Site icon La Revue Internationale

Moyen-Orient: vote et tais-toi, femme

[image:1,l]

JOL Press : Existe-t-il des pays au Moyen-Orient où les femmes n’ont pas le droit de vote ?
 

Fabrice Balanche : Il y a encore très peu de temps, l’Arabie saoudite faisait figure d’exception. Mais en septembre 2011, le roi Abdallah a annoncé l’octroi aux Saoudiennes du droit de vote aux élections municipales – seul scrutin existant dans ce royaume ultraconservateur. Elles pourront non seulement se rendre aux urnes mais aussi se présenter. Toutefois, les Saoudiennes devront attendre les prochaines échéances électorales, prévues en 2015.

Globalement, les autres pays de la région ont accordé relativement tôt le droit de vote aux femmes, qu’il s’agisse du Liban (1952), de la Syrie (1954), de l’Egypte (1955) ou encore de l’Iran (1963). Le droit de vote des femmes a été accordé après l’indépendance de ces pays. A l’époque, ils ne s’accrochaient pas autant à l’islam et s’inscrivaient dans une dynamique progressiste. En termes de droits politiques, ces Etats souhaitaient s’aligner sur les Occidentaux.

JOL Press : Sur le papier, les femmes ont le droit de vote. Qu’en est-il dans les faits ?
 

Fabrice Balanche : Ce n’est pas parce que les femmes peuvent déposer un bulletin dans l’urne qu’elles ont forcément la liberté de choix. D’une part, il arrive qu’un seul candidat se présente, ce qui règle le problème… D’autre part, au Moyen-Orient, les sociétés sont patriarcales. Bien souvent, c’est l’homme, le chef de famille, qui vient voter avec les cartes d’identité de son épouse et de ses enfants.

JOL Press : Comment expliquer que l’Arabie saoudite ait finalement franchi le cap ?
 

Fabrice Balanche : Au Moyen-Orient – y compris en Arabie saoudite – les populations ont toutes accès à l’éducation. Les femmes font des études et sont d’ailleurs plus nombreuses que les hommes à l’université. Ce qui permet, peu à peu, de remettre en question la domination masculine. Du reste, les filles n’ont pas d’autre choix : si elles ne décrochent pas un diplôme leur permettant d’accéder à la fonction publique, elles devront rester à la maison et élever les enfants.

Les femmes travaillent soit dans l’administration, soit dans l’entreprise familiale. Dans le monde musulman, notamment chez les sunnites, une femme qui reçoit de l’argent d’un autre homme que son mari, son père ou son frère est très mal vue. En revanche, travailler pour l’Etat est considéré comme quelque chose de neutre. De plus, les horaires leur permettent de continuer à s’occuper de leur foyer.

JOL Press : Quels sont les autres droits accordés aux hommes mais pas aux femmes ?
 

Fabrice Balanche : Les Saoudiennes ne peuvent toujours pas voyager, conduire, travailler ou subir des interventions chirurgicales sans l’autorisation d’un mâle de leur famille. Globalement, dans de nombreux pays du Moyen-Orient, c’est la loi musulmane qui s’applique. Par exemple, il est interdit aux femmes d’être en contact avec des hommes, ce qui réduit considérablement les possibilités d’emploi.

Ainsi, en Arabie saoudite, les hôtesses de l’air sont Syriennes, Egyptiennes, Ukrainiennes etc. Une femme qui voyage seule et qui dort à l’hôtel dans des pays étrangers est considérée comme une fille de mauvaise vie. Récemment, les Saoudiennes ont obtenu le droit de tenir des boutiques de lingerie. Avant, c’était les hommes qui étaient employés dans ces magasins…

————————-

Fabrice Balanche est directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO). Il est l’auteur des livres La région alaouite et le pouvoir syrien (2006) et Atlas du Proche-Orient arabe (2012).

Quitter la version mobile