère, est ossète d’origine.

Ce n’est qu’après l’indépendance de la Géorgie au début des années 90 que la Russie a mis en œuvre sa politique qui consiste à diviser pour mieux régner. Pour affaiblir la Géorgie, la Russie a encouragé les séparatismes dans ces deux régions, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie.

En particulier en Ossétie du Sud, une région qui, auparavant, n’avait jamais existé en tant que telle au sein de la Géorgie. S’il y avait 30 000 représentants de l’ethnie ossète en Géorgie, cela n’a posé aucun problème jusqu’aux années 1990 où les esprits sécession. Le cas de l’Abkhazie est différent puisqu’il existait, historiquement, un royaume d’Abkhazie, empiétant sur la Géorgie et aux revendications anciennes…

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JOL Press : Quelle est la situation en matière de circulation des personnes entre les différentes zones, et entre la Russie et la Géorgie ?

Gocha Javakhishvili : La situation a porté atteinte de manière considérable à l’unité des familles. Il y a des familles éclatées, de part et d’autre du Caucase. Pendant longtemps, les familles déplacées dans les zones géorgiennes ne pouvaient plus revenir côté russe. Des régimes de visas très stricts, imposés par les Russes, demeurent en vigueur pour les ressortissants géorgiens. Alors que le gouvernement géorgien, pour faciliter le rétablissement du dialogue, a supprimé unilatéralement le régime des visas pour les ressortissants russes – notamment pour qu’ils puissent se rendre en Géorgie et constater qu’ils ne sont pas mal reçus et que le pays, démocratique et libéral, a su se développer sereinement. Au lieu de faire la guerre, nous pourrions cohabiter pacifiquement dans l’intérêt de tous.

JOL Press : Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a déclaré, mercredi 7 août 2013, qu’il souhaitait la reprise des négociations entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie. Qu’en pensez-vous ?

Gocha Javakhishvili : La Géorgie déclare depuis longtemps – avant comme après le changement de gouvernement d’octobre 2012 – qu’elle est favorable au dialogue. Le nouveau gouvernement est, plus que jamais, prêt à reprendre le dialogue et à démontrer que c’est par la coopération, par le dialogue qu’une solution peut être trouvée.

Depuis plusieurs années, la Géorgie a signé, unilatéralement, un accord de non-recours à la force. C’est un engagement ferme pris devant le Parlement européen. Le recours à la force pour récupérer ces territoires est exclu.

JOL Press : Mais, pour autant, vu de Tbilissi, une Ossétie du Sud indépendante, cela reste inenvisageable ?

Gocha Javakhishvili : Oui, bien sûr. La Géorgie est un pays qui a 3000 ans d’histoire, 3000 ans d’existence étatique. Comment envisager que la population se fasse à l’idée que, suite à une invasion extérieure, le pays se trouve amputé d’une partie de son territoire. Cela ferait jurisprudence et, compte tenu de notre situation géographique, il risquerait d’être fatal à la Géorgie.

L’appétit de notre voisin du nord (NDLR – la Russie) est colossal. La Russie, qu’elle soit tsariste, soviétique ou « poutiniste », a un intérêt constant pour le Caucase, Côte d’Azur de l’URSS, mais surtout corridor pour le pétrole d’Asie centrale et nœud géopolitique essentiel, aux confins de l’Europe et de l’Asie, voisin de la Turquie et de l’Iran. Un atout considérable pour la Russie sur la scène internationale.

JOL Press : Justement, comment jugez-vous l’attitude de la communauté internationale, et de la France en particulier, sur la question des relations russo-géorgiennes ?

Gocha Javakhishvili : En 2008, la France, de par l’action de son président, a été la plus active et les Géorgiens lui en sont reconnaissants. La réactivité de l’intervention, de la prise de décision, de la France et, à travers elle, de l’Union européenne a été remarquable, sans précédent. En quelques semaines, l’Union européenne a déployé sur place quelques 200 observateurs. Cette réunion rapide et adéquate a surpris.

