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Travailleurs indonésiens en Arabie Saoudite: de l’esclavage moderne ?

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JOL Press: Vous avez été amenée à interviewer les travailleurs indonésiens en Arabie Saoudite. Comment sont-ils traités par leurs employeurs ?

Nisha Varia :  La plupart des employeurs gardent les passeports de leurs travailleurs domestiques. Ils les exploitent et peuvent exiger d’eux qu’ils travaillent sans compter leurs heures, sans jours de repos, et peuvent leur interdire de quitter la maison tout seul. Il arrive également qu’ils ne les payent pas pendant plusieurs mois, mais en une fois. Les employeurs abusifs peuvent insulter, humilier, et menacer les domestiques ou encore de les priver de nourriture. Nous avons également recensé des cas graves de violence physique, de viol et de femmes détenues dans des conditions qui s’apparentent à l’esclavage.

JOL Press: Jakarta et Riyad ont enfin signé accord pour améliorer les conditions de vie des migrants : un progrès majeur pour les travailleurs domestiques ?
 

Nisha Varia : Effectivement, mardi 18 mars, l’Indonésie et l’Arabie Saoudite ont signé un accord bilatéral indiquant que les femmes indonésiennes qui travaillent comme domestiques dans les maisons saoudiennes pourront désormais garder leurs passeports, communiquer avec leurs familles, recevoir un salaire mensuel, et bénéficier de jours de repos.

JOL Press: Pourquoi sont-ils si nombreux à émigrer en Arabie Saoudite? 

Nisha Varia : Les femmes émigrent généralement vers l’Arabie saoudite en tant que travailleurs afin de soutenir leurs familles restées au pays. Elles essaient de payer les frais de scolarité de leurs enfants, les réparations de leur maison, ou les coûts médicaux pour un membre de la famille.

JOL Press: Combien sont-ils aujourd’hui en Arabie Saoudite ?
 

Nisha Varia : Les travailleurs domestiques indonésiens sont des centaines de milliers en Arabie Saoudite. Au total, on estime aujourd’hui entre 1,5 et 2 millions le nombre de travailleurs issus de différents pays dans le royaume wahhabite. 

JOL Press: Quelles sont les conséquences du système de parrainage,  dit « kafala », sur ces travailleurs ?

Nisha Varia : Dans le système « kafala » en vigueur en Arabie Saoudite, comme dans les pays du Golfe, le visa du travailleur domestique dépend de l’employeur. Les employées de maison ne peuvent donc pas changer de travail ou quitter le pays sans obtenir au préalable l’autorisation de leur patron. Cela donne un immense contrôle et pouvoir à l’employeur…Les travailleurs indonésiens sont eux traités comme des délinquants de l’immigration et peuvent arrêtés, détenus ou expulsés.

JOL Press :  Comment Jakarta vient-il en aide aux indonésiens en Arabie Saoudite ? L’Indonésie ne dispose pas d’une politique de protection des migrants ?

Nisha Varia : En août 2011, face à l’indignation croissante, le gouvernement indonésien avait interdit l’émigrations vers l’Arabie saoudite pour le travail domestique. L’Indonésie a révisé sa loi sur l’immigration pour tenter de mieux réguler le processus de recrutement avant que les travailleurs migrent. Jakarta a également amélioré certains services de soutien offerts aux migrants dans ses ambassades et consulats dans les pays d’accueil tels que l’Arabie Saoudite. D’autres mesures telles que la création d’un contrat de travail bilatéral avec l’Arabie saoudite avec des protections supplémentaires ont été mises en place. Des ONG indonésiennes se battent au quotidien pour appeler le gouvernement à être plus réactif et protéger davantage ses migrants. Mais toutes ces mesures sont insuffisantes pour répondre aux violations graves et complexes auxquelles sont confrontés les travailleurs domestiques migrants. Le gouvernement doit être plus ferme et proposer des réformes plus sérieuses.

JOL Press : Des ONG ont en effet dénoncé les mauvais traitements réservés aux migrants. Comment s’activent-elles concrètement pour leur venir en aide ?  

Nisha Varia : Les nombreuses restrictions dans le royaume, rendent difficile le travail des ONG ou des militants des droits humains. Beaucoup risquent des représailles pour leur travail. Comparé à la plupart des pays, il y a très peu de gens capables d’œuvrer sur le terrain pour fournir des services et une assistance essentielle. La plupart des groupes de travail sur ces questions sont basées dans les pays d’origine, comme les Philippines et l’Indonésie : il est donc difficile pour eux d’aider les migrants pris au piège en Arabie Saoudite, victime de la violence de leurs employeurs.

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