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Israël-Gaza: La Turquie, un acteur de premier plan dans le conflit?

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Le premier ministre turc  Recep Tayyip Erdogan  – Photo DR Shutterstock

JOL Press : En 2010, les relations turco-israéliennes ont été détériorées par l’affaire du « Mavi-Marmara », lorsque les forces israéliennes ont abordé le bateau turc Marmara qui faisait partie de la flottille Free Gaza destinée à casser le blocus maritime et terrestre de la bande de Gaza. Quelles relations entretenaient la Turquie et Israël avant cet épisode ?

Jean Marcou : La Turquie et Israël ont longtemps été des alliés au Moyen-Orient, Ankara ayant reconnu l’Etat hébreu dès sa fondation. En 1996 et 2000, les deux pays avaient encore conclu des accords importants, y compris dans le domaine militaire, et cette coopération s’est longtemps poursuivie par la suite. La détérioration des relations entre la Turquie et Israël ne date pourtant pas d’hier. Avant l’affaire du « Mavi-Marmara », plusieurs évènements ont participé à cette dégradation notamment l’affaire du « One Minute », en 2009 lorsque Recep Tayyip Erdogan avait apostrophé sévèrement, au Forum économique de Davos, le président israélien Shimon Peres, notamment après l’ « Opération Plomb durci » à Gaza ; un épisode qui avait apporté, à l’époque, une forte popularité à Recep Tayyip Erdogan dans le monde arabo-musulman.

L’« Opération Plomb durci », en 2009, dans la bande de Gaza a également été un tournant dans la détérioration des relations turco-israéliennes. Peu de temps avant le déclenchement de cette intervention militaire israélienne à Gaza, le premier ministre israélien Ehud Olmert s’était rendu en Turquie et n’avait rien dit de ce qui se préparait à Recep Tayyip Erdogan, alors que les relations étaient encore relativement bonnes entre les deux pays. Cette affaire avait mis Recep Tayyip Erdogan dans une position difficile. Il en a voulu par la suite au gouvernement israélien en réagissant de manière très virulente contre Israël.

Israël et la Turquie : des relations « stationnaires »

JOL Press : Les relations diplomatiques entre les deux pays se sont-elles normalisées depuis  ?  

Jean Marcou : Il y a en permanence des tentatives pour réamorcer des liens entre Israël et la Turquie, qui, à la suite du « Mavi-Marmara », n’avait pas rompu leurs relations diplomatiques – même si les représentants respectifs avaient atteint un des niveaux les plus bas, à savoir celui de deuxième secrétaire : c’est à dire qu’il y a toujours des relations mais il n’y a pas d’ambassadeur, ni d’un côté, ni de l’autre.

Pour normaliser ses relations avec Israël, la Turquie a exigé que trois conditions soient remplies : premièrement, que des excuses officielles soient présentées ; deuxièmement, que les victimes de l’arraisonnement du « Mavi-Marmara » soient indemnisées et, enfin, que le blocus sur Gaza soit levé.

Progressivement des relations se sont rétablies sous l’impulsion notamment des Etats-Unis, qui parallèlement à la déstabilisation du Moyen-Orient, ont fait pression pour qu’il y ait une relance des relations israélo-turques. Après plusieurs tentatives de restauration, Israël a finalement accepté de présenter des excuses officielles à la Turquie en mars 2013, mais les négociations d’indemnisation des victimes n’ont toujours pas abouti.

Les relations entre Israël et la Turquie étaient donc avant la crise de Gaza « mi-figue mi-raisin », et n’avaient pas été véritablement normalisées : il n’y avait toujours pas d’ambassadeur turc à Tel-Aviv, ni d’ambassadeur israélien à Ankara. Toutefois, depuis le début de la crise, suite aux manifestations qui ont eu lieu en Turquie, la représentation diplomatique israélienne a réduit au strict minimum sa présence sur place et les touristes israéliens – qui étaient revenus l’été dernier – ont annulé massivement leurs réservations en Turquie. Sans s’être formellement rompues, les relations turco-israéliennes sont donc très tendues et les escalades verbales suscitées par la présente crise éloignent la perspective de leur normalisation

Relations historiques entre le Hamas et la Turquie

JOL Press : Comment ont évolué les relations entre la Turquie et le Hamas ? 

Jean Marcou : Les relations entre le Hamas et la Turquie ont beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Jusqu’à mars 2011, début du soulèvement en Syrie, l’un des soutiens principaux du Hamas était l’Iran et son allié au Moyen-Orient : le Hezbollah. Mais le soutien du Hamas à l’opposition syrienne alors même que l’Iran et le Hezbollah apportaient leur appui au régime de Bachar al-Assad, ont dégradé les relations entre le Hamas et l’Iran.

