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Face à l’État islamique: Bachar al-Assad, futur allié des Occidentaux?

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« Bachar al-Assad a su se positionner habilement depuis le début du conflit comme « rempart » contre le chaos » (Crédit photo: Jan Kranendonk / Shutterstock.com)

Coopération informelle
 

JOL Press : Les Etats-Unis vont envoyer des drones au-dessus de la Syrie pour repérer les djihadistes de l’Etat islamique. Doit-on s’attendre à une coopération entre les Américains et Bachar al-Assad ?

Frédéric Pichon : Je pense que beaucoup d’experts influents poussent dans le sens contraire à Washington. On a entendu les déclarations de sénateurs américains qui disaient qu’il fallait coopérer avec Assad, mais je crois que ceux qui risquent de l’emporter sont plutôt ceux qui refusent cette option-là.

Par conséquent, si coopération il y a, elle sera informelle, secrète, non officielle. Mais effectivement, je vois mal comment les Etats-Unis pourraient prétendre circonscrire l’Etat islamique en se cantonnant uniquement à des frappes en Irak.

JOL Press : Comment expliquer un tel revirement de situation, un an après la possible intervention américaine en Syrie contre Assad ?
 

Frédéric Pichon : Cela devait arriver depuis longtemps. C’est d’ailleurs ce que disait le régime syrien, qui s’était pré-positionné sur cette question dès 2011 en disant qu’il combattait le terrorisme et avait vocation à se ranger du côté de l’Occident.

Le revirement s’explique tout simplement par les succès des djihadistes de l’Etat islamique, et dont il ne faut pas oublier qu’ils sont largement le produit du conflit syrien. Bien que ce groupe vienne d’Irak, c’est en Syrie qu’il s’est vraiment organisé et renforcé, à la faveur de l’anarchie et du chaos qui régnaient dans les zones ayant échappé au régime syrien à partir de 2012.
 

Groupes de pression
 

JOL Press : Quelle position pourrait adopter la France ? Assad peut-il être considéré comme un allié ?
 

Frédéric Pichon : Plusieurs groupes de pression, dans l’exécutif français, poussent à éviter toute collaboration avec le régime d’Assad : les humanitaires, qui ont une vision morale de la situation et rappellent les massacres et atrocités commises par le régime, et en cela ils ont raison.

Il y a également le lobby nucléaire qui considère qu’il ne faut absolument pas laisser se développer la puissance nucléaire iranienne, dont la Syrie est une alliée. Et il y a le lobby financier et économique du Golfe, qui tient à la dépendance des exportations françaises vis-à-vis des pétromonarchies, opposées à Assad. Cela empêche une solution « déguisée » ou officielle de coopération avec le régime syrien.

Cela dit, il ne faut pas non plus surestimer la marge de manoeuvre du gouvernement français. Car si les Etats-Unis changent d’option vis-à-vis d’Assad et décident de coopérer, la France se ralliera à cette option, comme elle l’a toujours fait depuis 2011. La France s’est à chaque fois alignée sur les positions américaines : on l’a vu en Ukraine, on le voit maintenant en Irak.
 

Réactivation des canaux diplomatiques
 

JOL Press : Par quels biais les Occidentaux pourraient-ils discuter avec le président syrien ?
 

Frédéric Pichon : Ces biais, on les connaît très bien. Depuis les années 90, les services de renseignement syriens ont régulièrement échangé des informations avec l’Occident. Assef Chawkat, le beau-frère de Bachar al-Assad, qui a été tué dans un attentat en juillet 2012, parcourait dailleurs régulièrement la planète : il allait à Washington ou à Saint-Cloud, au siège d’Interpol, pour échanger des informations sur le terrorisme avec les services secrets occidentaux.

Les canaux existent, ils ont juste été interrompus pendant trois ans. Les échanges vont se passer de manière informelle, probablement à Beyrouth. Par ailleurs, le gouvernement syrien, à travers son ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem, a récemment déclaré qu’il voulait bien coopérer mais qu’il fallait que ce soit officiel. C’est-à-dire que s’il y a des frappes américaines, il faut que cela soit fait en accord avec le gouvernement syrien. Certains diplomates ont déjà repris le chemin de Damas depuis six mois, et font la navette pour discuter.
 

Camouflet
 

JOL Press : Bachar al-Assad sort-il gagnant de ce jeu diplomatique ?
 

Frédéric Pichon : Oui, par rapport à tous ceux qui avaient proclamé sa chute imminente. Rappelons-nous les propos de notre ministre des Affaires étrangères qui disait que la chute du président syrien n’était plus qu’une « question de jours », puis « de semaines », puis « de mois », et maintenant cela va bientôt faire quatre ans… Politiquement, Bachar al-Assad a su se maintenir et adresser un camouflet à tous ceux qui le voyaient battu.

Il s’est payé le luxe d’être réélu, et un diplomate qui fait la navette entre Beyrouth et Damas me faisait récemment la confidence que, même si les élections avaient été transparentes, Bachar al-Assad aurait été réélu, parce qu’il a su se positionner habilement depuis le début comme « rempart » contre le chaos. Les Syriens ne souhaitent pas la dictature, mais le chaos islamiste leur fait horreur. De ce point de vue-là, le président syrien sort gagnant.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Frédéric Pichon est docteur en Histoire contemporaine. Auteur d’une thèse sur la Syrie, il est chercheur associé à l’Equipe Monde Arabe Méditerranée de l’Université François Rabelais (Tours). Consultant médias pour la crise syrienne et le Moyen-Orient, il donne régulièrement des conférences sur les sujets en lien avec la géopolitique de la région où il a fait de nombreux séjours. Il est lauteur de Syrie. Pourquoi lOccident sest trompé, Editions du Rocher, 2014.

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