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Dans le Golfe, une libéralisation économique mais pas politique de l’information

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Dubai Media City, Dubaï, Emirats arabes unis. (Crédit photo: Philip Lange / Shuterstock.com)

JOL Press : Qu’est-ce que l’Arab Media Forum ?
 

Tourya Guaaybess : L’Arab Media Forum est une entreprise de communication à la gloire de Dubaï qui, depuis le début des années 2000, est très en pointe, notamment via ses zones médiatiques franches. L’Arab Media Forum porte mal son nom puisqu’il s’agit moins d’un forum arabe que d’un forum des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ou des pétromonarchies qui dominent sur le marché des médias arabes aujourd’hui, de même qu’en termes d’accès à Internet et aux NTIC.

JOL Press : Pourquoi a-t-il lieu aux Émirats arabes unis ?
 

Tourya Guaaybess : La péninsule du Golfe est la plaque tournante du marché de l’audiovisuel des pays arabes – du hardware au software, ou des contenus et des réseaux – comme le fut en son temps – jusqu’aux années 90 – l’Égypte.

En captant des investisseurs (c’est l’une des vocations du forum en question qui est une vitrine), en captant les talents d’autres pays arabes (présentateurs, journalistes, personnels techniques…), en participant activement à leur formation, les pays tels que l’Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis démontrent qu’ils ont les moyens de développer une stratégie de développement des médias sur le long terme.

Les effets collatéraux positifs du développement de l’industrie médiatique est un besoin accru en termes de journalistes et par conséquent, l’entrée massive de femmes dans la profession. Cette féminisation (on le voit très bien dans les chaînes d’information en continu par exemple) est déjà une bonne nouvelle… Mais là encore il ne faut pas se réjouir trop vite : elles ne sont pas plus au pouvoir qu’ailleurs (aux postes-clé j’entends).

JOL Press : Les pays du Golfe ne sont pas particulièrement en bonne position concernant la liberté de la presse. N’est-ce pas paradoxal qu’un tel événement ait lieu dans cette région ?
 

Tourya Guaaybess : Il semble en effet que les conférences s’adressent davantage aux décideurs politiques qu’aux sociétés civiles : il est davantage question de warfare (guerre de l’information) ou de storytelling que d’une quelconque démocratisation de l’information, tant en termes de contenus que d’accès.

En matière de storytelling, c’est d’ailleurs bien ce que fait Bahreïn qui, tout en étant dans la liste des « ennemis d’Internet » de Reporters Sans Frontières, et tout en étant particulièrement vigilant à ne pas laisser filtrer des informations négatives pour le royaume, a vu sa capitale, Manama, désignée capitale du tourisme arabe en 2013 (après avoir été celle de la culture l’année précédente). Inutile de rappeler le peu de couverture médiatique dont ont bénéficié les révolutionnaires du Bahreïn, pendant la révolution dite « de perle »…

Évidemment, la question des médias en tant que service public (sujet au cœur des réflexions en Tunisie ou en Égypte pendant et après les révolutions arabes) n’est pas abordée. Pour résumer, on pourrait parler ici d’une libéralisation économique tous azimuths de l’information qui fait l’impasse sur les aspects politiques où la situation est plus critique.

JOL Press : Quelle est justement la situation de la liberté d’information dans les pays du Golfe ?

Tourya Guaaybess : S’agissant de la liberté d’information sur Internet, nous savons qu’elle n’est pas totale dans des pays où les États ont les moyens de contrôler Internet via des logiciels de surveillance extrêmement sophistiqués et coûteux (et importés) ; c’est le cas des pays du Golfe notamment.

C’est la même chose pour la télévision où il existe une variété incroyable de programmes et de chaînes thématiques, mais rien d’ouvertement subversif au niveau politique, la gouvernance des organismes de télévision étant toujours dépendante des autorités publiques (via les nominations notamment). La révolution n’a pas modifié la donne : seule une démocratisation réelle des institutions est à même de modifier la donne au niveau du champ médiatique.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Tourya Guaaybess est maître de conférences à l’Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand). Spécialiste des médias dans le monde arabe, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages dont National Broadcasting and State policy in Arab Countries, Palgrave Macmillan, Londres, 2013, Les médias arabes : Confluences médiatiques et dynamique sociale, CNRS Editions, 2012, Les Arabes parlent aux Arabes : la révolution de l’information dans le monde arabe (avec Yves-Gonzalez-Quijano), Actes Sud/Sindbad, 2009, et Télévisions arabes sur orbites, 1960-2004, CNRS Editions, 2005.

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