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1 million de réfugiés syriens au Liban: le pays au bord de l’implosion?

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JOL Press : Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, le nombre de réfugiés syriens au Liban a récemment dépassé le million. Quelle est leur vie sur place ? Comment parviennent-ils à survivre ?
 

Alexandre Morel : Leur situation est très compliquée au Liban. Un grand nombre de réfugiés habitent dans des camps informels ou dans des logements qu’ils louent à des prix relativement élevés. Ils ont accès de manière très limitée aux services compte tenu de leur nombre. 1 million de réfugiés au Liban représente tout de même près de 25% de la population libanaise. Les infrastructures existantes sont complètement dépassées et le Liban a besoin de soutien pour cela. Les conditions de vie et de logement sont souvent insalubres.

Nous avons par exemple visité une famille avec six enfants, qui vivait à Beyrouth dans une pièce de 10 mètres carrés avec de la moisissure sur les murs, des fenêtres sans vitres, un sol humide et juste deux lits. C’est un exemple du type de conditions de vie qu’ils peuvent avoir. Il y a également des problèmes d’accès à la nourriture : cette même famille disait qu’elle n’avait de quoi se payer qu’un seul repas par jour, ce qui est évidemment insuffisant. Il y a enfin un problème d’accès à l’école pour leurs enfants, puisqu’ils n’ont pas d’argent pour les inscrire, et cela aura un impact important sur l’avenir de ces enfants.

JOL Press : Existe-t-il des initiatives solidaires créées au sein de ces camps informels par certains réfugiés syriens ou par des Libanais sur place ?

Alexandre Morel : En visitant certains de ces camps informels, j’ai vu qu’il existait une solidarité entre les familles. Mais cette solidarité se limite aux moyens qu’ils ont. Il y a aussi de la part de la population libanaise, depuis le début de la crise, une volonté d’accueillir et de soutenir ces populations syriennes, que ce soit via les infrastructures existantes ou de manière individuelle. Les choses ont néanmoins changé par rapport à 2012-2013, où il y avait 100 000 réfugiés syriens au Liban. La capacité d’accueil et la générosité vis-à-vis des Syriens est complètement dépassée.

Sur le million de réfugiés syriens, à peu près la moitié sont des enfants. 40% d’entre eux, qui ont entre 0 et 11 ans (environ 400 000), devraient aller à l’école. Or, si l’on regarde la population libanaise correspondante, ils sont 300 000 Libanais à aller à l’école. Le nombre d’enfants syriens de cet âge dépasse donc celui des enfants libanais. Cela montre les limites actuelles et l’impossibilité de faire face à l’ampleur sans précédent de la crise, en termes de concentration et de proportion de réfugiés par rapport à une population. En France, cela représenterait par exemple un afflux de 15 millions de personnes.

JOL Press : Comment les autorités libanaises réagissent-elles face à cet afflux de réfugiés ?
 

Alexandre Morel : Un effort est fait en particulier auprès des municipalités. L’association CARE soutient d’ailleurs ces municipalités, notamment par rapport aux réseaux d’eau et d’assainissement, de façon à aider les villes à mieux accueillir les populations réfugiées, à leur faciliter l’accès à l’eau, mais également à soutenir les populations libanaises. Ce ne sont en effet pas uniquement les populations syriennes qui sont touchées par la crise mais bien l’ensemble du pays. D’ici fin 2014, il est notamment prévu qu’il y ait potentiellement 170 000 Libanais supplémentaires qui descendraient sous le seuil de pauvreté, ce qui représenterait 4% de la population libanaise en plus sous ce seuil.

JOL Press : Comment les réfugiés syriens sont-ils perçus par la population libanaise ?
 

Alexandre Morel : Il est évident qu’une situation comme celle-là peut créer des tensions, qu’elles soient d’ordre économique ou social. Néanmoins, quand on discute avec des Libanais, ils comprennent la difficulté des Syriens. Il y a toujours cette solidarité, mais il y a aussi une fatigue et une difficulté à y faire face.

Certaines tensions autour de l’accès à l’eau par exemple risquent d’empirer. L’année dernière, cela s’était plutôt bien passé parce que les précipitations avaient été bonnes. Cette année, si l’on regarde le mois de janvier, c’est le pire mois en termes de précipitations depuis à peu près 100 ans. Or la population a augmenté de près de 25% dans le pays depuis l’arrivée des Syriens, et avec moins d’eau potentiellement sur l’été prochain, on peut donc s’attendre à des tensions, en particulier dans la plaine de la Bekaa, qui est une zone agricole importante où les réfugiés syriens qui se sont installés représentent 40% de la population de cette région. La question des ressources peut donc devenir, à terme, un facteur aggravant de tensions.

JOL Press : À quelles difficultés se heurtent les ONG humanitaires sur le terrain ?
 

Alexandre Morel : Elles se heurtent tout d’abord à l’importance du flux et à l’augmentation rapide du nombre de réfugiés. Aujourd’hui, près de 2500 réfugiés syriens sont enregistrés chaque jour, soit un réfugié par minute. C’est un volume extrêmement important. Le financement de cette crise humanitaire est également une difficulté de taille puisqu’aujourd’hui, par rapport à l’appel de l’ONU qui demandait une aide de 1,7 milliards de dollars pour le Liban, seuls 14% de l’aide ont été couverts. Les moyens financiers et les ressources sont donc les principales limites auxquelles font face les acteurs humanitaires au Liban.

JOL Press : N’y a-t-il pas également des problèmes d’insécurité ?
 

Alexandre Morel : Cela dépend des zones. Les zones frontalières sont davantage touchées par les problèmes d’insécurité, qui peut  être un facteur limitant l’accès et la réponse humanitaire. Sur les autres zones, il y a des difficultés mais on est très loin de la situation que l’on peut avoir à l’intérieur de la Syrie en termes d’insécurité.

JOL Press : Vous évoquiez l’aide de l’ONU demandée aux États. Pourquoi est-elle si peu couverte aujourd’hui ?
 

Alexandre Morel : Je pense qu’il y a plusieurs facteurs. Le premier, c’est l’importance de la crise économique. L’appel global de l’ONU pour cette crise s’élève à peu près à 6 milliards de dollars, ce qui est le plus gros appel jamais fait dans le monde, alors que la situation économique n’est aujourd’hui pas très favorable. Mais ne pas répondre à la crise actuellement aura nécessairement des impacts dans le futur.

Cette crise est durable, cela fait déjà trois ans qu’elle a commencé. Je ne peux pas prévoir la durée du conflit, mais peu d’éléments actuels montrent une sortie rapide. La reconstruction durera très longtemps, sûrement une dizaine d’années. Je pense que la communauté internationale peut – et doit – faire mieux en termes d’apports financiers pour supporter les situations particulièrement dramatiques que l’on voit aussi bien pour les 2,5 millions de réfugiés syriens en dehors du pays (au Liban, en Jordanie ou en Turquie), que pour l’ensemble des personnes touchées à l’intérieur même de la Syrie ou qui ne peuvent pas se déplacer et sont coincés dans des situations dramatiques.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Alexandre Morel est directeur des programmes de l’ONG CARE France depuis 2011. Auparavant, il a  travaillé pour l’ONG humanitaire ACTED, en tant que directeur administratif et financier au Tchad, puis directeur pays adjoint en charge des programmes en Afghanistan, avant d’être nommé directeur pays en Irak puis directeur régional au Moyen-Orient. Il travaille notamment autour de thèmes comme le développement économique, l’eau et l’assainissement, les urgences, l’éducation et l’enfance ou la sécurité alimentaire.

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