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Syrie: et si Barack Obama cherchait uniquement à gagner du temps?

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Quand il déclarait, le 27 août, vouloir « punir » le régime syrien en représailles à l’attaque chimique perpétrée six jours plus tôt, François Hollande ne pensait certainement pas qu’en une semaine, les événements allaient prendre une telle direction.

Barack Obama a décidé de jouer la montre en demandant au Congrès son feu vert pour lancer une opération militaire et la Grande-Bretagne s’est retirée de la partie, après que la Chambre des Communes britannique a rejeté jeudi soir, par 285 voix contre 272, une motion du Premier ministre, qui défendait le principe d’une intervention militaire en Syrie. Etat des lieux de la situation avec l’historien et éditorialiste Alexandre Adler. Entretien.

JOL Press : Il y a une semaine, le scénario semblait bien établi et on pouvait imaginer qu’une coalition autour des Etats-Unis, avec la Grande-Bretagne serait aujourd’hui en train, ou sur le point, d’intervenir en Syrie. Comment expliquez-vous les incertitudes qui règnent à présent ?
 

Alexandre Adler : A l’échelle planétaire, cette hésitation est la suite de la politique menée par les Américains. Les Etats-Unis ne veulent plus entendre parler d’intervention au Moyen-Orient, en règle générale, et la Grande-Bretagne est encore plus déchaînée contre le fait d’accompagner les Etats-Unis dans des batailles qui lui semblent douteuses. La convention des oppositions de droite et de gauche, en Angleterre, a quasiment fait tomber David Cameron et on pourrait imaginer une convention des Républicains les plus isolationnistes et de la gauche du parti démocrate, au Congrès américain.

Mais quand bien même Barack Obama réussit à éviter cette humiliation, on constate une saturation des interventions américaines côté américain et britannique. Une page a été tournée ces dernières heures.

JOL Press : Y a-t-il eu, selon vous, une précipitation dans les déclarations ?
 

Alexandre Adler : Non, je pense que Barack Obama était septique à une intervention militaire depuis le début, il a parlé d’intervention à minima qui aurait des conséquences plus diplomatiques que militaires mais devant le vote des Britanniques, il en a profité pour arrêter les frais. C’est en fait une position qui se rapproche davantage de son instinct du début.

JOL Press : La perspective d’une intervention contre Bachar Al-Assad a-t-elle réveillé, au Royaume-Uni, le traumatisme de la guerre en Irak ?
 

Alexandre Adler : Bien sûr, les travaillistes se sont dressés comme un seul homme et une partie des conservateurs a estimé que l’Angleterre n’avait rien à faire dans cette bataille.

JOL Press : Quels risques prend François Hollande en s’alignant sur la position de l’administration américaine ?
 

Alexandre Adler : François Hollande a fait ce qu’il croyait devoir faire avec courage et honnêteté mais maintenant – comme l’a dit Manuel Valls – il est évident que la France ne va pas jouer les vengeurs isolés. Si les Américains décident de mettre un coup d’arrêt à l’usage des armes chimiques par Bachar Al-Assad, la France s’y associera, mais je suis très sceptique quant à la décision américaine d’intervenir. En demandant l’avis au Congrès, Barack Obama incite les parlementaires à paralyser le processus et à gagner du temps.

Barack Obama cherche une sortie diplomatique avec les Russes et les Iraniens qui le dispenserait de cette démonstration à laquelle il ne croit pas.

JOL Press : Quel jugement portez-vous sur la revendication d’un vote du parlement en France ? Ne faut-il pas y voir un risque de dénaturer les institutions et d’affaiblir le chef de l’Etat en sa qualité de chef des armées ?
 

Alexandre Adler : Il est assez amusant de voir que l’UMP, qui compte parmi ses rangs des gaullistes, milite pour un vote au parlement que Charles De Gaulle a toujours voulu éviter. Mais tout ceci est anecdotique. De même que l’intervention de la France  n’est pas très importante dans cette crise, le débat du parlement ne l’est pas non plus. Quoiqu’il arrive l’intervention en Syrie ne peut être qu’une action commune et concertée de la communauté internationale et en aucun cas une guerre ouverte. S’il y a quelqu’un à blâmer aujourd’hui c’est Barack Obama, pas François Hollande.

JOL Press : Pour justifier un vote du parlement, certains s’appuient sur des sondages qui laissent apparaître une large opposition des Français à une intervention en Syrie. Une intervention militaire doit-elle toujours être populaire ?
 

Alexandre Adler : La lâcheté, dans un pays prospère qui n’a pas connu la guerre, est une position très majoritaire. C’est la raison pour laquelle il faut souvent placer un pays devant les responsabilités qu’un gouvernement est en droit de prendre. Demander son avis à l’opinion publique dans des situations de ce genre  c’est un peu comme anesthésier quelqu’un pour opération chirurgicale et le réveiller tous les cinq minutes pour savoir se ça fait mal… Evidemment que ça fait mal !

JOL Press : Parmi les craintes exprimées, tant par les Français que par leurs représentants, celle de voir une déstabilisation de Bachar Al-Assad laisser la voie libre à l’islamisme radical. Ne serions-nous pas en train de nous tromper d’ennemi en Syrie ?
 

Alexandre Adler : C’est pour cette raison que Barack Obama avait soigneusement indiqué qu’il ne faudrait en aucun cas faire tomber Bachar Al-Assad. Si opérations militaires il doit y avoir, elles seront limitées et les Etats-Unis ne prendront pas partie dans cette guerre civile. Maintenant la question est de savoir qui nous devons soutenir. Il est évident que ni le régime de Bachar Al-Assad, ni les islamistes qui ont vu leur poids augmenter, ne sont des partenaires acceptables.

C’est précisément dans c ette logique qu’il faudrait mettre en place une conférence internationale où tous les partis seraient représentés pour faire émerger un centre modéré, aussi bien du côté de l’opposition que du côté du régime actuellement au pouvoir, qui pourrait reconstruire le pays. C’est un peu une illusion, mais on pourrait imaginer la constitution d’un gouvernement provisoire en attendant d’exclure complétement Al-Qaïda.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Alexandre Adler est, entre autres, éditorialiste au Figaro et à Europe 1. Il est spécialiste des questions de géopolitique internationale contemporaine.

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