Puis, la France est restée, jusqu’à présent, le pays médiateur, garant de l’intégrité territoriale de la Géorgie et facilitateur du dialogue avec notre voisin russe.

JOL Press : La normalisation des relations diplomatiques entre la Russie et la Géorgie, c’est possible à court terme ?

Gocha Javakhishvili : La question fait débat, certains Géorgiens en sont davantage partisans que d’autres.

Mais, il y a une réalité juridique qui soulève un problème nouveau. La Russie a décidé de reconnaitre l’ensemble des pays du Caucase et d’y ouvrir des représentations diplomatiques. Dans cette logique russe, il y aurait donc trois ambassades sur le territoire géorgien, une à Tbilissi et deux autres dans les chefs-lieux des deux régions de Géorgie que demeurent l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Ce n’est pas nécessairement acceptable pour les Géorgiens.

Il faut résoudre la question de la circulation des personnes et celle de l’embargo russe sur les produits géorgiens, mis en place en juin 2006 et qui, pour moi, marque le véritable début de cette guerre russo-géorgienne.

Nous assistons à un adoucissement sensible mais modeste de ces dispositions d’embargo. C’est un signe plutôt positif, une lueur d’espoir.

JOL Press : La résolution de ces difficultés russo-géorgiennes est-elle un préalable à l’intégration de la Géorgie à l’OTAN, voire à l’Union européenne, ou s’agit-il d’autres problématiques aux enjeux encore supérieurs, des perspectives à jamais inacceptables pour la Russie ?

Gocha Javakhishvili : Pour beaucoup de Géorgiens, et pour moi notamment, la raison pour laquelle la Russie a souhaité aller au conflit en août 2008, est à trouver dans la perspective du sommet de Bucarest de l’OTAN, prévu quelques mois plus tard et au cours duquel la Géorgie devait obtenir un carnet de route vers l’adhésion à l’OTAN. Or, pour la Russie, l’adhésion d’un ancien pays de l’URSS à une alliance toujours perçue comme l’ennemi, est parfaitement inacceptable. C’est vrai pour la Géorgie et tout autant pour l’Ukraine.

C’est dans cette optique qu’a été prévue la guerre en Géorgie. Poutine l’a reconnu lors d’une interview.

JOL Press : L’adhésion à l’OTAN, c’est essentiel pour la Géorgie ?

Gocha Javakhishvili : L’adhésion à l’OTAN pour la Géorgie et les Géorgiens, c’est l’alternative à la servitude, le moyen d’échapper au gant de fer du puissant voisin russe et de conserver leur souveraineté.

La Géorgie a tout intérêt à avoir de bonnes relations avec la Russie, qui pourrait être un partenaire privilégié. Mais, la Russie a du mal à tolérer que ses anciens Etats-satellites puissent s’être émancipés et aspirer à être un partenaire à égalité.

JOL Press : Pour Moscou, la Géorgie dans l’OTAN, la Géorgie dans l’UE, c’est « niet, niet » ?

Gocha Javakhishvili : Oui, absolument. De vagues progrès ont été réalisés en cinq ans. La Géorgie est parmi les meilleurs élèves aspirant à l’adhésion.

Pour ce qui concerne l’OTAN, nous faisons partie de la coalition de lutte contre le terrorisme et notre présence en Afghanistan, au sein de l’ISAF, est la plus importante des pays non membres de l’Alliance. Nous faisons des efforts considérables. La Géorgie peut être un partenaire digne et responsable.

Les Géorgiens sont lucides, ce n’est pas demain que la Géorgie intégrera l’Union européenne, mais nous aspirions à des partenariats toujours plus approfondis, une coopération privilégiée. Un accord d’association et de libre-échange sera d’ailleurs signé lors du Sommet de Vilnius fin 2013. C’est une très belle avancée.

Les Géorgiens se considèrent européens. La Géorgie est indéniablement un pays européen, une des plus vieilles cultures européennes.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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