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Nucléaire iranien: un accord final avant l’été?

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JOL Press : Les négociations sur le programme nucléaire iranien vont dans le bon sens. Quels sont les points sensibles qui restent à négocier ?
 

David Rigoulet-Roze : Première pierre d’achoppement, le problème constitué par la centrale d’Arak (à 290 km au sud-ouest de Téhéran, ndlr). Cet équipement, toujours en construction, utilise la filière du plutonium, qui pourrait servir à fabriquer une bombe atomique. L’Iran a déjà dit qu’il n’acceptera pas de fermer Arak et même qu’il faisait de cette question une «ligne rouge». Tout l’enjeu réside donc dans le fait de conduire Téhéran à s’engager de manière circonstanciée à ne pas construire d’usine complémentaire permettant le retraitement du plutonium – lequel, une fois purifié, serait alors susceptible de fournir un matériau à usage militaire. Un tel engagement permettrait en l’espèce de lever en grande partie les inquiétudes occidentales.

Deuxièmement, les deux parties devront se mettre d’accord à la fois sur le nombre et le type de centrifugeuses (les appareils réalisant l’enrichissement d’uranium) utilisables par l’Iran. Téhéran en posséderait aujourd’hui quelque 19 000, dont un peu plus d’un millier d’engins de seconde génération dite IR-2 (plus performants que la première dite IR-1). Les Etats-Unis veulent de manière prudentielle abaisser le nombre de centrifugeuses opérationnelles à 5 000, alors que l’Iran voudrait en conserver davantage.

Le dernier point sensible – qui découle d’ailleurs du précédent – est celui des stocks existants d’uranium enrichi. L’accord provisoire du 24 novembre 2013 (d’une durée de 6 mois théoriquement renouvelable une fois) a contraint l’Iran à cesser, depuis son entrée en vigueur le 20 janvier 2014, l’enrichissement de l’uranium à 20% – un taux d’enrichissement qui constitue l’étape technique préalable pour monter à un taux d’enrichissement de plus de 90% dans le cas d’une virtuelle «militarisation» du programme nucléaire –, mais autorise l’enrichissement à 5% (largement suffisant pour un usage civil). Selon un rapport de l’AIEA en date du 20 février 2014, le stock d’uranium enrichi à 20% aurait diminué en passant de 196 kg en novembre 2013 à 161 kg en janvier 2014.

JOL Press : En quoi cette baisse est-elle importante ?
 

David Rigoulet-Roze : Le groupe «5 + 1» est particulièrement attentif sur ce dernier point car, à partir du moment où on dispose d’un stock de l’ordre de 240 kg d’uranium enrichi à 20%, on a techniquement suffisamment de matériau fissile pour le transformer en uranium hautement enrichi susceptible de servir à la fabrication d’une bombe atomique en un temps relativement bref dès lors qu’une décision politique serait prise en ce sens.

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la déclaration du secrétaire d’Etat américain John Kerry : «Je pense qu’il est de notoriété publique aujourd’hui que nous devons composer avec une période de temps qui est d’environ deux mois pour trouver une issue. C’est du domaine public», a-t-il dit devant la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, mardi 8 avril. Kerry a tenu à préciser que cette fenêtre de deux mois pour trouver une solution ne signifiait pas que l’Iran allait pour autant disposer d’une tête nucléaire ou d’un système de lancement : «Cela revient à avoir l’équivalent d’une bombe en matériel mais sans les capacités nécessaires pour le mettre dans quoi que ce soit, pour le lancer ou pour disposer du mécanisme de lancement».

Les deux côtés cherchent incontestablement un accord, mais certainement pas à n’importe quel prix.

JOL Press : Un éventuel accord final supprimerait toutes les sanctions contre l’Iran. Quel est l’impact de ces sanctions sur l’économie du pays ?
 

David Rigoulet-Roze : Ces sanctions étouffent l’économie de Téhéran, en pesant notamment sur ses exportations pétrolières (le pays possède la seconde réserve de brut au monde, 9,1% selon l’Agence internationale de l’énergie, ndlr). Les rentrées financières de l’Iran se sont considérablement asséchées à raison de plusieurs milliards de dollars par mois depuis la mise en place d’un régime de sanctions renforcé – à la fois des sanctions bilatérales américaines(1) anciennes, progressivement renforcées depuis le début de la crise sur le nucléaire iranien, tout particulièrement en 2010(2), et plus récemment des sanctions européennes(3) parallèlement au quatre «trains de sanctions» adoptées dans le cadre de l’ONU(4) depuis fin 2006.

