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En Arabie Saoudite, elle défie la police religieuse en prenant le volant

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En Arabie Saoudite, des femmes, venues de tous les milieux sociaux, refusent l’ordre établi et se battent pour leurs droits, souvent à leurs risques et périls (Crédits : shutterstock.com)

Pour la première fois, huit femmes acceptent de parler de leurs luttes, de leurs revendications, de leurs victoires mais aussi de leurs échecs. Sans tabou et sans fard. Parmi elles, Manal al-Sharif, icône du mouvement « Women2drive », incarcérée pour avoir conduit « au nez et à la barbe » de la police religieuse (l’Arabie Saoudite est le dernier pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire). Haifaa al-Mansour, réalisatrice, et son combat pour monter son film Wadjda, reflet de cette société saoudienne au féminin, étriquée et corsetée. Princesse Adela bint Abdallah bin Abdullaziz bin Saud, est la fille de l’actuel roi d’Arabie Saoudite, une femme discrète mais très active. Son discours sur la politique de son pays est sans ambages et sans concessions…

Toutes nous montrent qu’il se passe beaucoup de choses sous ces voiles noirs hermétiquement clos, et que les saoudiennes, à pas de fourmis, repoussent chaque jour un peu plus la loi des hommes pour avoir le droit à une vie digne. Ces témoignages bouleversants changeront, c’est sûr, notre regard sur ces femmes voilées et sur leur pays, que nous connaissons finalement si mal.

Extraits de Révolution sous le voile, de Clarence Rodriguez (Editions First – février 2014)

Je me rendais de plus en plus compte qu’en tant que femme, je me trouvais emprisonnée sous un plafond de verre, n’arrivant à travailler ni comme psychologue ni comme vraie professionnelle dans la photographie. Tout me prouvait jour après jour que mes possibilités de développement personnel étaient clairement limitées – pour ne pas dire tout à fait nulles. C’est alors – le 9 novembre 1990 exactement – que je reçus un coup de téléphone de mon amie Reem m’annonçant qu’un groupe de femmes allait se réunir le jour même dans l’intention d’exprimer ses griefs sur la situation qui leur était faite dans le royaume. Curieuse et excitée, je me rendis à l’adresse que Reem m’avait indiquée et débarquai dans un local en sous-sol rempli de femmes, que pour la plupart je ne connaissais pas.

[image:2,s]Quelle révélation et quel bonheur ! Je fus aussi surprise qu’heureuse de découvrir toutes ces femmes qui prenaient la parole pour dénoncer la condition qui leur était imposée. Tour à tour, chacune d’elles disait comment les hommes et la tradition pesaient sur elle comme un couvercle étouffant. On entendait alors s’élever des cris d’indignation tandis que l’oratrice était chaleureusement applaudie. Moi aussi, je me levai pour expliquer tous les obstacles auxquels je me heurtais pour travailler comme je voulais, et je fus applaudie comme les autres. À la fin de la réunion nous tombâmes toutes d’accord pour briser le silence qui nous entourait. « Il faut faire du bruit ! Il faut que toute l’Arabie Saoudite entende que les femmes ont une voix ! » Choisissant un mode d’action spectaculaire, nous décidâmes que nous allions conduire ouvertement des voitures, ce qui nous était interdit par un décret datant du début des années quatre-vingt. Une manière à la fois concrète et symbolique d’exprimer notre besoin d’indépendance tous azimuts en tant qu’êtres humains.

Ce qui nous donna cette idée, c’était qu’à ce moment-là, on voyait tous les jours des femmes soldates américaines conduire des véhicules militaires dans les rues de Riyad ; de nombreuses troupes américaines étaient en effet stationnées dans le royaume en raison de la première guerre du Golfe consécutive à l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Nous exécutâmes notre projet dès le lendemain. Le 10 novembre 1990, nous fûmes au total quarante-sept femmes, réparties dans quinze voitures, à sillonner les rues de Riyad en une manifestation pacifique. La police finit par nous interpeller sur le parking d’un supermarché près de la grande artère commerçante, Olaya. Les agents se montrèrent très grossiers, ils nous insultèrent, relevèrent notre identité et ne consentirent à nous laisser repartir que quand nos maris vinrent nous chercher. On peut dire que, ce 10 novembre 1990, à sa façon, est une date historique : notre manifestation a marqué ce jour-là la naissance d’un mouvement féministe en Arabie Saoudite.Mais qu’allait-il se passer ensuite ?

Mon mari et moi étions effrayés des conséquences de mon action ; mais, malgré toutes mes appréhensions, je sentais que, sur le fond, je n’avais rien à perdre : la vraie défaite aurait consisté à rester sans rien faire alors que les barrières dressées de toutes parts autour de ma condition de femme m’empêchaient de vivre ! La répression ne se fit pas attendre. Plusieurs des participantes à la manifestation qui travaillaient comme fonctionnaires dans des administrations furent chassées de leur poste sans autre forme de procès ; et les maris de certaines d’entre elles furent même menacés d’être déchus de leur nationalité saoudienne – pour n’avoir pas su, en somme, soumettre leur épouse à la tradition comme de bons patriotes ! Le grand mufti, suprême autorité religieuse du royaume, lança de son côté une fatwa nous stigmatisant comme de mauvaises musulmanes…

Quant à moi, le gouvernement fit carrément saisir dix jours plus tard tous mes clichés et négatifs avant de les brûler en autodafé. Et il me notifia formellement l’interdiction d’exercer toute activité professionnelle de photographe, puisque je ne possédais pas de licence officielle. Mes dix années de travail en tant que photographe se trouvèrent ainsi réduites en cendres. Il y avait de quoi se sentir désespérée. Néanmoins, en examinant la situation, je me dis simplement que ce n’était pas moi qu’on avait brûlée. Dieu merci, j’étais saine et sauve ! Vivante et toujours combative. Une sorte de fureur m’habitait, mais je décidai de la tourner en énergie positive.

On voulait m’empêcher de travailler comme photographe ? Très bien ! Alors, désormais, je créerai comme photographe, et à cela, personne ne pourrait rien trouver à redire ! Je me rendis immédiatement à Draaya dans l’idée d’immortaliser sur ma pellicule des femmes vêtues de tenues saoudiennes traditionnelles. Je les photographiai pendant une semaine sans m’arrêter. Ce projet eut sur moi l’effet d’une thérapie en ce qu’il m’autorisa à faire jaillir mes émotions sous une forme d’expression élaborée.

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Journaliste indépendante, Clarence Rodriguez est la seule à être accréditée permanente en Arabie Saoudite, où elle suit l’actualité du royaume Wahabbite pour France Info, France Inter, France Culture,RFI, LE PARISIEN, ELLE, BFMTV, FRANCETV, TV5MONDE, la Radio Suisse Romande et Radio Canada.

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