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Torture en Syrie: le rapport qui accable le régime d’Assad

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Corps mutilés, yeux désorbités, traces d’étranglement… Les 55 000 photos récoltées par trois anciens procureurs de tribunaux spéciaux internationaux font froid dans le dos. Parmi celles qu’ils ont rendues publiques dans un rapport, certaines sont insoutenables.

Le rapport, d’une trentaine de pages, rédigé à la demande d’un cabinet d’avocats londonien financé par le Qatar, a été transmis à l’ONU, à différents gouvernements et à des organisations de défense des droits de l’Homme.

Trois procureurs internationaux mènent l’enquête

Le document, publié mardi 21 janvier sur les sites du quotidien britannique The Guardian et de la chaîne américaine CNN a été élaboré par trois grands magistrats internationaux : Desmond de Silva, ancien procureur en chef du tribunal spécial pour la Sierra Leone, Geoffrey Nice, ancien procureur en chef lors du procès de l’ex-président yougoslave Slobodan Milošević, et David M. Crane, qui a notamment inculpé le président libérien Charles Taylor devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone.

Selon les photos et informations rapportées par un déserteur syrien, qui a transmis ces documents aux enquêteurs via une clé USB, 11 000 prisonniers, morts dans un seul endroit dont le lieu n’a pas été révélé pour des questions de sécurité, ont subi des tortures et des exactions dans les prisons du régime de Damas.

Nom de code : « Caesar »

« Le transfuge, que l’équipe d’enquêteurs a rebaptisé sous le nom de code « Caesar » a, au cours de son travail, exporté clandestinement quelques dizaines de milliers d’images de cadavres photographiés par ses collègues et lui-même », expliquent les magistrats dans le rapport.

« Ayant interrogé attentivement « Caesar » et évalué son témoignage à la lumière des pièces à sa disposition, l’équipe chargée de l’enquête le considère comme un témoin fidèle et crédible. Il n’a révélé aucun signe de « sensationnalisme » et ne semble pas prendre parti », ajoutent les enquêteurs.

« Bien qu’il ait été un partisan de ceux qui s’opposent au régime actuel [de Bachar al-Assad], l’équipe chargée de l’enquête est convaincue qu’il a donné un compte rendu honnête de ses expériences. S’il voulait exagérer son témoignage, il aurait été très facile pour lui de dire qu’il avait été témoin de ces exécutions. En fait, il est assez clair qu’il n’a jamais assisté à une seule exécution », précisent-ils.

Un travail éprouvant psychologiquement

« Caesar », qui était chargé de photographier les détenus une fois morts, a été interrogé par les enquêteurs à plusieurs reprises, les 12, 13 et 18 janvier. Il a notamment expliqué qu’après le soulèvement contre le régime d’Assad, prendre des photos de détenus torturés et tués pendant leur détention était devenu une routine.

Les personnes exécutées étaient photographiées à la fois pour permettre d’établir un certificat de décès sans que les familles n’aient besoin de voir le corps, évitant ainsi aux autorités syriennes d’avoir à donner un compte rendu exact des raisons du décès, et pour confirmer également que les ordres d’exécution de ces prisonniers avaient bien été appliqués.

Un travail qui, selon « Caesar », était très éprouvant psychologiquement pour lui et ses collègues. Sur les photos, on découvre en effet les corps terriblement émaciés de prisonniers syriens – tous des hommes – présentant des plaies, des marques d’électrocution, de strangulation ou encore de lacération.

Des images examinées par des experts médicaux

« Nous avons fait appel à une équipe très expérimentée de médecins légistes, danthropologues et un expert en évaluation de manipulation photographique », explique David M. Crane, interrogé par JOL Press.

Une fois numérisées et vérifiées, les images des cadavres ont été examinées une première fois par deux experts médicaux, le Dr Stuart Hamilton et le professeur Sue Black, qui n’avaient pas pris connaissance au préalable des détails apportés par « Caesar », puis par un troisième médecin légiste.

Les experts, qui ont uniquement examiné les signes physiques, savaient juste que les images avaient été prises en Syrie pendant la période de conflit armé. Ils étaient donc conscients que la possibilité de blessures apparentes pouvait être le résultat d’une action militaire légitime.

Crimes contre l’humanité

« Après avoir vu tant de ses compatriotes morts, « Caesar » a estimé qu’il était de son devoir de sortir ces photos de Syrie pour que le monde sache ce qui se passait vraiment » et obtenir justice, indique David M. Crane. Craignant pour sa vie et celle de sa famille, il a ensuite décidé de s’échapper de la Syrie.

Dans ses conclusions, l’équipe chargée de l’enquête écrit que ces photos et le témoignage de Caesar peuvent être considérés comme recevables par un tribunal, et permettent d’accuser le régime syrien de tortures systématiques et de meurtres de prisonniers. De telles données permettent également d’appuyer les accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre perpétrés par le régime syrien actuel.

Le rapport des juristes américains fait partie d’un vaste travail de recherche de données sur les atrocités commises depuis le début du conflit syrien, afin de dresser un « inventaire » des crimes commis en Syrie depuis maintenant bientôt trois ans. Les données ainsi récoltées permettent aux juristes d’écrire des ébauches d’actes d’accusation, en prévision du jour où les Syriens seront prêts à faire appel à la Justice internationale.

Le rapport a été présenté par le leader de lopposition syrienne lors de la conférence Genève 2 en Suisse. Selon David M. Crane, si les commenditaires du rapport ont choisi de le rendre public, cest avant tout pour qu’il puisse être utilisé « pour montrer le vrai visage d’Assad et son intention réelle dans la résolution de la guerre civile… Tuer ses citoyens pour rester au pouvoir ».

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