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Irak: les jihadistes veulent casser les frontières tracées en 1916 par les Européens

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Après la vaste offensive menée le 10 juin par les insurgés sunnites de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) à Mossoul et dans plusieurs provinces irakiennes, les jihadistes ont opéré un vrai « coup médiatique » en diffusant, sur internet, des images et vidéos d’un bulldozer aplanissant un « mur » de sable entre l’Irak et la Syrie.

Sur Twitter, de nombreux sympathisants de la mouvance islamiste annonçaient, dans la légende de leurs photos, la « destruction de la frontière Sykes-Picot entre l’Irak et la Syrie par l’EIIL [ISIS en anglais, ndlr] », accompagnant leur tweet du hashtag (mot-clé) #SykesPicotOver, soit la fin des frontières dessinées suite aux accords Sykes-Picot.

Qu’est-ce que Sykes-Picot ?

Négociés à partir de 1915 et conclus en 1916 par le parlementaire britannique et spécialiste de l’Empire ottoman Mark Sykes, et le premier secrétaire à l’ambassade de Londres et spécialiste de la Syrie François Georges-Picot, les accords Sykes-Picot prévoyaient le partage des provinces arabes de l’Empire ottoman, alors en plein déclin, entre les deux grandes puissances européennes sorties victorieuses de la Première Guerre mondiale.

Après l’éclatement définitif de l’Empire ottoman en 1920, les cartes sont redessinées. La France devient puissance mandataire de la Syrie et du Liban, et les Britanniques placent sous leur administration la Palestine et l’Irak. La division du Moyen-Orient en plusieurs États, qui s’est faite au détriment des populations, a régulièrement été remise en cause et revient désormais en force dans les discours des jihadistes de l’EIIL.

« Pour l’EIIL, Sykes-Picot illustre le caractère impérialiste de la division du Moyen-Orient et la trahison des promesses occidentales de l’instauration d’un royaume arabe indépendant », explique Pierre-Jean Luizard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de l’Irak, à Libération.

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Zones d’administration directe : bleue (France) et rouge (Grande-Bretagne) / Zones d’influence : A (pour la France) et B (pour la Grande-Bretagne)

« L’EIIL entend restaurer le califat sunnite dans toute la région »

La prise de plusieurs villes syriennes d’abord, puis de Fallouja en janvier et de Mossoul en juin par les jihadistes de l’EIIL, constitue ainsi à leurs yeux le début de l’expansion de la suprématie sunnite sur des territoires aujourd’hui gouvernés par les chiites. « L’État islamique en Irak et au Levant ne reconnaît absolument pas les frontières, ni irakiennes ni syriennes, et entend restaurer le califat sunnite dans toute la région », indique Myriam Benraad, politologue spécialiste de l’Irak, à JOL Press.

Dans un premier temps, les jihadistes souhaitent ainsi conquérir un maximum de provinces et villes stratégiques d’Irak et de Syrie afin de créer un État islamique à cheval sur les deux pays, rallier les populations sunnites syro-irakiennes et apparaître comme une alternative crédible aux gouvernements de Bachar al-Assad et de Nouri al-Maliki.

Dans un second temps, leur objectif est l’instauration d’un califat : « la période de domination des Califats omeyyade de Damas, puis abbasside de Bagdad [au VIIème et VIIIème siècle après J.-C., ndlr] constitue en effet aux yeux des islamistes, et pas seulement des jihadistes, un véritable âge d’or de l’Islam, qui contraste avec la faiblesse actuelle du monde musulman », explique à JOL Press Romain Caillet, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient et spécialiste du salafisme.

« Cette décadence correspond selon eux à une période qui doit précéder le retour d’un « Califat suivant la voie prophétique » comme l’annonce un hadith [parole rapportée, ndlr] attribué au Prophète », précise le chercheur.

Vers la fin des frontières héritées de Sykes-Picot ?

Onze ans après l’invasion de l’Irak par les États-Unis, les frontières du Moyen-Orient pourraient encore bouger. La fin des frontières définies par Sykes et Picot n’est cependant pas pour tout de suite.

Interrogé par le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour, le spécialiste Barah Mikail estime en effet que « la réorganisation des frontières héritées de Sykes-Picot est à prévoir à terme, mais elle n’interviendra qu’en second lieu, après que les communautés de la région se furent réorganisées en termes territoriaux et de pouvoir ».

Si cette réorganisation pourrait prendre du temps, le chercheur note néanmoins la remise en cause profonde du système postcolonial. Un système « bel et bien en crise » aujourd’hui et qui est « très probablement en train de prononcer son dernier souffle ».

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