Site icon La Revue Internationale

Déroute du PS aux européennes: le gouvernement doit-il changer de cap?

[image:1,l]

Manuel Valls a exclu toute démission ou dissolution de l’Assemblée nationale. (Photo : Shutterstock)

Le gouvernement va-t-il prendre en compte les résultats du scrutin de ce 25 mai ? « Il faut de nouvelles baisses d’impôts, notamment de l’impôt sur le revenu parce que cette fiscalité pèse lourdement sur les couches populaires et sur les classes moyennes », a déclaré le Premier ministre au lendemain de la déroute du Parti socialiste aux élections européennes, sur RTL. Mais sur le fond, Manuel Valls a exclu toute démission ou dissolution de l’Assemblée nationale : « Le quinquennat doit aller à son terme ». « Nous n’allons pas rajouter à la crise d’identité, la crise morale que la France traverse, en plus, le désordre par des élections, par un pays qui serait ingouvernable », a-t-il ajouté.

JOL Press : Que peuvent faire les partis de gouvernement face au score élevé du FN ?

Christian Delporte : La défiance à l’égard des partis politiques n’est pas toute neuve mais elle s’accentue à la faveur des difficultés économiques et des « affaires » qui se multiplient. Les partis de gouvernement doivent donner un nouveau crédit à la parole politique et c’est ce qu’il y a de plus difficile. Au fond, un grand nombre de Français fait le constat de l’échec de la droite et de la gauche et voit dans le Front national une alternative. Il faut donc que les partis, et le gouvernement en particulier, fassent ce qu’ils ont promis et fixent des objectifs.

Aujourd’hui, on a des partis politiques de gouvernement dont l’horizon ne dépasse pas les six mois. Il ne suffit pas de sortir de la crise, il faut dire quand et comment on pourra sortir de la crise.

JOL Press : La légitimité de François Hollande a-t-elle été remise en cause par ce scrutin ?

Christian Delporte : La légitimité de François Hollande est bousculée à chaque fois que les sondages exposent au grand jour son impopularité. Ce scrutin n’est que la traduction dans les urnes de cette défiance à l’égard du chef de l’Etat et de son action. Mais pour autant, il y a des institutions, nous n’assistons pas à un coup d’Etat politique.

JOL Press : La dissolution de l’Assemblée nationale n’est donc pas à l’ordre du jour, selon vous ?

Christian Delporte : Marine Le Pen peut demander la dissolution de l’Assemblée, François Hollande pourrait le faire mais ce n’est certainement pas la solution qu’il va retenir : on ne dissout jamais en période de difficulté, on ne dissout que lorsqu’on est certain de pouvoir gagner. Il n’y a donc aucune raison que François Hollande prenne une telle décision.

Par ailleurs, le gouvernement a beau dire qu’il a entendu les Français et qu’il tiendra compte du scrutin, mais quelle est réellement sa marge de manœuvre ? On peut donc supposer que le résultat de ce scrutin ne changera rien à la ligne gouvernementale. La seule chose qui pourrait faire évoluer la situation serait un changement de conjoncture : plus de croissance et moins de chômage. Mais un tel changement ne se produira pas dans les semaines à venir.

JOL Press : En attendant le retour de la croissance, que peut faire François Hollande pour donner l’impression aux Français qu’il a entendu leur vote ?

Christian Delporte : Manuel Valls a été très clair, dans son discours à la suite de la publication des résultats : il a repris les grandes lignes de son discours programme. Selon lui, c’est en appliquant la politique qu’il a proposé qu’il pourra faire reculer le Front national. François Hollande et Manuel Valls n’ont pas l’intention de changer de cap à la faveur de cette élection.

Les Français n’attendent pas du gouvernement des éléments de langages ou une nouvelle communication, ils attendent des changements concrets. Or, le chef de l’Etat n’a pas vraiment les moyens de changer les choses, sa marge de manœuvre est très mince, il n’y a plus d’argent dans les caisses. On ne peut donner de signes forts en politique que lorsqu’on en a les moyens. François Hollande est dépendant d’une politique qu’il a définie et il doit en attendre les résultats. Le cap politique du gouvernement, ce ne sont pas les européennes, ce sont au mieux les régionales, qu’il souhaite à tout prix reculer, au pire la présidentielle. L’objectif c’est 2016-2017, ce n’est pas 2014 ou 2015.

JOL Press : Les Français vont-ils comprendre que ce choix du gouvernement de maintenir le cap fixé ?

Christian Delporte : Il faut prendre ces résultats pour ce qu’ils sont et ne pas se tromper d’interprétation. Quand Libération titre en Une « La France du FN », cela laisse supposer que toute la France a basculé du côté du Front national mais c’est oublier le très fort taux d’abstention (57%). Certains électeurs ont voté pour protester et l’extrême-droite a cristallisé cette contestation mais d’autres n’ont pas souhaité se déplacer.

Quand on regarde les scrutins européens depuis 1979, aucun n’a préfiguré les élections nationales qui ont suivi, c’est-à-dire que les Français ne considèrent pas les européennes comme une élection fondamentale. C’est une élection d’émotion dont les enjeux ne sont pas nationaux. On ne vote pas de la même manière aux européennes et à la présidentielle. C’est important de bien comprendre cela. Ce qui sera intéressant, et on n’en a pas les moyens aujourd’hui, ce sera de bien étudier certains éléments comme la sociologie de l’électorat mais ce ne sont pas sur des chiffres bruts que l’on peut déterminer les intentions précises des Français.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

Quitter la version mobile