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Des religieux libanais et des réfugiés syriens réunis autour d’un repas

Ici, dans le nord du Liban, le district d’Akkar est parsemé de villages catholiques-maronites, sunnites, grec-orthodoxes et alaouites. La petite ville de Halba, tout au nord de ce district, n’est qu’à quinze minutes de voiture de la frontière syrienne. Le soir, les habitants de Halba entendent le bruit des échanges de tirs et des combats qui font rage en Syrie.
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Les dignitaires religieux libanais prononcent régulièrement de beaux discours sur le lien qui existe entre les trois religions abrahamiques ; ils parlent souvent aussi de coopération interreligieuse, de solidarité, de paix et d’amour universels. Mais leurs propos restent généralement lettres-mortes. Sauf, à Halba, où tout récemment, pour une fois, on ne se s’est pas contentés de dire de belles choses mais on a joint le geste à la parole. En effet, des responsables religieux libanais de cette région se sont mis d’accord pour appeler leurs communautés respectives à se réunir.

Œcuménique diner de Ramadan

Cette rencontre s’est déroulée autour d’un dîner de Ramadan, auquel participaient : un cheikh alaouite, un mufti sunnite, un évêque grec-orthodoxe, un évêque maronite, une cinquantaine de Libanais vivant dans la région, ainsi qu’une centaine de réfugiés syriens. Ce groupe inhabituel de personnes s’est retrouvé devant un joli restaurant de montagne, dans le village de Miniara, près de Halba, pour le repas de l’iftaar (qui permet aux musulmans de rompre le jeûne), montrant ainsi que les responsables religieux et les fidèles de différentes communautés peuvent très bien vivre ensemble dans la paix, s’ils le voulaient. 

Les principales communautés religieuses du district d’Akkar étaient toutes représentées au sein de ce groupe qui comptait également des réfugiés syriens arrivés quelques semaines auparavant de Qusayr, de Homs et d’autres zones de Syrie déchirées par la guerre. Les invités d’honneur étaient : le mufti sunnite et le représentant alaouite du district, l’évêque grec-orthodoxe d’Akkar et de Wadi Nasara (en Syrie) et enfin l’évêque maronite de Tripoli. 

En retrait, mais bel et bien présents, les réfugiés syriens étaient des hommes et des femmes d’âges et de milieux différents. Il y avait : Moqtada, un prof de maths, dont la jambe droite avait été déchiquetée par une balle trois mois auparavant ; Hisam l’électricien aux yeux pétillants et à la poignée de main ferme ; ou encore, Walid, champion de basket-ball, âgé de 26 ans, se déplaçant désormais en béquille, mais aussi veuf et père de cinq enfants en bas-âge – sa femme a perdu la vie au cours de la marche de huit jours jusqu’au Liban. 

Dépasser les a priori

Réunir ces réfugiés avec des membres de la communauté alaouite n’était pas une mince affaire. Les Alaouites sont souvent associés au camp du président Assad dans le conflit qui a poussé de nombreux Syriens à fuir leur pays. Lorsque le cheikh alaouite s’est levé pour prononcer un discours, sous la protection d’un membre de son équipe de sécurité qui se tenait debout derrière lui, on a ressenti une certaine tension monter dans la salle.

Le cheikh a néanmoins prononcé un discours de paix qui a paru sincère aux réfugiés, qui l’ont applaudi. D’une certaine manière, un miracle venait de se produire. 

Les réfugiés syriens semblaient vouloir qu’on reconnaisse la vérité des atrocités qu’ils avaient vécues et qu’on sache ce qu’ils ont enduré. Dans la sécurité de cette salle, ces réfugiés sentaient enfin qu’on les prenait au sérieux. Cet événement a ainsi marqué le début d’une ouverture sur d’autres rencontres éventuelles entre les différentes communautés religieuses pour parler de préoccupations communes.

Le fait que cette rencontre s’est déroulée dans le district d’Akkar et que tout s’est bien passé est particulièrement significatif. Ce district est à la fois un havre de paix pour les réfugiés – de plus en plus nombreux à affluer de Syrie – et un terrain d’entraînement pour les combattants. Il s’agit d’une des zones les plus pauvres du Liban, accueillant le plus grand nombre de réfugiés. Ici, le risque de tension est plus élevé qu’ailleurs. La situation est donc très fragile. 

Or justement, étant donné ce contexte, les habitants de ce district sont peut-être d’autant plus conscients de la nécessité de préserver la paix à tout prix. Ce repas d’iftaar et tous les efforts menés par R&R Syria, dont les membres viennent d’Europe et d’ailleurs, montrent que les responsables religieux et leurs communautés respectives peuvent bel et bien coexister dans la paix. 

Le prochain événement interreligieux organisé par R&R Syria aura lieu le 22 septembre à l’occasion de la fête chrétienne de la Sainte Moura. Des fidèles des quatre communautés religieuses ainsi que leurs responsables marcheront ensemble pour se rendre dans une église. Cette marche se clôturera par des festivités pour les enfants ainsi qu’un repas communautaire pour les marcheurs – sans doute affamés après l’effort.

* Isabella Eisenberg travaille depuis plus d’une dizaine d’années sur les questions relatives aux réfugiés et aux minorités ainsi qu’à la construction de la paix. Elle est directrice de programme et responsable des communications pour R&R Syria, une ONG dont le siège se trouve au Liban. Article écrit pour Common Ground News Service (CGNews).

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