Site icon La Revue Internationale

Tirs et représailles: Israël va-t-il être entraîné dans la spirale syrienne?

[image:1,l]

JOL Press : Pourquoi le plateau du Golan a-t-il récemment fait l’objet de « tirs croisés » entre Israël et la Syrie ?
 

Sébastien Laugénie : Le plateau du Golan [dont l’annexion par Israël n’est pas reconnue par la communauté internationale, ndlr] a été calme pendant 40 ans, depuis la fin de la guerre des Six Jours remportée par Israël en 1967. Jusqu’à présent, la situation sécuritaire était sous contrôle. Mais depuis le début du conflit syrien il y a trois ans, près de 80 incidents ont été répertoriés par l’armée israélienne. C’étaient essentiellement, du côté syrien, des tirs involontaires, des obus de mortiers et tirs à l’arme lourde destinés à rester en territoire syrien (entre les rebelles et le régime), mais qui pour des raisons souvent balistiques se retrouvaient à la frontières israélo-syrienne. Israël a donc répliqué une dizaine de fois, par des tirs d’artillerie assez simples sur les positions qu’il suspectait être à l’origine de ces tirs involontaires.

La situation s’est dégradée depuis quelques mois, notamment depuis décembre, quand le Hezbollah, le bras droit du régime de Bachar al-Assad, impliqué dans la guerre, a tenté à plusieurs reprises de s’en prendre aux forces israéliennes. Jusqu’à présent, on pensait que le Hezbollah était plus occupé à se battre contre les rebelles syriens, mais historiquement, son agenda politique est basé sur la lutte contre Israël. Le Hezbollah s’en est donc pris à l’armée israélienne de façon épisodique à la frontière libanaise ou à la frontière syrienne. Dernier incident en date : celui de la nuit de mardi à mercredi, pour lequel le Hezbollah reste très suspecté.

L’armée israélienne a donc décidé de répliquer quelques heures après, et cette réplique n’a plus rien à voir avec des petits tirs d’artillerie : ce sont vraiment des représailles beaucoup plus lourdes, adressées directement au régime de Bachar al-Assad. Israël pense en effet qu’il est en partie responsable de ce qui s’est passé mardi. Il a ainsi décidé d’envoyer un message de fermeté dans une ampleur beaucoup plus grande que ce que l’on avait pu voir jusqu’alors.

JOL Press : Comment l’attitude d’Israël vis-à-vis de la Syrie a-t-elle évolué depuis le début du conflit syrien ?
 

Sébastien Laugénie : Techniquement, les deux États sont en guerre puisqu’il n’y a pas eu d’accord de paix en 1967. Pendant 40 ans, les deux États se sont entendus officieusement pour ne pas entrer en confrontation, mais la guerre en Syrie est venue bouleverser cet état de fait. Israël ne s’est jamais prononcé de façon officielle, en tant qu’Etat, par rapport à ce conflit. La politique israélienne à l’égard de la Syrie a néanmoins évolué suivant trois phases depuis trois ans.

« The devil we know »

Au début des révolutions arabes, Israël a fait preuve d’une certaine inquiétude par rapport à ce qui se passait en Égypte puis en Syrie. Car jusqu’à présent, ces régimes qui l’entourent – égyptien, syrien, et dans une moindre mesure, jordanien – étaient des régimes stables. Les révolutions arabes ont déstabilisé ces régimes et, pour Israël, d’un point de vue stratégique, ce n’est pas souhaitable. Il vaut mieux pour lui avoir un voisin qui mène une politique autoritaire et antidémocratique plutôt que d’avoir une révolution à ses portes, qui risque de mettre au pouvoir des personnes que l’on ne connaît pas. Israël disait ainsi préférer le « mal qu’il connaissait ». Israël voyait alors d’un assez mauvais œil le fait que le régime de Bachar al-Assad soit déstabilisé par les rebelles.

Mais voyant que les rebelles commençaient à gagner du terrain et à remporter quelques victoires, Israël a commencé à envisager que le renversement du régime de Bachar al-Assad pouvait être un moindre mal. Car le régime syrien est quand même l’un des principaux alliés de l’Iran dans la région, un des piliers de l’axe chiite, et l’Iran est l’« ennemi numéro 1 » d’Israël. Affaiblir la Syrie, d’une certaine façon, c’était affaiblir le camp iranien. Pendant un temps, Israël a donc plutôt été favorable aux rebelles, sans pour autant les soutenir. La seule chose qu’ils font aujourd’hui concrètement est de permettre à certains rebelles et à certains Syriens de traverser la frontière pour venir se faire soigner en Israël.

Plus récemment, maintenant que la situation semble totalement bloquée voire redevient favorable à Bachar al-Assad, pour Israël, ce qui l’arrange le plus, c’est de voir ses pires ennemis s’entretuer. À savoir : d’un côté le camp de Bachar al-Assad soutenu par le Hezbollah, et de l’autre des jihadistes qui pourraient potentiellement devenir une menace pour Israël. Il commence donc à revenir à l’hypothèse de départ : Bachar reste au pouvoir, sans que ce ne soit trop grave pour Israël parce que le régime syrien serait affaibli.

JOL Press : Y a-t-il un vrai risque d’escalade des tensions entre Israël et la Syrie ?
 

Sébastien Laugénie : Selon les commentateurs israéliens, on a franchi un nouveau pas dans la confrontation. L’attaque de mardi soir était une embuscade bien préparée, très professionnelle. Certains médias arabes parlent même de risque de prise d’otages, ce qu’exclue totalement l’armée israélienne. Les représailles sont de beaucoup plus grande ampleur qu’elles ne l’étaient jusqu’à présent. Ce sont des bombardements sur des QG, sur des camps d’entraînement, sur des batteries d’artillerie…

Est-ce qu’Israël va pour autant être entraîné dans le conflit syrien ? C’est difficile à dire, même s’il y a un vrai risque que ce conflit syrien finisse par déborder de façon beaucoup plus violente sur le territoire israélien. Jusqu’à présent, c’étaient des tirs involontaires, des petits obus qui n’ont jamais fait de morts. On peut aussi envisager que les jihadistes, qui contrôlent 70% de la frontière israélo-syrienne, aient ensuite envie de continuer leur combat en Israël même si pour l’instant, leur priorité c’est la Syrie et le renversement de Bachar al-Assad. Il est clair que la situation sécuritaire se dégrade et il y a un vrai risque qu’Israël soit entraîné un peu malgré lui dans le conflit.

JOL Press : Comment la population israélienne perçoit-elle cette guerre en Syrie, aux portes d’Israël ?
 

Sébastien Laugénie : Il y a eu, à la fin du mois d’août dernier, quand la question s’est posée d’intervenir contre Bachar al-Assad après les attaques chimiques, un vrai mouvement de panique dans la population israélienne. Les gens se sont jetés subitement sur les réserves de masques à gaz. Il y a vraiment eu un moment où la population a senti que la guerre était à ses portes, mais c’est bien la seule fois.

Globalement, ce conflit inquiète peu les Israéliens « de la rue ». C’est évidemment différent pour les politiques et les militaires qui, eux, sont très attentifs à la façon dont les choses avancent. Mais globalement, on ne peut pas dire que ce conflit qui est aux portes d’Israël soit l’objet d’une grande obsession sécuritaire dans le pays. Il l’est en tout cas beaucoup moins que la menace iranienne ou les tensions avec Gaza.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

———————————————–

Sébastien Laugénie est correspondant à Jérusalem pour Radio France.

Quitter la version mobile