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Le conflit syrien, l’autre enjeu des législatives en Irak

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« La régionalisation du conflit confessionnel en Syrie a déjà poussé des milliers de combattants irakiens non officiels à se battre aux côtés de l’armée syrienne » (Crédit photo: Marcio Jose Bastos Silva / Shutterstock.com)

JOL Press : L’armée irakienne a revendiqué dimanche un tir sur un convoi jihadiste en Syrie. Pourquoi l’Irak a-t-il mené une telle attaque ?
 

Pierre-Jean Luizard : Ce n’est pas la première fois que l’armée irakienne mène une attaque en territoire syrien. En revanche, c’est la première fois qu’elle le revendique haut et fort. Si les dirigeants irakiens ont décidé d’en faire une telle publicité c’est, selon moi, directement lié à la campagne électorale pour les législatives qu’ils mènent actuellement au nom d’intérêts sécuritaires de la population irakienne, et notamment chiite. Ce qui est particulièrement dérisoire, quand on sait que l’armée irakienne n’a pas été capable de reprendre une grande ville à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, et qu’elle prétend protéger la communauté chiite en intervenant au-delà des frontières…

JOL Press : Cette attaque pourrait-elle être le début d’une série d’autres offensives contre des groupes islamistes en Syrie ?
 

Pierre-Jean Luizard : La régionalisation du conflit confessionnel en Syrie a déjà poussé des milliers de combattants irakiens non officiels à se battre aux côtés de l’armée syrienne contre l’opposition. Ce sont notamment des groupes émanant de l’armée du Mahdi du chef chiite irakien Moqtada al-Sadr, qui ont reconnu le groupe radical chiite contrôlé par l’Iran que l’on appelle la « ligue des vertueux » ou la « ligue des justes » [Asaïb Ahl al-Haq en arabe, ndlr]. Celui-ci combat aux côtés du Hezbollah libanais, à la fois près de Damas mais surtout sur l’Euphrate et dans les régions frontalières qui sont sous domination de l’opposition syrienne.

JOL Press : Quelle est la position de l’Irak vis-à-vis du régime syrien de Bachar al-Assad ?
 

Pierre-Jean Luizard : Officiellement, l’Irak est neutre : le conflit syrien ayant des ramifications très importantes en Irak, un soutien officiel du gouvernement chiite irakien au gouvernement de Damas [alaouite, une branche du chiisme, ndlr] mettrait en effet un terme définitif à toute tentative de négociation avec les dirigeants politiques sunnites en Irak. C’est donc pour légitimer la fiction d’une participation des sunnites au pouvoir en Irak que le gouvernement de Nouri al-Maliki se dit neutre.

Mais chacun sait que d’une façon officieuse, de nombreux miliciens chiites combattent en Syrie depuis plusieurs mois aux côtés des troupes de Bachar al-Assad et que le gouvernement irakien a donné son accord à plusieurs reprises aux pasdaran iraniens [le corps de Gardiens de la révolution islamique, ndlr] et à l’armée iranienne pour qu’ils utilisent le sol irakien comme voie de passage afin de renforcer l’armée syrienne face à l’opposition.

JOL Press : Peut-on alors dire qu’il y a un débordement du conflit syrien en Irak ?
 

Pierre-Jean Luizard : C’est en fait la régionalisation d’un conflit confessionnel qui a d’abord commencé en Irak en 2003, quand les Américains ont reconstruit l’État irakien sur des bases confessionnelles à partir d’un attelage chiito-kurde. Ensuite, le conflit a débordé en Syrie et au Liban et en retour, on a effectivement aujourdhui une aggravation du conflit en Irak du fait de l’imbrication des conflits dans les trois pays.

JOL Press : Que fait le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki pour lutter contre les groupes terroristes partis combattre en Syrie et qui contrôlent certaines villes d’Irak ?
 

Pierre-Jean Luizard : Le chef du gouvernement irakien al-Maliki a fait de la sécurité et du discours sécuritaire son arme électorale privilégiée, notamment adressée à une communauté chiite traumatisée par le retour d’une guerre confessionnelle larvée. Mais il est bien évident que la réalité dément chaque jour ses capacités. Il est au pouvoir depuis maintenant plusieurs années et la guerre confessionnelle a fait son retour, même si elle prend des formes différentes de la première guerre de 2005-2008. Il y a chaque jour de nombreux chiites irakiens victimes du terrorisme anti-chiite, et on ne voit pas pourquoi Nouri al-Maliki serait à l’avenir plus compétent pour protéger les gens de sa communauté.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Pierre-Jean Luizard est directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’Irak et du chiisme. Il a séjourné plusieurs années dans la plupart des pays arabes du Moyen-Orient, notamment en Syrie, au Liban, en Irak, dans le Golfe et en Égypte. Historien de l’islam contemporain dans ces pays, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont La Question irakienne, Fayard, 2004, Laïcités autoritaires en terres d’islam, Fayard, 2008, et Comment est né l’Irak moderne, CNRS Editions, 2009.

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