A cette époque – en pleine dégradation des relations turco-israéliennes – la Turquie s’est imposée au Moyen-Orient comme un pays dont la côte était en hausse, en autres parce qu’il défendait désormais franchement la cause palestinienne. La Turquie a non seulement accru son soutien à l’Organisation de libération de la Palestine mais a également accueilli à de très nombreuses reprises les membres du Hamas à Ankara

A partir de l’automne 2011, le grand rêve de Recep Tayyip Erdogan était d’ailleurs de faire une visite officielle à Gaza, où il pensait qu’on lui ferait un triomphe. Les relations entre la Turquie et  le Hamas étaient  alors particulièrement bonnes, tout comme le furent par la suite à partir de mai 2012, celles entre la Turquie et l’Egypte de Mohamed Morsi. Il y avait, à cette époque, une sorte de triangle au Moyen-Orient : l’Egypte et la Turquie étaient des alliés naturels du Hamas à Gaza.

Depuis la chute de Mohamed Morsi, en 2013, ce triangle n’existe plus. Le Hamas a perdu un de ses principaux soutiens car il est confronté en Egypte à un régime qui lui est profondément hostile. Depuis l’été 2013, le Hamas s’est rapproché de l’Iran – avec lequel la Turquie entretient des rapports complexes – et du Hezbollah. Par la force des choses, le retour de l’Iran dans le jeu, réduit l’influence diplomatique turque. Par ailleurs, la visite régulièrement évoquée (entre 2011 et 2013) de Recep Tayyip Erdogan à Gaza n’est comme par hasard plus d’actualité.

JOL Press : Comme se traduit le soutien de la Turquie au Hamas ?

Jean Marcou : La position turque vis-à-vis du Hamas et de la cause palestinienne reste inchangée. Ce qui a changé, c’est la capacité d’influence du pays et de la diplomatie turque. La Turquie soutient toujours totalement la cause palestinienne et dénonce de façon extrêmement sévère l’intervention israélienne à Gaza puisque Recep Tayyip Erdogan est allé jusqu’à déclarer que les Israéliens dans leur répression dépassait ce qu’avait pu faire Hitler. Mais elle n’est pas au premier plan des tentatives de médiations…Il faut dire qu’actuellement, l’attention de Recep Tayyip Erdogan est surtout polarisée par l’élection présidentielle des 10 et 24 août prochains: la première élection présidentielle au suffrage universel en Turquie. Le candidat de l’AKP évite les sujets de politique étrangère, sauf si cela peut lui rapporter des voix…

JOL Press : Justement, à quelques jours de l’élection présidentielle en Turquie, Recep Tayyip Erdogan multiplie les déclarations : il a accusé Israël de « terrorisme d’Etat » et de « surpasser Hitler en barbarie ». Une position stratégique en période électorale ?

Jean Marcou :  La position de Recep Tayyip Erdogan sur Gaza peut effectivement lui rapporter des voix. L’un des seuls sujets de politique étrangère sur lequel il s’exprime actuellement de façon ostensible concerne Gaza : il condamne l’intervention israélienne, et déplore toutes ces victimes en plein Ramadan. Les Turcs sont choqués par les centaines de victimes civiles à Gaza et inquiets d’un danger qui se situe dans leur environnement. Les interventions d’Erdogan sont donc plus à destination domestique qu’internationale. Mais ses déclarations très virulentes ont gêné la diplomatie turque sur le plan international et lui ont pratiquement aliéné tout espoir de pouvoir jouer un rôle de médiateur.

Pourquoi la Turquie n’est plus un acteur de premier plan dans le conflit israélo-palestinien ?

JOL Press : Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a rencontré le 25 juillet dernier le chef du Hamas à Doha dans le but d’ un cessez-le-feu avec Israël. Quel rôle joue la Turquie dans la résolution du conflit israélo-palestinien ?

Jean Marcou : La Turquie ne joue pas un rôle majeur, comparé à celui qu’elle avait entre 2011 et 2013. Dès l’été 2013, lorsque les Américains ont tenté de relancer le processus de paix entre Israël et les Palestiniens, la Turquie n’est pas apparue au premier plan, alors même que Recep Tayyip Erdogan s’était rendu en mai 2013 aux Etats-Unis, et qu’il y avait été très bien reçu par Barack Obama, et que l’on évoquait alors un rôle important pour Ankara dans de futures négociations. En raison des positions radicales qu’a prises Recep Tayyip Erdogan sur l’Egypte, et de son soutien au Hamas, la Turquie ne sera donc pas au premier plan : elle est certes consultée à l’heure actuelle sur Gaza, mais reste dans l’ombre du Qatar.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Jean Marcou est professeur à Sciences Po Grenoble, chercheur associé à l’Institut Français d’Études Anatoliennes d’Istanbul.

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