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Crise en Irak: le gouvernement chiite de Nouri al-Maliki est-il responsable?

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Nouri al-Maliki, Premier ministre irakien. (Crédit photo: 360b / Shutterstock.com)

La presse saoudienne a attaqué avec virulence le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki dimanche 15 juin, estimant que sa « politique confessionnelle » était directement à l’origine du chaos irakien.

Maliki, « ennemi numéro un de l’Irak » ?

Dans son éditorial du 15 juin 2014, le quotidien al-Riyadh, proche du régime saoudien, accuse ouvertement la politique confessionnelle du Premier ministre et « son monopole du pouvoir » d’avoir « mis l’Irak au bord d’une guerre civile implacable ». Le quotidien Okaz (de Djeddah) s’en est, lui, pris encore plus violemment à Nouri al-Maliki, qualifié rien moins que « ennemi numéro un de l’Irak ».

Le quotidien Asharq al-Awsat (« Le Moyen-Orient ») a, pour sa part, jugé que « Nouri al-Maliki serait prêt à aller jusqu’à perpétrer des massacres simplement pour se maintenir au pouvoir, tout comme le président syrien Bachar al-Assad ». Et de conclure : « Pour stabiliser l’Irak, il faut se débarrasser de Maliki et d’al-Qaïda ».

Après un silence remarqué, le gouvernement saoudien a, dans un communiqué publié le lendemain 16 juin, à l’issue de la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, estimé que c’est la politique confessionnelle et d’exclusion pratiquée par le gouvernement du Premier ministre chiite qui avait conduit à la déstabilisation du pays.

Le gouvernement saoudien a par conséquent fermement plaidé pour des mesures garantissant à toutes les composantes du peuple irakien une véritable participation dans la gestion des affaires publiques sur la base de l’égalité des droits. Il pousse à la formation rapide d’un « gouvernement d’entente nationale » pour rétablir la sécurité et la stabilité et renoncer à toute politique tendant à alimenter le confessionnalisme.

Le Qatar rejoint la position saoudienne

Le Qatar voisin n’est pas en reste sur cette ligne. Le ministre qatari des Affaires étrangères, Khaled al-Attiyah, a estimé quant à lui que la spectaculaire offensive des djihadistes en Irak était la conséquence d’une politique de « marginalisation » de la communauté sunnite par le gouvernement d’al-Maliki.

Et le ministre de considérer que « ce développement est en partie le résultat d’un cumul de facteurs négatifs […], notamment une politique partisane de courte vue et des pratiques de marginalisation et d’exclusion ».

Ces propos, tenus la veille lors du sommet G-77 + Chine à Santa Cruz en Bolivie, étaient rapportés ce même 16 juin par des médias officiels. Le ministre se faisait encore plus précis et rappelait « la dispersion par la force des rassemblements pacifiques », en référence à la répression en avril 2013 et en janvier 2014 de manifestations de sunnites réclamant la démission de Nouri al-Maliki.

Le ministre qatari en appelait aux autorités de Bagdad pour qu’elles prennent en considération « les attentes d’une large partie de la population qui ne demande que l’égalité et la participation, loin de toute discrimination confessionnelle ».

Al-Maliki et son plan avorté de « réconciliation nationale »

Au regard de la situation actuelle, on ne peut évidemment pas minimiser la responsabilité du gouvernement de Nouri al-Maliki dans la dégradation de la situation irakienne. En effet, ce dernier, historiquement issu du parti chiite al-daawa (« L’appel »), et longtemps en exil à Téhéran puis à Damas, était devenu Premier Ministre un peu par défaut, le 22 avril 2006, en replacement d’Ibrahim al-Jaafari décrié qu’il était à la fois par les Kurdes et les sunnites.

Sa priorité affichée d’alors avait été, avec le soutien américain, de présenter un plan de « réconciliation nationale » au Parlement irakien et de tenter de mettre au pas les différentes milices chiites et sunnites qui s’imposaient déjà face à une armée « nationale » irakienne, à l’époque quasi-inexistante depuis la dissolution de l’armée de Saddam Hussein par les Américains, dans le prolongement du renversement de ce dernier en 2003.

Nouri Al-Maliki bénéficia, en fait, d’un concours de circonstances en quelque sorte favorable, avec la mise en place du « plan de sécurité » de Bagdad lancé début 2007 et la lutte déclarée contre AQI (« Al-Qaïda en Irak »), la filière d’Al-Qaïda en Mésopotamie née en octobre 2004, et devenue l’EII (« État islamique d’Irak ») en octobre 2006.

Cette lutte devait être menée par un certain nombre de tribus sunnites ayant servi de support à la création, par le général américain David H. Petraeus, de la Sahwa (« Le réveil »), rassemblant ceux que l’on a également appelé les « Fils d’Irak » recrutés sur une base tribale et chargés de s’opposer manu militari à la mouvance d’Al-Qaïda en échange d’une rémunération de quelque 300 dollars mensuels par combattant.

