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Un an après #OccupyGezi, le combat continue en Turquie

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Depuis le début des manifestations anti-gouvernement en Turquie, le mouvement d’opposition n’a pas cessé. Des manifestants dans le parc Gezi à Istanbul, juin 2013. (Crédit photo : EvrenKalinbacak / Shutterstock.com)

JOL Press : Quelles sont vos revendications ? Ont-elles changé depuis un an ?
 

Tugce Oklay : Nos revendications n’ont pas changé mais elles se sont plutôt généralisées autour de plusieurs autres questions comme le droit des femmes ou l’impact de certains projets sur lesquels le gouvernement travaille actuellement, comme la construction de centrales nucléaires par exemple. Nous avons également fait plusieurs actions de solidarité internationale, en soutenant par exemple le droit à l’avortement en Espagne, le « droit à la ville » (soutiens aux locaux de la CNT à Paris) ou la lutte contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes à Nantes.

Maintenant, nos revendications ne consistent donc pas seulement à demander justice pour les victimes des abus policiers et pour leurs familles, mais elles concernent tout le pays et les projets qui nous touchent directement. C’est pour cela que le mouvement reste « chaud ». Même s’il a connu quelques périodes d’essoufflement, il ne s’éteindra pas.

Il faut souligner que depuis un an, beaucoup de victimes des brutalités policières attendent toujours justice, et d’autres manifestants comparaissent devant les tribunaux. On ne peut donc pas dire qu’il y a eu des manifestations et qu’ensuite, les gens ont lâché le mouvement. Notre combat contre l’impunité et pour la justice se poursuit, et nous continuons d’observer ce qui va se passer concernant l’évolution de la démocratie en Turquie.

JOL Press : Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan devrait se présenter à l’élection présidentielle en août prochain. Qu’en pensez-vous ?

Tugce Oklay : Le Premier ministre Erdogan, qui n’a pas encore présenté officiellement sa candidature pour la présidentielle, a eu la majorité lors des dernières élections locales le 30 mars, et il devrait avoir la majorité des votes lors de l’élection présidentielle. Si ce n’est pas au premier tour, il l’aura probablement au second tour.

Cela fait un peu peur parce qu’il souhaite établir un nouveau système politique où la charge présidentielle sera renforcée, et il va donc continuer à « gouverner seul » le pays. Par ailleurs, aucune personnalité politique ne semble pour l’instant capable de faire le poids face à lui, même s’il reste encore un peu temps pour que les candidats à la présidentielle se déclarent.

JOL Press : Pourquoi Erdogan est-il, selon vous, encore populaire ?
 

Tugce Oklay : Pendant les manifestations, le Premier ministre a bien sur gérer sa politique pour servir ses intérêts. Il a polarisé la société qui s’est divisée entre les « pour Erdogan » et les « contre Erdogan ». Il a réussi à mettre les « pour » de son côté en montrant les manifestants et les opposants sous un mauvais jour, en les qualifiant de marginaux, de « terroristes »… Ils étaient criminalisés.

Je pense qu’il souhaite continuer à faire cela, comme il l’a montré par exemple avec la violence policière très récemment déployée dans le quartier d’Okmeydanı à Istanbul [quartier où résident des alévis, des Kurdes et où l’extrême-gauche est active, ndlr] pour montrer encore une fois qu’il s’agissait de personnes « marginales » et gagner les votes des autres.

Mais le récent événement à Soma [catastrophe minière qui a provoqué la mort de plus de 300 personnes, ndlr] représente un risque pour Erdogan. Car il ne peut pas « criminaliser » les personnes qui manifestent suite à cet accident, pour lequel le gouvernement est tenu pour responsable.

JOL Press : Considérez-vous que le mouvement « Occupy Gezi » a réveillé l’esprit critique de la jeunesse turque ?
 

Tugce Oklay : Une partie de la jeunesse était déjà inquiète avant que commence le mouvement « Occupy Gezi ». Le mouvement a touché les gens mais on manque encore un peu de recul pour dire s’il a réveillé des jeunes qui ne se sentaient pas engagés dans la politique auparavant. Il est encore trop tôt pour le voir.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu des journalistes ou des académiciens qui soutenaient la politique de l’AKP [le parti d’Erdogan, ndlr] mais qui ont ensuite changé de discours et se sont « réveillés » lorsqu’ils ont vu que le parti et le Premier ministre changeaient leur attitude, leur comportement et leur politique. Je crois que cela pourra influencer les jeunes.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Tugce Oklay, originaire de la Turquie, étudiante à l’Université Paris VIII, est membre du « Collectif de Taksim », groupe d’activistes, composé d’étudiants et de travailleurs majoritairement originaires de la Turquie basé à Paris. Il a été créé en 2013 afin de soutenir la résistance en Turquie et renforcer la solidarité internationale, d’informer l’opinion publique, de la sensibiliser aux dysfonctionnements de la démocratie et à la répression policière en Turquie.

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