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Turquie: «Erdogan a donné une dimension plébiscitaire au scrutin»

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JOL Press: Le Parti de la justice et du développement (AKP) a recueilli 45% des suffrages, devant le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), avec 28,5% aux élections municipales, dimanche 31 mars. Recep Tayyip Erdogan divise la société turque, mais sa popularité reste donc incontestable ?
 

Jean Marcou : Effectivement, il ne s’agit pas ici d’un résultat mitigé. C’est le meilleur résultat de l’AKP, puisque la parti retrouve le score qu’il avait fait en 2004. Il s’agit non seulement d’une victoire de l’AKP mais aussi de Recep Tayyip Erdogan, puisqu’il a donné une dimension plébiscitaire au scrutin.   

JOL Press : Qu’est-ce qui a caractérisé ce scrutin ?
 

Jean Marcou : Il n’y a pas eu de surprises. L’AKP l’a emporté, conformément à ce que prédisaient les derniers sondages. Il n’y a pas eu de bascules de villes : l’AKP a conservé Istanbul et Ankara, a repris la ville d’Antalya, qu’il avait perdu en 2009 mais n’a pas gagné Izmir, la troisième ville turque, qui est un bastion historique du CHP.

Le scrutin a été caractérisé par une forte participation pour des élections municipales en Turquie, avec plus de 80% de votants : un chiffre considérable lorsqu’on regarde ce qui s’est passé en France aux dernières élections… Deuxièmement, il y a eu une très forte polarisation du scrutin. Pendant la campagne, Recep Tayyip Erdogan a transformé le scrutin local en un scrutin national, pour que l’on plébiscite son gouvernement. L’opposition a fait du scrutin un moyen de faire un avertissement à l’AKP, un vote sanction.

Il y a eu énormément de listes présentées : parfois  30 listes par ville ! Tous les petits partis de l’extrême droite à l’extrême gauche avaient des candidats, même si la plupart ont fait des scores souvent inférieurs à 1%.  Il y a eu une concentration des voix sur les grandes formations politiques, principalement sur le Parti de la justice et du développement (AKP), le Parti républicain du peuple (CHP), le Parti d’action nationaliste (MHP) et Parti pour la paix et la démocratie (pro-kurde, BDP).

JOL Press : Les scandales de corruption, l’affaire des écoutes, et la contestation sociale en Turquie n’ont donc pas joué en la défaveur de Recep Tayyip Erdogan ?
 

Jean Marcou : C’est vrai qu’il y a  eu énormément de tensions jusqu’à la veille du scrutin. Mais les suites du mouvement contestataire  « Gezi », les scandales politico-financiers, l’affaire des écoutes téléphoniques, y compris à la veille du scrutin, n’ont pas eu d’effets. Nous savons par les sondages que les Turcs ont donné une certaine crédibilité aux scandales et sont sensibles à l’autoritarisme manifesté par le gouvernement.

Les électeurs du Parti de la justice et du développement ont un fort attachement à cette force conservatrice musulmane qu’est l’AKP, une force qui a réussi à récupérer l’électorat de la droite turque. Historiquement, les partis majoritaires en Turquie ont été des partis de centre droit – à quelques exceptions près – depuis que les Turcs pratiquent des élections pluralistes, depuis 1946, . L’AKP a réussi à récupérer ce fonds de commerce politique et, même si les électeurs sentent les turpitudes et les zones d’ombre de ce gouvernement, ils se sentent représentés.

JOL Presss : La victoire de l’AKP fait-elle craindre une montée de l’autoritarisme en Turquie ?
 

Jean Marcou : Probablement. Aujourd’hui, la légitimité de Recep Tayyip Erdogan n’est pas remise en cause. L’AKP a conservé sa majorité et va pouvoir l’utiliser. Lorsqu’il a réagi aux résultats, dimanche 30 mars, il a affirmé que les Turcs avaient soutenu leur Premier ministre…

Là encore, c’est assez clair : au-delà des élections locales, il y avait un enjeu national. Il a également mis en garde ceux qui avaient organisé la fuite en espionnant le bureau du ministre des affaires étrangères, en prononçant le mot « traitre ». On peut donc s’attendre au maintien de la stratégie de rigidification en place depuis  ces derniers mois. La seule chose qui puisse le rendre plus modérer : c’est l’enjeu des élections présidentielles, qui se dérouleront au mois d’août prochain.

JOL Press: Le calendrier électoral est chargé en 2014 pour la Turquie. Quelles seront les conséquences des résultats des municipales sur l’élection présidentielle, disputée pour la première fois au suffrage universel direct au mois d’août ?
 

Jean Marcou : Recep Tayyip Erdogan n’avait pas dévoilé ses intentions concernant l’élection présidentielle, attendant pour cela de connaître le résultat des municipales…Face à l’ampleur de sa victoire, il y a désormais de fortes chances pour qu’il soit candidat à l’élection présidentielle d’août prochain. Cela va jouer dans le sens d’une concentration du pouvoir, d’une présidentialisation du système turc. Nous risquons de voir un système semi-présidentiel à la française émerger.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Jean Marcou est professeur à Sciences Po Grenoble, chercheur associé à l’Institut Français d’Études Anatoliennes d’Istanbul.

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