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Autriche: «L’extrême droite fleurit auprès de la jeunesse»

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JOL Press : Cette semaine, un des candidats du FPÖ, Andreas Mölzer, a dû démissionner après avoir tenu des propos racistes. Est-ce la première fois qu’un membre du FPÖ « dérape » ?
 

Patrick Moreau : Andreas Mölzer, c’était le grand intellectuel du FPÖ autrichien. Il a une très grande carrière au sein du parti et a souvent défrayé la chronique par ses prises de position. Au niveau du FPÖ, le parti suit une politique de dédiabolisation très proche de celle suivie par le FN en France. Au sein du parti, les membres essaient donc d’être le plus policé possible, d’éviter les sujets qui peuvent poser problème et tout ce qui peut donner l’impression d’être un parti extrémiste… qui a néanmoins une politique anti-migratoire très provocatrice, qui prend parfois la forme de comics par exemple.

Le FPÖ existe depuis près de 40 ans, donc ils ont eu le temps de déraper d’innombrables fois. Il y a eu des dérapages très célèbres comme ceux de Jörg Haider [ancien dirigeant du FPÖ de 1977 à 2005, mort en 2008] sur le nazisme et sur les camps de concentration. S’il y a effectivement en permanence des dérapages, ceux-ci ne proviennent pas forcément de la même aile du parti. Le FPÖ n’est pas un parti monolithique, c’est un parti avec des ailes très différentes : l’aile nationale allemande est plus dure sur le plan idéologique que ne peut l’être l’aile nationale libérale par exemple.

JOL Press : Quels liens entretient le FPÖ autrichien avec les autres partis d’extrême droite en Europe ?
 

Patrick Moreau : Il y a un noyau extrémiste en formation, qui est le futur groupe européen qui devrait naître après les élections de mai 2014. Au sein de ce groupe en gestation, on trouve plusieurs partis d’extrême-droite comme le Front National, le parti national slovaque, les démocrates suédois, la Ligue du nord italienne… Cela constitue un premier groupe qui entretient des relations excellentes avec le FPÖ. D’autres partis d’extrême droite européens ne sont cependant pas liés à ce groupe, comme le parti Jobbik en Hongrie.

JOL Press : La semaine dernière, la plateforme « Young European Alliance for Hope » (le YEAH), qui rassemble différents mouvements de jeunes d’extrême droite européens, a vu le jour. Quelle place occupent les jeunes dans le FPÖ ? Assiste-t-on à un renouvellement de la classe politique d’extrême droite en Autriche ?
 

Patrick Moreau : En Autriche, le FPÖ est le parti le plus fort chez les jeunes. Il n’est pas étonnant qu’une partie des électeurs du FPÖ finissent par rejoindre le parti et il y a donc effectivement un renouvellement par le bas. Mais cela est visible dans tous les pays. L’extrême droite fleurit auprès de la jeunesse. Qu’il y ait une organisation transnationale de jeunes d’extrême droite qui se crée est simplement un effet d’accompagnement du rapprochement en cours entre les différents partis d’extrême-droite en Europe.

JOL Press : Comment peut-on expliquer que ce genre de parti séduise l’électorat jeune ?
 

Patrick Moreau : Lorsque l’on interroge ces jeunes, trois éléments dominent : la peur de l’avenir, la peur du chômage et la peur de l’immigration. La peur de l’immigration est directement liée à celle du chômage parce que les jeunes perçoivent l’immigration comme une menace sur l’emploi et sur la stabilité du pays. Lorsqu’ils cherchent un parti qui les représente, ils trouvent donc le FN ou le FPÖ. Il y a sûrement d’autres raisons mais ce sont fondamentalement celles-là qui dominent.

JOL Press : Vous parlez de dédiabolisation du parti. Aujourd’hui, quelle image le FPÖ a-t-il auprès de la population autrichienne ?

Patrick Moreau : Il a une excellente image. Le FPÖ est perçu comme un parti tout à fait normal en Autriche, personne n’en a peur. Il n’est pas vu comme un parti extrémiste dans la population. Il a tout de même plus de 40 ans d’existence derrière lui et a déjà été associé au pouvoir pendant une assez longue période. Cela ne veut pas forcément dire que tous les Autrichiens adhérent à l’idéologie du parti bien entendu, beaucoup critiquent les positions du FPÖ. Mais le parti est accepté et n’est pas considéré comme un parti nazi. Il est présent dans la vie politique à tous les niveaux : du niveau infra-communal au niveau du Sénat autrichien.

Le président du parti, Heinz-Christian Strache, est un excellent communicateur, brillant sur le plan de la communication politique et il a un style relativement « rafraîchissant » pour un certain nombre de gens. Par exemple, lors des meetings du FPÖ à Vienne auxquels j’ai pu assister, j’ai été frappé par la très forte présence de jeunes qui étaient tout à fait enthousiastes sur le style de Strache. Il communique, il chante du rap, est un bon orateur, et cela fonctionne auprès de ces jeunes. Il tranche un peu avec les vieux pontes de la social-démocratie et des conservateurs.

JOL Press : Le FPÖ est crédité de 22% des intentions de vote aux élections européennes. Comment analyser ce pourcentage ? Peut-on imputer ce chiffre à un échec de la gauche ?
 

Patrick Moreau : Ce n’est pas simplement un échec de la gauche mais de la démocratie en général. Le principal problème, c’est lorsqu’une démocratie est malade, que ce soit en France, en Autriche, en Finlande ou en Roumanie, automatiquement, une place grandissante est donnée aux partis antisystème, de gauche comme de droite.

En Autriche, les gens sont fatigués de la grande coalition qui réunit les socio-démocrates et les conservateurs. Elle est en bout de course depuis très longtemps. Le pays a été fortement touché par des affaires multiples et une grande partie de l’électorat cherche des partis de représentation autres que les partis traditionnels. Mais le FPÖ, qui a toujours été pendant longtemps la seule soupape antisystème, se trouve maintenant confronté à une nouvelle concurrence, libérale cette fois-ci : les NEOS, nouveau parti autrichien, risquent de gêner énormément le FPÖ. Pour la première fois, une option de rechange apparaît. On risque donc d’avoir quelques surprises au moment des élections européennes, même si le FPÖ fera certainement un bon résultat.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Patrick Moreau est politologue et historien. Chercheur au CNRS, il est spécialiste des mouvements extrémistes, tant de gauche que de droite, en particulier en France et dans le monde germanique. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage De Jörg Haider à Heinz-Christian Strache – L’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir, éditions du Cerf, 2012.

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