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La Turquie veut une nouvelle Syrie mais ne s’engagera pas

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Depuis plus de deux ans de conflit, les Turcs ont souvent montré leur détermination à en finir avec le régime de Bachar al-Assad. Pendant ces deux années, le conflit syrien a souvent résonné sur le territoire turc et des bombes ont exploqé de l’autre côté de la frontière provoquant à plusieurs reprises des crises diplomatiques entre les deux pays qui, aujourd’hui, n’entretiennent plus de relations.

Cette éventuelle intervention militaire, envisagée par les Occidentaux, est donc très bien accueillie par les Turcs qui, néanmoins, ne s’engageront pas dans une éventuelle coalition internationale. Car si les enjeux sont importants pour la Turquie, les risques sont également grands. Explications avec Emel Parlar Dal, professeur au département de science politique et de relations internationales a l’Université de Marmara, à Istanbul.

Alors que les Occidentaux paraissaient déterminés à intervenir, le Royaume-Uni et les Etats-Unis semblent désormais reculer. Comment expliquez-vous cette position ?
 

Emel Parlar Dal : Il n’y a pas de consensus au sein de l’Union européenne autour de la possibilité d’une intervention militaire « limitée » en Syrie. Meme si la plupart des pays européens condamnent l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Damas contre son peuple, un nombre limité de pays européens semble avoir accepté de prendre part à une coalition internationale menée par les Américains. Cette operation de « punition » menée par les Etats-Unis sera aussi limitée que ciblée.

De ce fait, je pense que ni les Britanniques ni les Américains ne sont actuellement dans une position de recul. Cependant, il faut admettre qu’une telle operation sera compliquée non seulement sur le plan militaire et diplomatique que sur un plan humanitaire. Cette opération n’est pas soutenue par une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

L’objectif et les cibles d’une telle opération doivent etre bien expliquées á l’opinion publique internationale. Pour l’instant, rien n’est clair. On parle de plusieurs types de scenarios militaires. Dans une situation aussi floue, une chose me semble pourtant claire : une attaque chimique nécessite une réponse solide au régime de Bachar al-Assad.

Au Moyen-Orient, la Turquie fait partie des grands partisans de l’intervention contre Bachar al-Assad. Pourquoi les Turcs sont-ils si impatients de faire tomber le régime syrien ?
 

Emel Parlar Dal : Quand la crise a commencé en Syrie, les Turcs ont tenté de mettre en place les moyens pour trouver une solution diplomatique et démocratique á la crise syrienne. Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères turc et d’autres diplomates se sont rendus à Damas à plusieurs reprises pour convaincre Bachar al-Assad de rédiger une nouvelle Constitution et de coopérer avec les groupes d’opposition dans le pays.

Après avoir constaté que leurs efforts diplomatiques étaient vains, les Turcs ont pris conscience de l’impossibilité d’assouplir le régime syrien et de convaincre de l’importance de mener des réformes démocratiques. Ils ont donc mis un terme à leurs relations avec ce pays. La Turquie est gravement touchée par la crise syrienne depuis deux ans. Il y a désormais plus de 300 000 réfugiés syriens sur le sol turc, et ce nombre va certainement augmenter compte tenu du contexte actuel.

A la suite des attaques chimiques de la semaine dernière, de nombreux Syriens se sont dirigés vers la frontiere turque. Depuis deux ans, la Turquie vit dansl’insecurité en raison de la montée graduelle du conflit syrien et de ses répercussions, non seulement sur son économie, mais aussi sur sa politique intérieure et extérieure. Cette guerre de nerfs continue entre la Turquie et la Syrie s’est accentuée depuis un an. Les événements de Reyhanlı en mai et la morts 50 Turcs ont tué dans les attaques de l’armée syrienne a la frontiere entre les deux pays sont devenus une source d’insecurité pour Ankara.

Comme l’ont souligné les résponsables politiques turcs, la Turquie veut une nouvelle Syrie, une Syrie démocratique qui sera capable d’unir tous les différents groupes ethniques et réligieux du pays. La Turquie est aussi sous la menace continue du régime de Bachar al-Assad, et craint également une attaque chimique.

Si un conflit armé était finalement engagé, comment, et avec quels moyens, les Turcs y participeraient ?
 

Emel Parlar Dal : La participation des Turcs a cette intervention serait tres limitée.

Les Turcs vont plus probablement offrir une assistance logistique à l’operation et pourra aussi ouvrir ses bases aériennes et ses installations logistiques au sud à Incirli, par exemple. Je ne pense pas que la Turquie enverra ses troupes terrestes. La Turquie fait confiance a ses missiles Patriot et « early warning radar system » recemment déployés par l’OTAN et basés a Kurecik. A l’exception des missiles de l’OTAN, la Turquie ne possede pas de systemes missiles dévéloppés qui lui garantirait la defense totale de son territoire. Sur ce point, la Turquie n’a pas d’autre option de demander l’assistance de l’OTAN.

Une possible participation de la Turquie a la coalition internationale influencera sans doute tous les équilibres dans la region. Elle apparaîtra comme une cible réelle non seulement pour la Syrie, mais aussi pour les pays soutenant Damas comme l’Iran et la Russie. Si la Turquie prenait part à la coalition internationale, cela pourrait également dégrader ses relations avec ceretains pays arabes tels que l’Arabie saoudite ou les autres pays membres de la Ligue arabe. Par ailleurs, cette opération peut également avoir quelques répercussions sur les déliberations de paix qui se poursuivent entre Ankara et le PKK

Les pays voisins de la Syrie sont nombreux à prédire une escalade de conflits dans la région si des forces étrangères interviennent. Qu’en pensez-vous ?
 

Emel Parlar Dal : Le plus important sera de bien mener l’apres-intervention. Tous les équilibres seront bouleversés. Le flux des refugiés sera de plus en plus important dans les pays voisins tel qu’au Liban, en Jordanie, ou en Turquie. Les échos de la crise syrienne peuvent également influencer l’Egypte et personne ne veut d’un nouvel Irak ou d’un nouvel Afghanistan au Moyen-Orient.

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