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Syrie: les entreprises de propagande laissent la presse démunie

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[image:1,l]L’exercice est délicat et soulève un certain nombre de questions d’ordre déontologique ayant trait aux fondements mêmes de notre activité journalistique, s’il s’agit de rassembler des faits, de les vérifier et de les traiter.

Est-il possible de savoir précisément ce qui se passe en Syrie ? Non.

Comment échapper aux formidables machines de propagande en action sur le terrain comme dans tous les conflits de l’ère moderne – mais avec toujours plus de force compte tenu d’un moyens technologiques disponibles ?  Jusqu’à quel point devons-nous, nous journalistes, faire preuve de scepticisme, d’esprit critique et renvoyer dos à dos les différents belligérants au motif que nous ne savons pas, pas forcément, pas vraiment ? Pouvons-nous, devons-nous, confrontés à l’obstination de Bachar al-Assad, nous libérer de notre devoir d’objectivité et prendre parti – et l’assumer ? Et une fois décidé, et assumé, le fait que Bachar al-Assad et son régime sont l’ennemi dans cette horreur, comment se retrouver dans cette nébuleuse opaque qui constitue l’opposition, la rébellion.  

Ces questions taraudent nombre de rédactions.

La Coalition nationale syrienne est désormais le représentant officiel d’une opposition polymorphe au régime de Bachar al-Assad. Au mois de juillet, la Coalition nationale syrienne, établie à Istanbul, a ouvert un bureau de presse à Paris. Nous avons souhaité interroger une des responsables de ce bureau, Emma Suleiman.

L’entretien que nous avons choisi de réaliser ne prétend pas répondre à ces questions. Bien au contraire. Cet entretien se veut une démonstration, une démonstration de la difficulté qu’il peut y avoir à traiter l’information émanant de Syrie et à évaluer la validité des multiples sources qui nous sollicitent.

C’est le dilemme auquel nous sommes confrontés. En tant que citoyens, nous pouvons faire le choix de prendre parti et l’assumer. En tant que journalistes, nous savons qu’il nous est simplement impossible de faire correctement notre métier, s’il s’agit de rapporter des faits.

C’est pourquoi nous préférons nous cantonner, le plus souvent, à l’analyse, au décryptage. C’est pourquoi nous privilégions la sollicitation des experts à des fins de prospectives.

L’entretien avec Emma Suleiman du Bureau de presse parisien de la Coalition nationale syrienne 

JOL Press : Quelle est la mission du bureau de presse parisien de la Coalition nationale syrienne ?
 

Emma Suleiman : Depuis le début de la crise syrienne, les médias français – comme, d’ailleurs, les médias du monde entier – ont de grandes difficultés à faire le tri dans les différentes sources d’information émanant de la Syrie.

Il y a évidemment les médias officiels, contrôlés par le régime de Bachar al-Assad, et il y a aussi, du côté de l’opposition, quantité de sources diverses. Il n’y avait pas de centralisation des informations issues de l’opposition. C’est pour y remédier que la Coalition nationale syrienne a ouvert un bureau des médias en juillet à Paris, comme il y en a d’autres à Istanbul et, bientôt, à Londres ou Washington.

JOL Press : Concrètement, quelles sont vos actions ?
 

Emma Suleiman : Le premier objectif est donc d’informer les médias français – et francophones. Nous nous efforçons de vérifier l’information que nous recueillons auprès de nos relais présents sur le territoire syrien. Nous essayons aussi d’aider les journalistes qui souhaitent se rendre en Syrie même si, en ce moment, c’est particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible.

Nous sommes également très impliqués dans l’action des différentes ONG qui travaillent en faveur de la cause syrienne en France.

JOL Press : Vous évoquiez, à l’instant la vérification de l’information. Comment procédez-vous ?
 

Emma Suleiman : Nous disposons d’un réseau d’activistes qui sont répartis un peu partout en Syrie et ils vérifient les informations pour nous.

JOL Press : Comment sont-ils recrutés, ces activistes ?
 

Emma Suleiman : Certains correspondants travaillent directement pour la Coalition et sont payés par la Coalition. Pour la plupart, ils sont engagés en faveur de la révolution depuis deux ans.

Nous travaillons aussi avec d’autres réseaux comme l’Association de Soutien aux Médias Libres (ASML) – qui produit notamment une radio libre à destination de la Syrie et des Syriens. Nous les finançons mais ils ne font pas partie de la Coalition.

Nous collaborons aussi avec le Syrian Network for Human Rights – pionnier dans la fourniture d’informations émanant du territoire syrien – mais nous vérifions leurs informations grâce à nos correspondants sur le terrain.

JOL Press : C’est important la bataille médiatique dans le cadre de la révolution syrienne ?
 

Emma Suleiman : Evidemment, c’est primordial. Les médias sont sans doute une de nos principales armes. On pourrait penser que c’est sans effet puisque, après deux ans, nous ne constatons pas de réactions sérieuses de la communauté internationale, mais nous ne pouvons laisser, sans réagir, le régime de Bachar al-Assad déverser sa propagande.

JOL Press : Vous parlez de la propagande du régime de Bachar al-Assad… On pourrait vous rétorquer que vous vous livrez, vous aussi, à de la propagande…
 

Emma Suleiman : Il y a sans doute au sein de l’opposition des groupes qui se livrent à de la propagande. L’objectif de la Coalition nationale syrienne est de fournir l’information la plus proche de la vérité possible.

C’est pour cela que nous prétendons vérifier l’information.

Si vous prenez les médias français, nous constations qu’il y a un haut niveau de désinformation ou d’incompréhension. Une grande importance est donnée aux islamistes qui constitueraient l’essentiel de l’opposition – et qui justifieraient une certaine bienveillance vis-à-vis de Bachar.

Les médias internationaux se font souvent piéger. Souvenez-vous de l’histoire de la Fatwa du croissant. Une information est sortie le 30 juillet selon laquelle un groupe djihadiste d’Alep avait interdit la consommation de croissant. Immédiatement, cette information a été reprise dans le même élan par les médias internationaux. Sans la vérifier… C’est moi-même qui avait lancé l’information, totalement inventée, pour « piéger » les médias d’Assad et, par la même occasion, apporter la preuve que les informations n’étaient pas suffisamment vérifiées, et choisies en fonction d’intérêt qui n’ont rien à voir avec la réalité des faits.

Pourtant, cette « info » du croissant, il était très clair que c’était un gag…

On ne met pas l’accent, par exemple, sur le travail civil dans les zones libérées ou le rôle de l’armée de la résistance, modérée par rapport aux autres forces en présence.

JOL Press : Comment s’explique, selon vous, le comportement que vous décrivez des médias étrangers, français en particulier ?
 

Emma Suleiman : Tout d’abord, il y a le journaliste qui cherche un scoop ou à faire du « buzz » – sans vérifier l’information. Et puis cela répond sans doute aussi aux choix politiques des différents médias.

Nous ne demandons pas aux médias d’embrasser notre cause, nous demandons que l’information soit vérifiée, aussi objective que possible.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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