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Présidentielle en Syrie: «Bachar al-Assad ne changera pas de stratégie»

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Le 3 juin, les Syriens sont appelés aux urnes pour élire leur président. Le président Bachar al-Assad devrait sans surprise être réélu. (Crédit photo : Fotostory / Shutterstock.com)

JOL Press : L’élection présidentielle a lieu demain en Syrie. Comment s’est déroulée la campagne ?
 

Thomas Pierret : C’était pour lessentiel une redite des campagnes précédentes, c’est-à-dire une sorte de festival de discours dithyrambiques à l’adresse du président, des portraits d’Assad déployés dans toutes les villes, et tout l’appareil d’État mis au service de la campagne du président, de manière à donner l’impression que l’adhésion au président venait de toutes les catégories sociales et de toutes les professions – des hommes d’affaires aux hommes de religion –, avec des célébrations savamment orchestrées. Quand le ministère des affaires religieuses organise une réunion d’hommes religieux dans une mosquée par exemple, les discours sont explicitement pro-Assad.

JOL Press : Pour la première fois, il y a néanmoins plusieurs « candidats » à l’élection…
 

Thomas Pierret : Le régime prétend que c’est une élection pluraliste, puisqu’il y a en effet deux autres candidats face à Bachar al-Assad pour la première fois dans l’histoire du pays, mais ils sont là pour faire de la figuration. Quand on les entend parler, quelques déclarations ont laissé entendre qu’ils étaient indépendants, mais dans des entretiens plus poussés à la télévision, les candidats ont passé autant de temps à vanter leurs propres mérites qu’à remercier le président syrien pour tout ce qu’il avait fait. On ne peut pas parler d’une opposition.

JOL Press : Après 3 ans de conflit, la victoire de Bachar al-Assad va-t-elle changer quelque chose ? Le président pourrait-il revoir sa stratégie ou lâcher du lest ?
 

Thomas Pierret : Lâcher du lest, certainement pas. Il ne s’agit pas de faire des réformes mais de réaffirmer que rien ne va changer. Bachar al-Assad entreprendra peut-être des choses assez superficielles, comme nommer des figures « d’opposition » au sein du gouvernement. Mais le régime n’a jamais réellement fait de réformes politiques, et dans les circonstances actuelles, il en serait encore moins capable. Je ne crois pas qu’il y aura de changement de stratégie mais plutôt un durcissement. La stratégie sera la même, à savoir une stratégie militaire, de bombardement et de siège.

JOL Press : L’Armée syrienne libre a appelé à boycotter ces élections. Quel est le poids de l’ASL aujourd’hui sur le terrain syrien ?
 

Thomas Pierret : Elle n’existe plus sous la forme qu’elle a avait à ses débuts. Son expression la plus aboutie était la création de son état-major et du conseil militaire suprême fin 2012 : il y avait là l’idée de créer une grande organisation qui regrouperait l’essentiel des forces rebelles. À l’époque, c’était le cas, en tout cas sur le papier, mais la cohésion était relativement faible. Il y a eu des tentatives d’en faire quelque chose d’un peu plus cohérent en 2013, mais cela a été un échec. Le coup de grâce a été l’affaire des armes chimiques en août dernier et la reculade américaine.

Ensuite, l’armée d’opposition s’est réorganisée sur un mode différent : un certain nombre de petites coalitions se sont reconstruites, dont certaines étaient directement issues de l’ASL. La taille de ces coalitions est plus modeste mais aussi plus solide, avec plus de cohésion. Le Front révolutionnaire syrien (FRS) est le noyau dur de l’ASL, et reste donc loyal à son état-major.

On a vu se former d’autres coalitions, qui n’ont plus forcément de liens très solides avec l’ASL, souvent pour des questions de factionnalisme : le mouvement Hazm par exemple, groupe dont on parle un peu ces derniers temps parce qu’il a reçu des missiles américains. Il y a également le groupe Faylaq Al-Sham, ou Légion du Levant, plutôt proche des Frères musulmans, dont lancêtre (Comité de Protection des Civils) était resté pendant longtemps un groupe central de l’ASL. Ou encore l’Armée des moudjahidines à Alep, qui est aussi directement issue de l’ASL, mais qui n’utilise plus ce label aujourd’hui.

Les groupes ayant continué à suivre les orientations idéologiques de l’ASL sont plutôt des groupes modérés, nationalistes ou islamo-nationalistes. L’ASL est donc aujourd’hui éclatée en plusieurs coalitions, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, dans le sens où ces coalitions ont beaucoup plus de prise avec le terrain, et une structure locale de commandement plus crédible que l’ancienne ASL qui était assez virtuelle.

JOL Press : Beaucoup d’opposants syriens sont aujourd’hui en exil. Au sein du Parlement syrien, existe-t-il des groupes parlementaires opposés à Assad ?
 

Thomas Pierret : Non, le Parlement syrien est une assemblée de gens payés pour applaudir tout ce que dit Bachar al-Assad. Certains prétendent être des opposants mais cela reste assez parodique. Il y a eu de vrais opposants dans le Parlement syrien à la fin des années 90, mais ils ont pour la plupart fini en prison.

JOL Press : Quelle sera la stratégie des pays alliés à la Syrie et celle du camp opposé suite à la réélection de Bachar al-Assad ?
 

Thomas Pierret : Les alliés vont être plus confortablement installés. Ils ne voudront plus entendre parler des tentatives de négociation de Genève I et Genève II qui ont échoué et qui devaient organiser une transition politique en Syrie.

La Russie, pour des raisons contextuelles, a accepté ce principe du bout des lèvres en juin 2012, mais désormais, après ces pseudo-élections, elle pourra dire que le processus de Genève est aujourd’hui sans objet, ou qu’il faudrait en changer l’objet puisqu’il y a aujourd’hui un leadership légitimement élu en Syrie.

Pour la Russie et l’Iran, il s’agirait donc soit de ne plus parler du tout de Genève, soit d’organiser un Genève III avec un autre objet, qui ne serait plus un changement de régime mais par exemple un gouvernement d’union nationale. Cela reviendrait à laisser Bachar al-Assad au pouvoir et à lui demander de placer quelques opposants triés sur le volet dans le gouvernement – ce qui n’aurait aucun impact puisqu’en Syrie, ce ne sont pas les ministres qui font la politique mais bien le clan Assad et les généraux.

Je ne pense pas que la Turquie, le Qatar ou l’Arabie saoudite vont changer de stratégie. Ils n’accepteront pas l’élection et vont continuer à soutenir l’opposition. Ces pays ne reverront leur stratégie que si le régime syrien remportait de nouvelles victoires vraiment spectaculaires contre les rebelles. Ils pourraient alors décider de « jeter l’éponge » et arrêter de dépenser leur argent pour une cause perdue. Pour l’instant, ils sont justement en train de se battre pour que cela n’arrive pas.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Thomas Pierret est maître de conférences à l’Université d’Édimbourg (Écosse). Spécialiste de l’Islam sunnite et de la Syrie, il est diplômé de sciences politiques à Sciences Po Paris et à l’Université de Louvain (Belgique). Il est notamment l’auteur de Baas et Islam en Syrie : La dynastie Assad face aux oulémas, Presses universitaires de France, 2011. 

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