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Conflit israélo-palestinien: le Qatar, soutien indéfectible du Hamas

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(Crédit photo: Philip Lange / Shutterstock.com)

Le Hamas, allié stratégique du Qatar
 

JOL Press : Historiquement, quels liens entretiennent le Qatar et le Hamas ?
 

Nabil Ennasri : Ce sont des liens anciens qui remontent à la stratégie mise en place par l’ancien émir, Cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani. Cette proximité entre Doha et le Hamas s’expliquait alors par trois facteurs.

Il y avait d’abord cette volonté pour le Qatar de devenir un acteur diplomatique de premier plan. Cette ambition s’est notamment illustrée pendant toute la décennie 2000 par le rôle de médiateur que l’émir avait réussi à se forger. Durant cette période, Doha avait été au centre de la résolution des conflits régionaux, notamment pour les lignes de faille qui ensanglantaient le monde arabe : Soudan, Yémen, Liban etc. Le Qatar mettait à disposition ses services puisqu’il avait la réputation de « parler à tout le monde ». S’agissant du cas palestinien, cette posture d’ouverture l’avait donc amené à discuter avec l’ensemble du spectre palestinien, y compris le Hamas.

De plus, le mouvement était devenu à partir des élections législatives de janvier 2006, la première force politique palestinienne et, outre son caractère incontournable, le Qatar percevait le fait que le Hamas pouvait émerger comme un allié stratégique important. À la différence des régimes à bout de souffle, comme celui d’Hosni Moubarak en Égypte, et prenant le contre-pied des options saoudiennes, l’émir avait identifié le Hamas comme un acteur dominant avec lequel une relation diplomatique forte pouvait se créer.

Enfin, l’irruption du Printemps arabe et la volonté de Doha d’encourager les peuples dans leur marche vers la liberté ne pouvait que s’accompagner d’un discours politique en faveur du Hamas qui, malgré l’opprobre occidental, demeurait la formation dépositaire de la légitimité populaire palestinienne.

JOL Press : Pourquoi le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, s’est-il établi à Doha et non à Gaza ?
 

Nabil Ennasri : Historiquement, le chef du bureau politique du Hamas est toujours à l’étranger. Cela permet au Hamas d’assurer « ses arrières » notamment en matière de financement, d’établissement de relations diplomatiques et d’existence sur la scène internationale. Avant de s’établir à Doha fin 2012, Khaled Mechaal avait passé un long moment en Syrie. Mais la rupture avec Damas a été consommée avec la divergence de fond qui l’a opposé au clan Assad.

Membre de la confrérie des Frères musulmans, que le régime de Damas avait décimé par le passé, et ne pouvant apporter une caution à l’entreprise terrible de répression que les forces gouvernementales menaient depuis le déclenchement de la révolte syrienne en mars 2011, le Hamas a progressivement cherché à sortir de l’orbite syrienne. Malgré une première période de flottement, la décision de rompre avec Damas s’est faite courant 2012, au moment où il devenait évident que Bachar al-Assad poursuivrait sa politique répressive. Dès lors, le Hamas s’est dirigé vers le Qatar qui est devenu son parrain.
 

Les appuis qataris
 

JOL Press : Comment s’organise concrètement le soutien du Qatar au Hamas – qui finance, dans quelles proportions, quelles sont les méthodes et voies d’aide et de financement ?
 

Nabil Ennasri : C’est d’abord un appui diplomatique. Le Qatar donne au Hamas une légitimité en tant qu’acteur à part entière de la scène internationale. D’ailleurs, ce soutien peut symboliquement être d’une grande portée : la visite du Cheikh Hamad à Gaza en octobre 2012 avait, pour la première fois, brisé le blocus de la bande de Gaza qu’Israël voulait rendre total et permanent. Ce déplacement d’un chef d’État avait considérablement irrité Tel Aviv et cela avait été considéré comme une victoire médiatique retentissante pour le Hamas.

Ensuite, il y a tout un circuit d’aide financière. Lors de cette même visite, le don du Qatar aux projets de reconstruction de Gaza avait été porté à 400 millions de dollars, alors qu’il ne devait être que de 200 millions au départ. Le Qatar est, avec la Turquie et l’Iran, le pays qui apporte le plus de soutien à la bande de Gaza tant dans le domaine humanitaire que médical, logistique ou culturel. Il y a, par exemple, plusieurs organisations qataries qui œuvrent sur place, comme le Croissant rouge qatari ou la Qatar Charity.