De nombreux indicateurs sont au rouge : fort taux de chômage (officiellement de l’ordre de 15% mais sans doute au-delà et probablement plus proche de 25%, notamment pour le chômage des jeunes), banques et entreprises en grande difficulté, croissance faible (le Fonds monétaire international prévoit une contraction de 1 à 2% du PIB en 2014), et inflation à deux chiffres estimée fin 2013 à environ 35% en moyenne annuelle (la hausse des prix pourrait être contenue à 25% pour l’année calendaire iranienne 2014-2015 avec la levée partielle des sanctions, ndlr).

L’accord provisoire signé le 24 novembre prévoit un déblocage partiel des sanctions. Ces allègements ont toutefois été qualifiés par les Américains de «transitoires» (à l’horizon de 6 mois), de «réversibles» et de «sectoriels» (notamment pour l’aide à caractère «humanitaire», c’est-à-dire relevant des besoins alimentaires et en médicaments).

Parallèlement à cela, il est prévu que l’Iran reçoive par tranches le versement de 4,2 milliards de dollars faisant partie de ses avoirs gelés. Une première tranche de 500 millions de dollars a été versée sur un compte bancaire suisse dès l’entrée en vigueur de l’application de l’accord le 20 janvier de cette année.

JOL Press : En quoi le programme nucléaire iranien est-il un enjeu mondial ?
 

David Rigoulet-Roze : Le 15 septembre 2013, dans un entretien télévisé sur ABC News, Barack Obama avait rappelé que le fait de ne pas avoir frappé la Syrie à la fin de l’été 2013 pour le recours à l’arme chimique ne signifiait pas que les Etats-Unis étaient également résignés à ne pas frapper l’Iran. «Je pense que les Iraniens comprendront que la question nucléaire est un problème beaucoup plus important pour nous que la question des armes chimiques. Il y a menace… contre Israël d’un Iran nucléaire [militaire]. Ceci est beaucoup plus proche de nos intérêts fondamentaux». En ajoutant : «Je crois que les Iraniens savent qu’ils ne devraient pas tirer de leçon [erronée] parce que nous n’avons pas frappé la Syrie».

Cet accord est d’autant plus vital qu’il ne concerne pas uniquement Téhéran. La question du nucléaire iranien est sous-tendue à celle de la pérennité du TNP (traité de non-prolifération)(5) et donc au risque de la prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Si l’Iran devenait officiellement une puissance nucléaire sur le plan militaire, d’autres pays de la région – arabes ou non – proclameraient leur droit à disposer aux aussi de la bombe pour établir une dissuasion : sans doute la Turquie, nonobstant le fait qu’elle soit membre de l’OTAN, peut-être l’Egypte, voire l’Arabie saoudite qui ne s’est pas privée de le laisser entendre à plusieurs reprises ces derniers temps…

(1)Cf. l’embargo commercial imposé par les Etats-Unis depuis le 30 avril 1995 – parachevé par la loi dénommée Iran Sanctions Act (ISA) dite encore loi d’Amato-Kennedy votée par le Congrès le 5 août 1996 pour sanctionner les entreprises qui investiraient plus de 40 millions de dollars dans le secteur stratégique des hydrocarbures d’Etats comme l’Iran.

(2)Cf. l’adoption en date du 24 juin 2010 par le Congrès américain du Comprehensive Iran Sanctions, Accountability and Divestment Act of 2010 promulgué par le président Barack Obama le 1er juillet 2010. Ce texte vise l’approvisionnement, spécifiquement le secteur énergétique iranien et il vise également – ce qui est important pour les négociations en cours – à réduire le pouvoir de l’exécutif de décréter des exceptions à certaines sanctions.

(3)Cf. le vote d’un embargo pétrolier adopté par l’Union européenne le 23 janvier 2012 et devenu effectif le 1er juillet 2012.

(4)Cf. les résolutions 1737 du 23 décembre 2006, 1747 du 24 mars 2007, 1803 du 3 mars 2008 et 1929 du 9 juin 2010.

(5)Le Traité du TNP a été établi le 1er juillet 1968, et il est officiellement entré en application le 5 mars 1970.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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David Rigoulet-Roze est enseignant et chercheur, consultant en relations internationales, spécialiste de la région du Moyen-Orient et du golfe arabo-persique. Il est rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), où il est en charge depuis 2006 d’une veille stratégique entre l’Iran et les pays arabes. Il est aussi chercheur associé à lInstitut prospective et sécurité en Europe (IPSE) et à linstitut MEDEA (Bruxelles). Il est l’auteur de «L’Iran pluriel : regards géopolitiques», L’Harmattan, 2011. 

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