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Israël-Gaza: la troisième bataille d’un conflit qui n’a pas de fin

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JOL Press : Extension de la portée des projectiles du Hamas, environnement régional tendu, radicalisation des esprits… Les événements en cours annoncent-ils un changement de nature du conflit entre Israël et Gaza ?
 

Denis Charbit : À l’heure actuelle, je ne vois pas de changement ni quantitatif ni qualitatif du conflit par rapport aux deux « rounds » précédents [en 2008-2009 et en 2012, ndlr]. On est cependant bien conscient que le Hamas est aujourd’hui plus faible qu’en 2012, lorsqu’il avait le président islamiste Mohamed Morsi comme allié en Égypte. Aujourd’hui, le nouveau président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est plutôt réticent et hostile au Hamas – il a maintenu le blocus – et le Qatar, un de ses autres alliés, est moins favorable au mouvement islamiste qu’il ne l’était auparavant.

Le sentiment que l’on a en Israël, c’est qu’on est dans la même dynamique qu’en 2012, et que c’est le troisième round d’une partie qui n’a pas de fin. Ce qui a changé, c’est l’accélération des événements : entre le premier et le deuxième conflit, quatre ans se sont écoulés. Entre le deuxième et le troisième, deux ans se sont écoulés. Espérons qu’on ne se trouvera pas dans les mêmes conditions dans six mois ou un an. Ce rétrécissement des délais peut inspirer de l’inquiétude.

JOL Press : Vous évoquez l’affaiblissement et l’isolement du Hamas. Quel est son avenir ?
 

Denis Charbit : Militairement parlant, il reste une force non négligeable. Diplomatiquement, les choses bougent : ce n’est pas parce qu’il est affaibli aujourd’hui qu’il est sur une pente descendante et qu’il va s’affaiblir jusqu’à sa disparition. Ce n’est pas comme cela que ça se passe. Je pense aussi que ce qui motive le Hamas, c’est de regagner un peu de « galon » auprès de l’opinion publique arabe et palestinienne. C’est cela qui me paraît être l’enjeu du Hamas aujourd’hui.

JOL Press : Craignez-vous un élargissement du conflit ou une contagion depuis l’Irak et la Syrie ?
 

Denis Charbit : Non je ne pense pas. Pour une raison simple : la différence entre les conflits irakiens, syriens et Israël-Palestine, c’est qu’en Syrie et en Irak, le conflit, qui s’étale sur des années, présente un caractère de guerre civile entre sunnites et chiites, ce qui n’est pas le cas ici où ce sont deux peuples, deux collectivités bien dissociées l’une de l’autre, qui ne font pas partie du même ensemble politique.

Quand il y a des opérations militaires entre Israël et le Hamas, cela dure au minimum neuf jours et au maximum trois semaines. Ces opérations-là, à mon avis, ne devraient pas durer plus de trois semaines. Je peux me tromper, bien entendu, et les prochains jours nous le diront.  Nous ne sommes pas dans un type d’opération qui dure des années sans savoir quand cela va se terminer. Le conflit ne va pas se terminer mais les opérations resterons limitées dans le temps.

JOL Press : Ne pourrait-on pas assister à un soutien de la part de l’État islamique (EI) en Irak et en Syrie au Hamas ?
 

Denis Charbit : La proclamation d’un califat par les jihadistes de l’État islamique ne change pour le moment rien pour Israël. S’ils envoyaient des divisions de jihadistes en Israël, cela pourrait évidemment tout changer, mais ce n’est pas le cas. Leur propre État islamique et leur propre autorité ne sont pas encore consolidés ni stabilisés en Irak et en Syrie. Rappelons aussi qu’entre l’Irak et la bande de Gaza se trouvent la Jordanie et Israël. Le territoire n’est pas forcément grand, mais l’armée israélienne est là pour empêcher ce genre d’incursions sur son territoire. Le Hamas est également soutenu par des pays qui sont opposés au califat, et il pourrait ainsi perdre ces soutiens.

JOL Press : Israël aurait-il intérêt à éradiquer le Hamas ?
 

Denis Charbit : Autant en 2008-2009 on pouvait émettre l’idée que le but d’Israël était de décapiter le Hamas, quitte à laisser le Fatah de Mahmoud Abbas prendre le dessus à sa place, autant aujourd’hui c’est complètement exclu. Il ne viendrait aujourd’hui à l’idée d’aucun chef politique ni militaire de dire que le but de l’opération est d’en finir complètement avec le Hamas.

Le but est de diminuer sa puissance de feu, de rayer son stock d’armes, de voir ce dont il dispose, s’il s’est amélioré ou pas. Israël sait en effet très bien que c’est dans des situations d’anarchie que les éléments extrémistes s’introduisent. C’est pour cela qu’il n’a pas intérêt à faire durer l’opération. Le scénario d’une nouvelle opération « Plomb durci » semble exclu.

JOL Press : Quelles sont les suites et les conséquences du rapport Goldstone* sur la manière de conduire les opérations par Israël ?
 

Denis Charbit : C’est encore trop tôt pour le dire, et on pourra certainement mieux en parler quand les opérations seront terminées. Mais j’ai quand même le sentiment qu’Israël prend en compte, pas seulement le rapport Goldstone, mais aussi la critique internationale, très sévère à l’égard d’Israël après 2008-2009.

C’est-à-dire qu’en matière d’entrée en guerre, Israël a fait attention à ce que l’on reconnaisse le droit de légitime défense. C’est ce qui s’est passé puisque Benjamin Netanyahou avait demandé un ultimatum de 48h : en échange du silence des roquettes du Hamas, ce dernier aurait le silence dIsraël. Mais le Hamas a continué.

Sur ce point-là, les Israéliens ont toujours veillé à ce que toute opération militaire déclenchée puisse être justifiée par la légitime défense, mais en revanche, ils ne tenaient pas compte de la conduite de la guerre. Là, j’ai l’impression qu’Israël fait quand même plus attention : on a lancé des appels à temps aux familles qui habitent dans des endroits prêts à être ciblés par l’armée israélienne à Gaza, pour qu’elles quittent les lieux afin d’éviter qu’elles ne s’ajoutent au bilan des pertes humaines. Mais nous sommes malgré tout à la merci d’une bavure ou d’une catastrophe qui peut toujours changer la donne.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Denis Charbit est maître de conférences au département de sociologie, science politique et communication à l’Université ouverte d’Israël. Il est spécialiste de la société israélienne et du conflit israélo-arabe et auteur de plusieurs livres dont Qu’est-ce que le sionisme ? (Albin Michel, 2007), Les Intellectuels et l’Etat d’Israël (éditions de l’éclat, 2009) et Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours (Albin Michel, 2013).

* Le rapport Goldstone – rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le conflit à Gaza – est un rapport de 575 pages rédigé à la demande du Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur l’opération militaire israélienne menée entre décembre 2008 et janvier 2009 et baptisée opération « Plomb durci » contre la bande de Gaza, ainsi que sur les tirs de roquettes et de missiles contre des villes israéliennes par le Hamas et d’autres organisations islamistes. Le rapport accuse l’armée israélienne et les groupes armés palestiniens d’avoir commis des actes pouvant constituer des crimes de guerre voire, dans certaines circonstances, des crimes contre l’humanité.

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