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Une priorité donnée aux combattants chiites

Le problème réside dans le fait qu’une fois les derniers Américains partis en décembre 2011, les combattants de la Sahwa ont fait l’objet de nettement moins de considération de la part d’un pouvoir d’abord et avant tout chiite, lequel se méfiait a priori de l’existence d’une quelconque force armée sunnite.

Dès l’année 2010, soit déjà un an avant le retrait définitif américain, le gouvernement al-Maliki avait manifesté ses réticences à intégrer dans l’armée régulière irakienne en voie de reconstitution la plus grande partie de ces combattants, au motif plus ou moins fallacieux de contraintes budgétaires. Certains avaient bien été intégrés dans une force de police locale, mais le plus grand nombre n’avait obtenu qu’une intégration temporaire non renouvelable.

De fait, la priorité avait été donnée au recrutement de miliciens d’obédience chiite issu soit du parti al-daawa du Premier ministre, soit de la brigade Faylaq Al-Badr (« Corps Al Badr »), bras armé du « Conseil suprême de la révolution islamique en Irak » (CSRII) étroitement lié à l’Iran. Depuis le retrait complet des Américains fin 2011, ces milices n’ont plus reçu de la part du gouvernement central l’argent que leur versaient jusque-là les Américains. Last but not least, leurs membres sont parfois considérés ceteris paribus comme des sortes de harkis, c’est-à-dire comme des « traîtres », par les insurgés sunnites et se sont même trouvés fréquemment la cible d’attaques.

Au nombre de ces derniers, pas moins de six membres du clan Abou Richa qui, en amenant à lui une vingtaine de tribus, constitua l’un des piliers de la Sahwa, ont d’ailleurs payé de leur vie cet engagement dans la lutte contre Al-Qaïda, dont le fondateur des « Fils de l’Irak », en l’occurrence Abdel Sattar Abou Richa, auquel avait rendu visite le 3 septembre 2007 l’ancien président Georges W. Bush lors d’une de ses deux seules visites en Irak, et qui fut tué dix jours plus tard dans l’attentat-suicide d’un faux mendiant.

Une marginalisation des sunnites

Reniant ses engagements en faveur de la « réconciliation nationale », le Premier Ministre al-Maliki n’a cessé, depuis le départ des Américains dont il avait souhaité le retrait complet et définitif – ironie de l’Histoire, c’est ce même Nouri al-maliki qui en appelle aujourd’hui à une aide militaire américaine – d’affirmer la dimension chiite de son pouvoir en s’enfermant dans une logique de plus en plus « confessionnelle » sinon « sectaire ».

Cela s’est manifesté par une « marginalisation » de plus en plus marquée de la minorité sunnite, allant jusqu’à faire condamner à mort par contumace, en septembre 2012, le sunnite Tareq al-Hachemi, dirigeant du « parti islamique irakien » (PII) qui avait été vice-président irakien jusqu’en mai 2011, et qui s’était retrouvé en avril 2012 contraint à l’exil en Turquie.

En décembre 2012, l’interpellation des gardes du corps de l’ancien ministre des Finances, Rafeh al-Issawi, un sunnite membre du bloc laïc Al-Iraqiya dirigé par Iyad Allawi – vainqueur malheureux des élections législatives de mars 2010, qui furent finalement préemptées par une alliance hétéroclite formée in extremis par Nouri al-Maliki pour être reconduit comme Premier ministre – constitua sans doute l’élément déclencheur des manifestations qui se sont multipliées depuis dans les régions à majorité sunnite de l’Ouest et du Nord-Ouest du pays, tout particulièrement dans celle d’Al-Anbar.

Manifestations réprimées

Dernièrement, la situation s’était considérablement enflammée avec l’arrestation violente, le 28 décembre 2013 à son domicile de Ramadi, du député sunnite membre d’Al-Iraqiya, Ahmed al Alouani et l’envoi de l’armée pour écraser les manifestations qui s’en sont suivies.

Le démantèlement fin décembre 2013 d’un camp de tentes regroupant les protestataires anti-gouvernementaux installé à Ramadi, chef-lieu de la province sunnite d’Al-Anbar, et stigmatisé par al-Maliki comme un « quartier général d’Al-Qaïda » avait mis le feu aux poudres. Pas moins de 44 députés sunnites avaient alors démissionné le 31 décembre 2013 pour exprimer leur écœurement.

Et le retrait temporaire de l’armée début janvier 2014 n’avait pas fait retomber la colère sunnite ce qui permet, pour partie, de comprendre la suite des événements, et la passivité sinon la complaisance, à défaut d’une véritable adhésion, dont ont sans doute bénéficié les djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), mouvement fondé en 2013 et héritier paradoxal de l’EII, lors du lancement de leur opération militaire de la première quinzaine de juin 2014 sur le Nord de l’Irak et de leur progression fulgurante dans nombre de villes sunnites successivement investies.

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David Rigoulet-Roze est spécialiste de la région du Moyen-Orient et du golfe arabo-persique. Il est chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité de l’Europe (IPSE) de Paris, ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe (MEDA) de Bruxelles. Il est lauteur de Géopolitique de lArabie saoudite, Armand Colin, 2005.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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