D’autres volets de ce financement peuvent avoir une portée politique. C’est par exemple Doha qui a promis de verser les salaires en retard des milliers de fonctionnaires. Il faut aussi attirer l’attention que ces rallonges financières ne concernent pas que le Hamas. Il y a deux ans, l’émir avait promis le lancement d’un fonds pour la « sauvegarde d’Al Qods (Jérusalem) » dont il prenait part à hauteur de 250 millions de dollars. De même, du fait du réchauffement des relations avec l’Autorité palestinienne (Mahmoud Abbas est désormais un habitué des voyages à Doha), le Qatar envisage de verser une aide financière pour lui donner les moyens de poursuivre son action en Cisjordanie.
 

L’axe Ankara/Doha, seule médiation possible
 

JOL Press : Le Qatar a-t-il à un rôle à jouer aujourd’hui dans la résolution du conflit opposant le Hamas à Israël ? Quel serait-il ?
 

Nabil Ennasri : C’est surtout un rôle de médiation. Les acteurs qui ont la capacité de pouvoir discuter avec – voire de convaincre – le Hamas, tout en ayant des relations avec les États-Unis sont peu nombreux. En réalité, il ne peut s’agir que du Qatar ou de la Turquie. Il y a quelques jours, l’émir s’est rendu en Turquie et cette convergence de vues fait du duo Doha/Ankara l’un des éléments moteurs d’un éventuel règlement de la crise. Car, à la différence de l’Arabie saoudite, des Émirats ou de l’Égypte, le Qatar garde une solide réputation tant auprès des dirigeants palestiniens – Fatah compris – que de la population qui lui reconnaît les bénéfices de sa coopération.

JOL Press : Le Qatar, allié des États-Unis, soutient le Hamas, ennemi de Washington… Doha pourrait-il perdre le soutien des Américains pendant ce conflit ?
 

Nabil Ennasri : Non. Les liens entre les États-Unis et le Qatar dépassent cette question. Ils sont le fruit d’une équation où, comme dans tous les autres pays du Golfe, le parapluie militaire américain se solde par une coopération militaro-énergétique. Le Qatar abrite la plus grande base militaire américaine en dehors du sol des États-Unis. En contrepartie, Doha coopère pleinement, notamment dans sa politique d’achat d’armement. Le récent contrat d’armement américain à hauteur de 11 milliards de dollars signé par le chef d’État-major qatari en est un exemple flagrant.

En revanche, malgré cette entente avec Washington, le Qatar a des relations glaciales pour ne pas dire orageuses avec Israël. Le ministre israélien des Affaires étrangères a même déclaré que le Qatar jouait un mauvais rôle dans la région car il soutenait « les factions terroristes » – entendez le Hamas. Dans sa charge, Avigdor Liberman a même plaidé pour une interdiction de la chaîne qatarie Al Jazeera. Il est clair que le soutien de l’émir au droit des factions palestiniennes à la résistance irrite au plus haut niveau les responsables israéliens.

JOL Press : Quel impact la fin du soutien de l’Égypte au Hamas et les rivalités entre le Qatar et ses voisins du Golfe pourraient-elles avoir sur le Qatar ?
 

Nabil Ennasri : Je pense que l’échiquier actuel va durablement polariser la région du Moyen-Orient. D’un côté, le nouveau pouvoir égyptien issu du coup d’État de l’an dernier [qui a entraîné la destitution du président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, ndlr] va poursuivre sa coopération militaire avec Israël dans le but d’asphyxier le Hamas. Il sera aidé en cela par les autres monarchies du Golfe, en premier lieu l’Arabie saoudite et les Émirats qui ont clairement déclaré la guerre aux Frères musulmans.

De l’autre, le Hamas va essayer de sortir de son encerclement par une alliance stratégique fondamentale avec le Qatar qui est pour lui l’unique parrain qu’il peut espérer dans les pays du Golfe. Ceci étant, le Qatar subit lui aussi un isolement régional qu’il va essayer de contourner par la nouvelle alliance stratégique qui est en train de naître à la faveur de la crise actuelle.

En effet, il y a de grandes chances à ce que l’axe Doha/Ankara devienne l’une des diagonales les plus en vue dans l’univers diplomatique au Moyen-Orient. Cette alliance permettra non seulement au Qatar d’éviter la marginalisation mais il pourra aussi compter sur un pays qui devient, outre une puissance diplomatique de premier plan, un acteur économique dominant au Moyen-Orient.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Nabil Ennasri est doctorant à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Spécialiste du Qatar, il est l’auteur de L’énigme du Qatar (Iris, mars 2013). Il est également fondateur de L’observatoire du Qatar.

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