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L’Occident normalise-t-il ses relations avec le régime d’Assad?

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JOL Press : Certaines rumeurs circulent selon lesquelles les pays occidentaux, notamment la France, reprendraient contact avec le régime de Damas. Sous quelle forme s’établissent ces relations ?
 

Alain RodierIl faut savoir que tout Etat qui détient des services spéciaux peut utiliser ses agents pour plusieurs missions. La première permet bien sûr d’obtenir des renseignements confidentiels. Une autre moins connue du grand public, consiste à entretenir ou nouer des liens avec des gens « infréquentables » sur le plan diplomatique.

Aucun Etat ne peut se permettre de ne pas entretenir des contacts avec un gouvernement en fonction ou avec une rébellion. Prenons ce dernier exemple, si la rébellion en question arrive au pouvoir, il faut bien être entré en contact avec elle au préalable et avoir mis en place les canaux nécessaires à toute communication. Rien ne s’improvise.

Les services spéciaux que tous les pays emploient ont donc une obligation de contact avec les « infréquentables », ces personnes avec lesquelles nous n’entretenons pas de relations diplomatiques normales.

JOL Press : Dans le cas de la Syrie, ce n’est donc pas le signe d’une normalisation des relations entre l’Occident et Damas ?
 

Alain Rodier : Ce n’est pas du tout un symptôme de normalisation. Il est normal de communiquer avec les gouvernements, même avec les pires, car nous ne pouvons pas savoir  ce qui se passera demain et si par exemple le clan Assad est encore au pouvoir dans dix ans, ce qui n’est pas une hypothèse à exclure, il faudra tout de même avoir gardé des relations avec eux.

Une normalisation passerait par la mise en place des circuits diplomatiques traditionnels, ce qui impliquerait la réouverture d’une ambassade ou au moins l’envoi d’un chargé d’affaires.

Les relations diplomatiques deviendraient alors officielles, mais avant que cela ne survienne, des contacts peuvent être noués par le biais de services spéciaux.

JOL Press : Néanmoins, des agents de la DGSE auraient été envoyés à Damas pour préparer « l’après » avec le régime syrien et le gouvernement aurait même accepté cet échange contre la réouverture de l’ambassade française en Syrie…
 

Alain Rodier : Que des agents de la DGSE soient allés en Syrie n’a rien d’étonnant. Comme cela a été évoqué auparavant, cela entre dans le cadre normal de ses missions.

Ce ne sont sans doute pas les seuls car nous avons également entendu parler d’agents du MI6 britannique ou de la CIA américaine qui seraient aussi rendus en Syrie du côté gouvernemental.

Ces missions sont couvertes par le plus grand secret et rien ne sera jamais officialisé. Cependant, la réouverture des représentations diplomatiques symboliserait la reconnaissance du régime en place et cela deviendrait alors un signe politique. C’est sans doute pour cela d’ailleurs que la Syrie a répondu de cette manière. Or je ne suis pas convaincu que François Hollande soit, pour le moment, décidé à franchir ce pas.

JOL Press : La Syrie est-elle un cas particulier ou cette situation s’est-elle déjà vérifiée dans le passé ?
 

Alain Rodier : Dans n’importe quelle situation, les pays continuent à entretenir des contacts. Chaque Etat est obligé d’entretenir des relations avec toute la planète, même s’il y a beaucoup à dire sur l’application des droits de l’Homme dans certains Etats. Personne ne vit vraiment dans son coin.

Souvenons-nous de la Chine après les manifestations de la place Tian’anmen. En 1989, les autorités chinoises sont devenues persona non grata chez les Français et n’ont d’ailleurs plus été conviées au manifestations officielles comme lors du 14 juillet. En langage diplomatique, on disait que les Chinois « avaient été privés de petits fours » en faisant allusion aux cocktails donnés au sein des ambassades de France Mais les autorités françaises ont quand même su garder des contacts discrets avec les autorités chinoises, ce qui a été bien utile lorsque les relations normales ont redémarré.

C’est la même chose avec l’Irak. Pendant la guerre de 1990/1991, la France a fermé son ambassade, mais elle a conservé des voies de communications discrètes pour pouvoir échanger des messages éventuels.

JOL Press : Entre l’Iran et les Etats-Unis, la rupture dure depuis plus de trente ans. A-t-on été dans un vide diplomatique total ou encore une fois, ces deux pays ont-ils poursuivi leurs relations de manière officieuse ?
 

Alain Rodier : Sans m’avancer car je n’ai pas d’informations particulières sur ce sujet, je suis quasiment persuadé que cela a également été le cas entre l’Iran et les Etats-Unis. D’ailleurs, les intérêts américains étaient représentés à Téhéran par l’ambassade suisse et il serait vraiment surprenant d’apprendre que la CIA n’ait pas entretenu de contacts avec les autorités Iraniennes.

Les pays peuvent ne rien avoir à se dire, mais c’est une sorte de « boîte aux lettres » prête à être ouverte. Tant qu’il n’y a rien à dire, cette boîte reste fermée, mais le jour où, dans un sens comme dans l’autre, un  des deux pays éprouve le besoin de communiquer, il sait par quel canal passer.

Pour plus de discrétion, c’est d’ailleurs souvent dans un pays tiers que cet échange se déroule. La Suisse, en tant que terrain neutre, a une grande réputation pour héberger ce type de communications.

Pendant la guerre Iran/Irak, l’Occident a officiellement soutenu l’Irak. Mais l’Iran a également été soutenu en sous-main par les Etats-Unis qui ont envoyé du matériel militaire aux autorités, surtout des pièces de rechange pour l’aviation qui était majoritairement d’origine américaine. 

Et ce sont ensuite les Israéliens qui ont pris la relève. Une grande partie de cette affaire, connue ensuite sous le nom de Irangate, a été négociée à Genève. Pourtant, ni les Américains, ni les Israéliens, n’entretiennent à ce jour de relations diplomatiques avec Téhéran. Cet exemple montre bien que derrière les postures officielles, tous les canaux restent toujours ouverts. Le plus surprenant, c’est que souvent les Affaires étrangères ne sont pas informés de ces circuits parallèles. Mais, cela est bien normal. Cela permet aux ministres concernés d’affirmer, la main sur le coeur: « nous n’entretenons pas de relations officielles avec untel ». Ce n’est pas faux. Juste incomplet.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

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