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Proche-Orient: une des régions les plus dangereuses pour les journalistes

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Le Proche-Orient fait partie des régions les plus à risques pour les professionnels de l’information. (Crédit photo: Sunsinger / Shutterstock.com)

JOL Press : Pourquoi avez-vous fondé le Centre SKEyes ?
 

Aymann Mhanna : Le Proche-Orient est l’une des régions les plus dangereuses pour les journalistes et les professionnels de la culture. Ils font face continuellement à des violations de leurs droits et souvent de leur intégrité physique. Il n’existait pas dans la zone un centre spécialisé dans le monitoring de ces violations et la fourniture du soutien juridique et financier nécessaire.

Les organisations internationales, telles que Reporters sans frontières ou le Committee to Protect Journalists, ne pouvaient pas assurer un suivi quotidien. De plus, une presse libre se doit de fournir la couverture la plus professionnelle des sujets sensibles, d’où le rôle du Centre SKeyes dans l’organisation de formations de haut niveau pour les journalistes de la région.

JOL Press : Quelles sont les principales difficultés et obstacles auxquels doivent faire face les journalistes du Proche-Orient ?
 

Aymann Mhanna : Le premier défi est celui de la sécurité : le risque d’attentats contre les journalistes, d’agression physique et surtout les dangers liés à la couverture des conflits sont permanents.

Le deuxième défi est d’ordre juridique dans la mesure où les lois dans les différents pays du Proche-Orient ne fournissent qu’une protection limitée des droits des journalistes alors que leurs agresseurs jouissent d’un niveau d’impunité particulièrement élevé.

Un troisième obstacle est d’ordre religieux et culturel : la montée des conservatismes, particulièrement du fondamentalisme religieux, réduit le champ des sujets qui peuvent être traités par les journalistes.

Enfin, le défi de la formation : les programmes de formation de journalistes sont souvent très anciens et ne préparent pas les professionnels des médias aux dangers du terrain, aux nouvelles techniques de couverture et à la couverture des sujets sensibles.

JOL Press : Quelle place occupent les nouveaux médias et les réseaux sociaux dans le paysage médiatique du Proche-Orient ?
 

Aymann Mhanna : Les nouveaux médias et les réseaux sociaux entretiennent une relation paradoxale avec le paysage médiatique du Proche-Orient. Si les nouveaux médias attirent des dizaines de millions de personnes sur Internet et ont permis une couverture très détaillée des mouvements sociaux et des conflits dans la zone, les médias traditionnels n’ont pas su intégrer une stratégie « nouveaux médias » dans leur traitement de l’information.

On peut donc voir une grande dichotomie entre les sujets traités dans les médias traditionnels et ceux qui attirent l’attention des utilisateurs de réseaux sociaux.

JOL Press : Dans quelle mesure les partis politiques et confessionnels influencent-ils les médias au Proche-Orient ?
 

Aymann Mhanna : Ceci est particulièrement vrai au Liban où les partis politiques et confessionnels contrôlent la quasi-totalité du paysage médiatique. Les journaux et chaînes de télévision deviennent alors des outils de propagande et de communication aux mains des partis. C’est également le cas en Irak. En Palestine, les partis politiques ont également une grande influence sur les médias, mais l’aspect confessionnel y est moins présent.

La question ne se pose pas en Jordanie où de facto, les services de renseignement contrôlent les médias. En Syrie, les médias officiels sont tous sous contrôle du régime ; en face, une myriade de nouvelles publications et stations de radio sont apparues : certaines ont des liens politiques, d’autres ont été lancées par des associations locales, et d’autres enfin sont soutenues par des bailleurs de fonds institutionnels.

JOL Press : Quel était l’état de la liberté de la presse en Syrie avant le début du conflit ?
 

Aymann Mhanna : La Syrie a toujours été l’un des pays les plus fermés où la liberté de la presse n’a jamais existé. Néanmoins, la nature des violations a changé depuis le début du conflit. Avant le conflit, il n’y avait pas de médias indépendants. Même les médias privés étaient sous le contrôle effectif du régime et de ses services. Les tentatives d’écrire sur des sujets sensibles étaient directement réprimées et le nombre de journalistes exilés ou détenus y était plus élevé que dans tous les autres pays de la région.

JOL Press : Quel impact le conflit syrien a-t-il sur le traitement de l’information par les journalistes syriens et étrangers ?
 

Aymann Mhanna : Tout d’abord, le conflit a eu un impact direct sur les chaînes et les médias publics. De nombreux journalistes ont voulu « s’émanciper » et écrire plus librement. Ceux qui l’ont fait ont dû soit fuir le pays, ou bien se sont fait arrêter. Certains se sont lancés dans des initiatives médiatiques indépendantes (journaux et magazines clandestins).

Le conflit a également ouvert la voie à des centaines d’intellectuels syriens pour s’exprimer sur les réseaux sociaux ou bien dans la « nouvelle presse syrienne » (clandestine). De très nombreux sites d’information ont vu le jour. Ceci a permis d’avoir accès à un traitement assez riche de l’information provenant de Syrie.

Forcés à l’exil, de nombreux journalistes ont commencé à écrire sur la Syrie depuis l’étranger. En somme, ces développements ont augmenté le nombre d’articles d’opinion sur le conflit syrien. Les reportages et les articles d’investigation ont augmenté, mais avec moins de vigueur, étant donné la difficulté d’accès à de nombreuses régions du pays et au manque de formation.

Ceci est particulièrement vrai parmi les nouveaux « fournisseurs d’information » (news providers) syriens : les citoyens journalistes ou activistes médiatiques. Ceux-ci ont envoyé des images et des vidéos, mais sans nécessairement traiter l’information dans son contexte.

C’est un défi auquel ont fait face les médias internationaux. Ils y ont répondu de façons différentes (parfois complémentaires) : utilisation des vidéos et des images provenant des citoyens journalistes syriens ; formation de certains citoyens journalistes et amélioration de leurs techniques journalistiques ; envoi de reporters sur le terrain.

Or avec la multiplication des cas d’enlèvements de journalistes internationaux en Syrie, il devenait de plus en plus dangereux d’envoyer des reporters sur place. Ceci a conduit à une baisse du nombre de journalistes étrangers sur le terrain, à moins qu’ils ne soient des journalistes indépendants, freelance, qui – pour vendre leurs pièces – allaient davantage vers l’information sensationnelle qui attire plus facilement l’intérêt des groupes de presse.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Aymann Mhanna est directeur du Centre SKEyes, fondé à Beyrouth en novembre 2007, à l’initiative de la Fondation Samir Kassir créée à la suite de l’assassinat du journaliste et historien libanais Samir Kassir en 2005. Le centre se veut l’œil de surveillance des violations de la liberté de la presse et de la culture au Proche-Orient ; il entend également défendre les droits des journalistes et des intellectuels ainsi que leur liberté d’expression.

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