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Élection syrienne: «Face à Assad, les candidats font de la figuration»

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Bachar al-Assad devrait sans surprise se présenter et remporter les élections présidentielles le 3 juin 2014. (Crédit photo: Valentina Petrov / Shutterstock.com)

JOL Press : Le chef du Parlement syrien a annoncé la semaine dernière que l’élection présidentielle aurait lieu en Syrie le 3 juin prochain. Fallait-il s’attendre à une telle annonce, alors que la guerre civile continue ?
 

Thomas Pierret : Ce n’est pas du tout une décision de dernière minute. Bachar al-Assad a toujours eu en tête qu’il resterait au pouvoir, et il n’a jamais été question pour lui de négocier quoi que ce soit. Cela fait très longtemps que cette élection est préparée, dans le but d’amener la réélection de Bachar al-Assad. Cela n’a donc rien de surprenant. Le volet politique de la stratégie du régime, c’est de dire qu’il a survécu à la crise, va y mettre fin et retourner à la normalité. C’est un discours que le régime tient depuis le début même si le retour à la normalité ne se produira certainement pas.

JOL Press : Qu’est-ce que la réforme constitutionnelle de 2012 a changé concernant cette élection ?
 

Thomas Pierret : Elle a ouvert la voie, en théorie, au pluralisme politique. C’est en fait la première élection présidentielle dans l’histoire de la Syrie baasiste, puisqu’il y a toujours eu des plébiscites – qui sont assez différents d’une élection, puisqu’il n’y a qu’un seul « candidat » soumis simplement à l’acclamation populaire.

Ici, on a plusieurs candidats, même si évidemment c’est une farce puisque les autres sont là pour faire de la figuration. Je m’attends d’ailleurs à ce qu’ils fassent l’éloge de Bachar al-Assad avant la campagne et expliquent qu’il faut voter pour lui, un peu comme quand Ben Ali se faisait réélire en Tunisie. Il y a avait toujours quelques candidats pour donner un semblant de diversité, mais ils étaient encore plus « royalistes que le roi »…

JOL Press : Deux opposants à Bachar al-Assad, Maher Abdul-Hafiz Hajjar et Hassan Abdallah al-Nouri, ont déjà annoncé leur candidature. Qui sont-ils et quelles sont leurs chances ?
 

Thomas Pierret : Il faut préciser que ce ne sont pas des opposants. Le premier fait partie du parti de Qadri Jamil, qui prétend être un opposant mais qui travaille pour le régime et était encore ministre il y a quelques mois… L’autre candidat est un homme d’affaires qui n’a, comme Maher Hajjar, aucune espèce de base sociale. Les deux ne sont pas vraiment connus et font de la figuration. De toute façon, le régime n’a aucune intention de laisser les candidats potentiels faire de vraies campagnes présidentielles dans les circonstances actuelles. Bachar al-Assad n’est prêt à faire aucune concession.

JOL Press : Comment la communauté internationale a-t-elle réagi face à cette annonce ?
 

Thomas Pierret : On sait que du côté occidental, les réactions sont très négatives. Les Américains ont déjà qualifié les élections de « parodie de démocratie ». C’est clairement un « bras d’honneur » au processus des accords de Genève, puisque ces accords sont basés sur l’idée d’organiser une transition politique en Syrie. Or on assiste plutôt à une reconduction pure et simple du régime actuel. Côté russe, une réélection de Bachar al-Assad est dans leur intérêt.

La rumeur courait il y a plusieurs mois dans les milieux des dirigeants politiques à Damas que les Russes avaient garanti à Assad qu’il serait réélu en 2014, qu’ils soutiendraient le processus de réélection, et qu’il pourrait même se représenter en 2021… C’est peut-être une rumeur, mais elle en dit long sur l’attitude des Russes envers le président syrien.

JOL Press : Sur le terrain, comment évoluent les troupes syriennes ?
 

Thomas Pierret : Les évolutions sont localisées en Syrie. Il faut se garder des généralisations. Il y a une consolidation militaire du régime qui est très marquée dans le centre, dans la province de Homs et dans la région du Qalamoun (suite aux batailles de Yabroud, de Maaloula etc.). Dans la région de Damas aussi, même si c’est moins spectaculaire : il y a des quartiers où le régime a imposé aux rebelles de déposer leurs armes lourdes, mais il reste en même temps des bastions rebelles très solides dans la région.

Dans le reste du pays, il y a plusieurs endroits où le régime recule : à Idlib, Der’a-Qunaytra (au Sud), et à Alep, où le régime contrôle la partie ouest de la ville ainsi que l’aéroport, à l’est, évidemment très important pour le ravitaillement de la partie ouest. Entre les deux se trouve une sorte d’autoroute urbaine prise par les rebelles il y a quelques semaines. Le régime a donc dû ouvrir un deuxième chemin de ravitaillement. Dans la région proche de Lattaquié, les rebelles ont pris une bande de territoire le long de la frontière turque au nord, et la gardent. Ce n’est pas une avancée spectaculaire, mais ce qui est intéressant de noter, c’est l’incapacité du régime à chasser les rebelles de cette région, plus d’un mois après l’offensive.

JOL Press : Si Bachar al-Assad est réélu en juin, à quoi faudra-t-il s’attendre ?
 

Thomas Pierret : Sur le plan interne, cela ne va pas changer grand-chose. Il sera donc important de suivre la manière dont les acteurs internationaux vont réagir : les Français et les Américains ne vont certainement pas accepter l’élection. Le degré d’acceptation de ce processus électoral par la Russie sera intéressant à analyser. Ce sera peut-être une occasion pour la Russie de rompre définitivement avec les accords de Genève. Elle pourrait en effet dire que maintenant qu’il y a un pouvoir légitimement élu en Syrie, il n’est plus question de négocier une transition politique.

Si la Russie accepte le résultat de l’élection, je pense qu’elle ne pourra légitimement plus participer au processus de Genève. Et Vladimir Poutine se gênera encore moins pour le faire puisqu’il a actuellement d’autres comptes à régler avec les Occidentaux au sujet de l’Ukraine.

Il faudra également voir ce que la Chine décide. Si elle accepte l’élection, cela pourrait bloquer tout effort mené par le Conseil de sécurité de l’ONU. Ce serait dangereux d’un point de vue diplomatique. Reste aussi à voir les décisions prises par les « maillons faibles » dans le camp occidental, c’est-à-dire les pays qui n’osent pas trop se confronter directement aux États-Unis, à la France et à la Grande-Bretagne, mais qui envoient quand même leurs officiers de renseignement discuter avec le régime syrien à Damas : l’Allemagne, l’Espagne, l’Autriche, l’Italie…

Car il y a clairement en Europe, dans l’establishment politique, sécuritaire et militaire, des dirigeants en faveur d’une reconnexion avec le régime syrien, sur la base de l’agenda antiterroriste, et qui voient le régime syrien comme un allié contre Al-Qaïda, à tort selon moi. Peut-être que ces élections pourraient permettre à ce lobby-là de pousser un peu son point de vue, même s’il ne dira sûrement pas que cette élection est démocratique. Car vis-à-vis des standards démocratiques européens, il est difficile de dire une telle chose. Certains pourraient cependant dire que face au fait accompli, il faut s’y plier.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Thomas Pierret est maître de conférences à l’Université d’Édimbourg (Écosse). Spécialiste de l’Islam sunnite et de la Syrie, il est diplômé de sciences politiques à Sciences Po Paris et à l’Université de Louvain (Belgique). Il est notamment l’auteur de Baas et Islam en Syrie : La dynastie Assad face aux oulémas, Presses universitaires de France, 2011. 

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