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L’État islamique a désormais «une mainmise presque totale sur la région»

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L’EI contrôle un territoire de plus en plus vaste et des ressources stratégiquement capitales. Crédit : Shutterstock

JOL Press : L’EI contrôle de plus en plus de sites énergétiques importants en plus des stocks d’armement dont il dispose. Quel danger cela représente-t-il ?

 

Wassim Nasr : Il faut savoir que la prise de ce gisement de gaz est le dernier d’une longue liste. Tous les champs qu’ils ont pris dans l’est syrien depuis le début de l’année leur ont permis d’avoir des ressources pour leur avancée fulgurante en Irak. Maintenant, ils ont une mainmise presque totale sur la zone, à l’exception de quelques quartiers de Deir ez-Zor et de l’aéroport militaire.

Cela fait partie d’une stratégie en deux volets de l’EI. Le premier est de garantir des ressources et une autosuffisance totale grâce aux raffineries et aux puits qu’ils ont pris en Syrie et en Irak. Il faut préciser qu’ils ne vendent pas directement le pétrole et le gaz mais via des accords avec les clans qui gèrent le trafic entre les deux pays depuis des décennies et qui ont voué allégeance à l’EI.

Ils le vendent ensuite à n’importe qui et reversent une partie de l’argent à l’Etat islamique. Quand le régime contrôlait encore la zone, des hydrocarbures arrivaient jusqu’en Iran. L’EI est en train d’investir cet argent pour gagner une assise populaire. Les gens qui habitent dans ces villes sont très pauvres. A Mossoul par exemple, la première chose qu’ils ont fait est de distribuer gratuitement du gaz et de l’essence. Ils veulent montrer aux gens que l’EI est du côté de la population.

Aujourd’hui, c’est véritablement un électron libre, tout ce qui se dit sur des Etats qui les aideraient est complètement faux. Et dans l’ensemble, ça marche, puisque les sunnites sont majoritairement favorables à ce qu’ils font. Les exécutions à Chaar font partie de leur plan de terreur qui vise leurs ennemis comme l’armée irakienne.

JOL Press : Quelle est la situation des chrétiens dans la région ? Ceux de Mossoul ont du quitter la ville après l’ultimatum posé par l’EI qui a expiré samedi dernier.
 

Wassim Nasr : Avant de parler de Mossoul il faut savoir qu’il y a un premier exemple à Racca, en Syrie. Les chrétiens ont eu trois options : se convertir, payer la taxe (la djizîa) ou partir. Sinon, c’est la mort. Ceux de Racca ont choisi de payer la taxe parce que les responsables religieux chrétiens avaient signé un accord. La djizîa leur donne droit à une protection et c’est en même temps une contribution à la défense du territoire, parce que les chrétiens n’ont pas l’obligation de faire leur service militaire et de combattre dans les rangs de l’EI.

S’ils ont accepté cette taxe, c’est d’abord parce que pendant trois ans de guerre ils se sont fait énormément rackettés et ils étaient menacés par plusieurs groupes islamistes. Avec l’Etat islamique, ils payent un groupe et ils savent où ils vont. Cette taxe se paye une fois et est divisée en trois catégories : pour les plus riches, les classes moyennes et les plus pauvres. Elle est toujours en adéquation avec les revenus.

A Mossoul, les chefs religieux chrétiens n’ont pas accepté de discuter puisque cela aurait voulu dire approuver l’Etat islamique. Ils ont donc du quitter leurs maisons et ont fait partie de l’exode après la prise de la ville. Par contre, ils ont eu des garanties de l’EI qu’ils ne seraient pas massacrés comme les chiites s’ils revenaient, puisque ce sont des gens du Livre. Ils doivent juste payer la taxe.

Mais il y a des images complètement fausses qui ont été diffusées, notamment d’une église qui brûle alors qu’il s’agit d’une église copte en Egypte en 2012.

JOL Press : Est-ce que vous pensez que l’EI ou un autre groupe jihadiste peut continuer à s’étendre dans la région ?
 

Wassim Nasr : Je pense que la question est plutôt de savoir si l’Etat islamique va pouvoir se maintenir. Ils ont tout ce qu’il faut pour construire cet embryon d’Etat.

A la différence d’autres groupes comme Al Qaeda, l’EI gère les villes vraiment. Il y a une police – certes islamique – mais une police, des tribunaux – certes islamiques aussi – mais des tribunaux, ils s’occupent des gens en leur donnant des ressources comme pour le ramadan où ils leur ont donné des vivres.

Et il ne faut pas oublier qu’en Syrie après trois ans de chaos, la population souhaite retrouver un peu d’ordre, soit-il de l’Etat islamique. En Irak, c’est pareil, après des années d’oppression de l’armée beaucoup de gens voient l’EI comme des libérateurs. Dans les régions où ils ont pris le contrôle, il n’y a pas d’exode massif, à part pour les chrétiens et leur traitement particulier, et les chiites qui vont se faire massacrer quoi qu’il arrive. Mais les sunnites qui sont majoritaires dans ces zones sont plutôt favorables à l’EI.

JOL Press : Quel rôle peut jouer la communauté internationale ?
 

Wassim Nasr : Personne ne veut s’embourber dans cette guerre. Si les Etats-Unis entrent dans le conflit du côté de Nouri Maliki (le Premier ministre irakien, ndlr), comment pourraient-ils justifier d’aider l’allié de Bachar el-Assad en Syrie et l’homme de l’Iran contre les sunnites ?

Les Etats sont des monstres froids, et lorsque les Américains voient qu’en Syrie, son ennemi mortel le Hezbollah s’affronte avec Al-Qaeda et l’EI, ils les laissent faire. Mais cette prise de pourvoir de l’Etat islamique est en train de mélanger les cartes au niveau régional. C’est un réel danger pour les monarchies du Golfe et en particulier l’Arabie Saoudite.

Les Saoudiens qui font partie de l’EI ne disent même pas leur nationalité et se contentent de dire qu’ils viennent de la région. Car l’EI a trois ennemis : les monarchies du Golfe, pour reconquérir la terre d’islam, ensuite les chiites et enfin l’Occident. 

Wassim Nasr est spécialiste du Moyen-Orient et des mouvements jihadistes en Irak et en Syrie.

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