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La Russie place ses pions en Egypte, aux dépens de Washington

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Les autorités russes ont apporté leur soutien officiel à la candidature du maréchal al-Sissi en Egypte. Quels sont les intérêts de la Russie derrière ce soutien ?
 

Mikhail Egorov : Je pense que cela est avant tout dû au fait que la Russie souhaite la stabilité à l’Egypte et au peuple égyptien. Il ne faut pas oublier que l’Egypte est le pays le plus peuplé du monde arabe et l’un des plus peuplés d’Afrique. L’Egypte est également la principale force armée sur le continent africain et au sein des pays arabes. Tous les derniers événements d’instabilité qui ont secoué ce pays ne peuvent laisser la Russie indifférente. En général, la Russie suit de près le développement de la situation dans tout le Moyen-Orient. En ce qui concerne le maréchal al-Sissi, on sait qu’il est aujourd’hui une personnalité très populaire en Egypte. On sait également qu’il a joué un rôle clé dans la destitution de l’ex-président du pays, issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi. C’est bien connu qu’en temps de crise, l’armée égyptienne joue le rôle crucial de stabilisateur. C’est une institution clé en Egypte.

Pour les Russes, il s’agit avant tout d’une question de stabilité aussi bien pour l’Egypte que pour toute la région du Moyen-Orient. Et le président Vladimir Poutine n’a pas manqué de le rappeler lors de sa toute récente rencontre avec al-Sissi : « La stabilité de la situation dans tout le Moyen-Orient dépend largement de la stabilité en Egypte ».

On peut également imaginer que Vladimir Poutine comprend mieux que quiconque le rôle joué par al-Sissi dans son pays. Car bien que l’Egypte et la Russie aient chacun des particularités clairement distinctes, il faut se rappeler que lorsque le président a accédé au pouvoir en Russie, le pays se trouvait alors en situation pratiquement catastrophique et l’a redressé par la suite. L’Egypte traverse aujourd’hui une période difficile de son histoire et a clairement besoin aussi de stabilité et de redressement.

D’une manière générale, quels sont les intérêts économiques de la Russie en Egypte ?
 

Mikhail Egorov : L’Egypte est le principal partenaire économique de la Russie dans le monde arabe et en Afrique. Les deux pays coopèrent dans de nombreux domaines. Dans le domaine de l’agriculture par exemple, l’Egypte est un important acheteur de blé russe. En ce qui concerne les ressources naturelles, de grandes entreprises russes telles que Lukoil, Novatek et d’autres ont investi des sommes considérables dans l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures, de l’or et d’autres minéraux en Egypte.

Les entreprises de Russie investissent également dans le secteur touristique égyptien, notamment dans l’infrastructure hôtelière. Pour rappel, en termes quantitatifs, les touristes russes sont de loin les plus nombreux en Egypte (le pays étant par ailleurs dans le top 3 des principales destinations des touristes russes avec la Turquie et la Chine). La coopération dans le domaine militaire est elle aussi à l’ordre du jour. Et à l’occasion de la très récente visite du maréchal al-Sissi et du ministre égyptien des Affaires étrangères Nabil Fahmi, selon diverses sources, l’Egypte achètera à la Russie de l’armement pour plus de 3 milliards de dollars.

Cette démarche participe-t-elle également d’une lutte plus générale contre l’islamisme dans la région ?
 

Mikhail Egorov : Je pense que oui. Nous avons tous vu les méfaits de l’intégrisme islamiste en Syrie. Nous avons également vu le danger que représentent les extrémistes religieux pour l’Egypte. D’ailleurs à l’instar de la Syrie, l’Egypte compte elle aussi une importante minorité chrétienne dans sa population. Des chrétiens qui restent la cible privilégiée des extrémistes, en premier lieu salafistes. Evidemment, la Russie ne peut ignorer tous ces faits. Elle se doit d’avoir donc une approche cohérente et juste dans la lutte contre ce fléau, surtout compte tenu de ce qui s’est passé et se passe encore dans une moindre mesure en Syrie. Cela correspond parfaitement à son souhait de voir la paix et la stabilité au Moyen-Orient.

La Russie semble également prendre l’ascendant sur les Etats-Unis en Egypte. Tente-t-elle de concurrencer Washington dans toute la région ?
 

Mikhail Egorov : La Russie est dorénavant un acteur global. Et être un acteur global dans les relations internationales signifie être compétitif dans pratiquement tous les domaines et dans pratiquement toutes les régions du monde, sans exception. Si cela rejoint la volonté des autorités et du peuple égyptien, cela ne peut alors qu’être productif. Le fait que la Russie soit devenue un acteur clé dans toute la région du Moyen-Orient, y compris grâce à son rôle positif pour les initiatives de paix en Syrie, est indéniable aujourd’hui. Et à mon avis, cela ne fera que se poursuivre. Aussi bien au niveau de la région stratégique du Moyen-Orient que du monde entier. Aux dépens des intérêts de Washington ? C’est très possible. Nous sommes aujourd’hui dans un monde multipolaire. 

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