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Syrie: les djihadistes se battent entre eux, le régime sort renforcé

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Qui sont les différents groupes islamistes qui s’affrontent en ce moment au nord de la Syrie ?
 

Fabrice Balanche : L’Etat islamique en Irak et au Levant (EEIL) réunit contre lui de nombreuses factions islamistes qui se sont regroupées au sein du Front Révolutionnaire Syrien et de l’Armée des Mujahidin. Ils sont composés de différents groupes, en majorité salafistes, tout comme l’EEIL. Il est à noter que le Front Islamique de Syrie, la principale coalition rebelle, créé en novembre 2013, ne participe pas aux combats contre l’EIIL.

Tous sont islamistes radicaux et s’affrontent pour des questions de suprématie. L’EEIL a une politique très hégémonique et essaie, depuis plusieurs mois, de prendre le contrôle total du nord de la Syrie, notamment par les postes frontières, là où les rebelles reçoivent leurs armes en provenance de Turquie.

En coupant les autres rebelles de cette source d’approvisionnement, ils ont cherché à les obliger  à se fédérer à eux et les chefs rebelles qui ont refusé ont, pour certains, été éliminés. En réponse à cela, ils ont décidés de passer à l’offensive.

Parmi les groupes qui affrontent l’EEIL, il y aurait notamment le Front al-Nosra, qui a récemment fait allégeance à Al-Qaïda. Il n’y a donc pas de modérés dans ces affrontements. Tous sont des radicaux ?

Fabrice Balanche : L’EEIL n’est autre que le nouveau nom d’Al-Qaida en Irak, un groupe principalement composé d’étrangers venus se battre contre les Américains. Lorsque les combats ont commencé en Syrie, ils se sont imposés autour de la ville de Raqqa. C’est alors que le Front al-Nosra a fait scission et a demandé, auprès du leader d’Al-Qaïda, Ayman al Zawahiri, d’être la seule branche d’Al-Qaïda en Syrie. Nous ne savons pas exactement ce qu’il en est aujourd’hui. En novembre dernier, le successeur de Ben Laden aurait affirmé qu’Al Nosra était représentant d’Al-QaIda sur place, mais cette nouvelle n’a pas vraiment été confirmée.

Il faut bien retenir qu’il ne s’agit pas d’un conflit entre modérés et radicaux. Il ne s’agit pas d’une lutte idéologique mais d’un combat entre factions rivales pour le pouvoir au sein de la rébellion syrienne.

On a entendu que dans ce conflit les Occidentaux soutiendraient les salafistes contre les groupes directement liés à Al-Qaïda. N’est-ce pas un choix étrange ?
 

Fabrice Balanche : Pour l’Occident, Al-Qaïda est l’ennemi suprême. Et il faut évidemment le combattre par tous les moyens. En Syrie, si des groupes rebelles s’attaquent à l’EEIL, les soutenir peut paraître une bonne idée en soit mais tout le monde sait que tous ces groupes partagent la même idéologie. Ils sont même en concurrence pour prouver leur légitimité auprès d’Al-Qaïda.

Soutenir les groupes rebelles salafistes n’est sans doute pas judicieux. Mais dans le contexte syrien, et à deux semaines de la conférence Genève 2, les soutiens de l’opposition syrienne veulent prouver que les rebelles sont capables de combattre Al-Qaïda. Je soupçonne alors fortement les services saoudiens, peut-être de concert avec les Américains, de faire passer le message suivant : « si vous voulez que nous continuions à vous soutenir contre le régime de Bachar al-Assad, vous devez éliminer cet Etat islamique d’Irak et du Levant du territoire syrien ».

Ces querelles entre islamistes ne sont-elles pas une aubaine pour le régime de Bachar al-Assad qui a l’occasion de prouver sa stabilité à deux semaines de la conférence ?
 

Fabrice Balanche : Bachar al-Assad profite évidemment de ces affrontements entre rebelles pour se maintenir. Les rebelles sont aujourd’hui incapables de lancer des attaques coordonnées contre le régime et comme ces rebelles islamistes commettent des exactions, imposent la charia par la force – qu’il s’agisse de l’Etat islamique ou du front Al-Nosra – tous fonctionnent de la même manière, ces groupes servent nécessairement Bachar al-Assad puisque la population, si elle doit choisir entre le régime et ces groupes, penchera automatiquement vers le régime.

La Syrie est certes une dictature mais qui a au moins le mérite de préserver la sécurité et apporte une certaine paix dans les zones qu’il contrôle et surtout de préserver la coexistence entre les différentes communautés confessionnelles.

Dans ces circonstances, comment peut-on envisager Genève 2 ?
 

Fabrice Balanche : Cette conférence n’aboutira pas à un cessez-le-feu ou à des négociations sérieuses entre les rebelles et le régime syrien. C’est impossible car l’opposition syrienne n’est pas unie et l’opposition politique, comme la Coalition nationale syrienne, n’est pas du tout liée aux rebelles sur le terrain.

Bachar al-Assad n’a en face de lui aucun interlocuteur crédible pour négocier. Il n’a d’ailleurs aucune envie de négocier car il sait que le temps travaille en sa faveur et qu’une telle division de l’opposition, qu’elle soit politique ou militaire, gangrénée par les islamistes, lui est favorable.

Son armée continue à fonctionner et à terme, si les paramètres géopolitiques ne changent pas, si la situation reste la même, il sortira victorieux et n’a donc aucune raison de lâcher quoique ce soit vis-à-vis d’une opposition politique fantôche.

Sa politique de fermeté fonctionne sur le terrain. Lundi, dans deux quartiers de Damas (Berzeh et Maadamyeh), des rebelles ont accepté la reddition, car ils étaient encerclés et ont remis leurs armes lourdes au régime avant d’évacuer les quartiers. Privilégie la force et la négociation directe avec des petits groupes rebelles pour établir son contrôle sur le terrain est une technique qui fait ses preuves.

A quoi servira alors Genève 2 ?
 

Fabrice Balanche : Les puissances régionales et les grandes puissances internationales se réuniront pour faire suite aux accords passés entre Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et John Kerry, secrétaire d’Etat américain, en septembre 2013 et, globalement, on confirmera l’échange de l’arsenal chimique syrien contre le maintien de Bachar al-Assad au pouvoir.

Le but de Genève 2 sera donc de faire accepter aux puissances régionales et internationales cet accord américano-russe et d’imposer aux rebelles syriens de négocier avec le régime et de déposer les armes. Puisque tout le monde sait que Bachar al-Assad ne tombera pas, l’objectif désormais est de calmer le jeu dans la région.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

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