Site icon La Revue Internationale

Droit des femmes en Arabie Saoudite : la lente révolution

[image:1,l]

En Arabie Saoudite, des femmes, venues de tous les milieux sociaux, refusent l’ordre établi et se battent pour leurs droits, souvent à leurs risques et périls (Crédits : shutterstock.com)

Pour la première fois, huit femmes acceptent de parler de leurs luttes, de leurs revendications, de leurs victoires mais aussi de leurs échecs. Sans tabou et sans fard. Parmi elles, Manal al-Sharif, icône du mouvement « Women2drive », incarcérée pour avoir conduit « au nez et à la barbe » de la police religieuse (l’Arabie Saoudite est le dernier pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire). Haifaa al-Mansour, réalisatrice, et son combat pour monter son film Wadjda, reflet de cette société saoudienne au féminin, étriquée et corsetée. Princesse Adela bint Abdallah bin Abdullaziz bin Saud, est la fille de l’actuel roi d’Arabie Saoudite, une femme discrète mais très active. Son discours sur la politique de son pays est sans ambages et sans concessions…

Toutes nous montrent qu’il se passe beaucoup de choses sous ces voiles noirs hermétiquement clos, et que les saoudiennes, à pas de fourmis, repoussent chaque jour un peu plus la loi des hommes pour avoir le droit à une vie digne. Ces témoignages bouleversants changeront, c’est sûr, notre regard sur ces femmes voilées et sur leur pays, que nous connaissons finalement si mal.

Extraits de Révolution sous le voile, de Clarence Rodriguez (Editions First – février 2014)

« Eh bien, Adela, vous devez vous douter que je vais commencer par vous parler du 26 octobre…

— Ah oui, le 26 octobre, évidemment ! », a-t-elle fait sur un ton mi-résigné, mi-agacé. » Mais elle n’a rien ajouté, et j’ai dû préciser les choses. Il n’était en effet question que de ce prochain 26 octobre sur les réseaux sociaux, car un groupe de femmes avait lancé un appel à prendre le volant ce jour-là dans tout le royaume. Une pétition réclamant le droit de conduire pour les femmes avait déjà recueilli plus de seize mille signatures sur Facebook.

[image:2,s]Et, depuis quelque temps, on pouvait à nouveau visionner sur YouTube (pendant quelques jours, avant qu’elles ne soient bloquées par la censure) des vidéos de femmes se filmant sur leur téléphone portable en train de conduire – avec, nouveauté notoire, des conducteurs hommes levant parfois le pouce pour les encourager lorsqu’ils les dépassaient. Bref, après les pionnières de 1990 et le mouvement « Women2Drive » du printemps 2011, la troisième grande campagne pour le droit des femmes à conduire était en cours et le samedi 26 octobre 2013 devait en être le point d’orgue.

 « Quel est votre point de vue sur cette question ? Et pensez-vous que la mobilisation prévue pour cette date puisse faire avancer les choses ?

— Écoutez, je vais être très franche, m’a répondu la princesse avec vivacité en arabe comme elle devait le faire par la suite à presque toutes mes questions, pour être plus à l’aise et pouvoir exprimer sa pensée plus à fond qu’en anglais. D’une part, je souhaite qu’on dépasse cet obstacle le plus vite possible. Mais, d’autre part, je ne pense pas que ce sujet mérite pareil élan. Qu’est-ce qu’une voiture ? Une machine, un outil qui doit être mis au service de toute personne voulant se déplacer. Je ne comprends pas que cet objet puisse rester pour certaines mentalités rigides un tel enjeu qu’il faille interdire son utilisation par les femmes. Il est à noter par ailleurs que nous avons un grand nombre d’étudiantes boursières à l’extérieur du royaume, dont 90 % conduisent elles-mêmes leur voiture sans que cela crée de problèmes à quiconque.

— Vous voulez donc dire que vous soutenez la revendication de ces femmes ?

— Je soutiens l’idée de conduire pour les femmes. Mais il existe plusieurs scénarios et différents procédés pour la réaliser. La bonne méthode consiste à suivre les canaux officiels existants. Certainement pas à se lancer dans des défis et des affrontements stériles. Je déteste la confrontation que je juge contre-productive, je préfère la discussion à la confrontation.

— Oui, mais les années passent et le problème perdure. Comment les femmes doivent-elles donc s’y prendre pour obtenir ce droit de conduire ? Que proposez-vous ?

— Beaucoup d’observateurs soulignent le grand rôle joué par les médias dans cette affaire. Quand des débats sont organisés à la radio ou à la télévision sur le sujet, il devient plus abordable et acceptable au niveau de l’en- semble de la société. En fait, plus ce sujet fait débat dans l’opinion, plus ce débat a de chances d’être porté à la Choura afin que ses représentants y trouvent des solutions adéquates et fassent des propositions concrètes au roi.

— Mais montrer des vidéos sur Internet alimente aussi ce débat. Par exemple, celles où des femmes apprennent à conduire à d’autres femmes. Un rôle de monitrices d’auto- école plutôt drôle et paradoxal si l’on pense que ces femmes ne sont pas censées savoir conduire, n’y étant pas autorisées.

— Oui, il y a là un vrai problème. Un problème très concret qui fait partie du problème théorique global. Car nous n’avons pas d’auto-écoles à proposer aux femmes aujourd’hui dans notre pays. En admettant, comme je le souhaite, que l’idée de la conduite des femmes fasse son chemin dans la société quand l’opinion aura constaté qu’elle n’entraîne aucune conséquence fâcheuse et que la voiture n’est qu’un moyen de transport socialement neutre pouvant être utilisé par tout le monde, il restera néanmoins à mettre en place des centres d’auto-école pour que les femmes puissent apprendre pratiquement à conduire.

————————–

Journaliste indépendante, Clarence Rodriguez est la seule à être accréditée permanente en Arabie Saoudite, où elle suit l’actualité du royaume Wahabbite pour France Info, France Inter, France Culture,RFI, LE PARISIEN, ELLE, BFMTV, FRANCETV, TV5MONDE, la Radio Suisse Romande et Radio Canada.

Quitter la version mobile