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Turquie: «La victoire d’Erdogan renforce son influence sur le système»

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Recep Tayyip Erdogan vient d’être élu président de la République en Turquie – Photo DR Sadik Gulec / Shutterstock

JOL Press : Recep Tayyip Erdoğan a remporté l’élection présidentielle, le 10 août dernier en Turquie, dès le premier tour, avec 51,7 % des suffrages. Le taux de participation était-il un enjeu de taille pour le Premier ministre sortant ?  
 

Jean Marcou : Oui, dans une pays où l’on vote généralement massivement, Recep Tayyip Erdoğan ne souhaitait pas être élu avec un taux de participation inférieur à 70%, ce qui aurait écorné sa victoire, et l’aurait placé dans une situation analogue, toute proportion gardée, à celle de celui qu’il n’a cessé de critiquer ces derniers mois, le nouveau leader égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui a été obligé de prolonger d’un jour la durée du scrutin présidentiel qui lui a permis d’être élu, car il n’y avait pas assez de monde pour voter.

Le taux d’abstention concernant le vote des Turcs de l’étranger a certes été important, mais sur l’ensemble du pays, le 10 août, on n’a observé qu’un léger recul. En définitive, 75-76%, c’est 10% de participation de moins qu’aux élections locales du 30 mars dernier. Il faut prendre en compte que ce scrutin se déroulait pendant les vacances et aussi que certains électeurs considéraient que cette élection était jouée d’avance. Il y a donc un fléchissement de la participation, mais pas suffisamment net pour remettre en cause la victoire d’Erdoğan ou le principe en lui-même de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.

JOL Press : Recep Tayyip Erdoğan va-t-il modifier la Constitution pour «présidentialiser» le système turc ?
 

Jean Marcou : Recep Tayyip Erdoğan n’a pas les moyens politiques, dans l’immédiat, de réviser la constitution : il doit attendre les élections législatives de 2015, sans pour autant être sûr d’avoir alors la majorité renforcée de 367 députés qui lui permettrait de réviser seul la Constitution. Ceci dit, pour l’heure, pour gouverner comme il le souhaite et « présidentialiser » le système, il n’a pas besoin de réviser la Constitution.  Il dispose de moyens suffisants puisque l’AKP a la majorité au parlement.  Il lui suffit de nommer un Premier ministre qui mettra en œuvre sa politique.

JOL Press : Quel Premier ministre pourrait succéder à Recep Tayyip Erdoğan ?
 

Jean Marcou : Une hypothèse semble probable : la nomination de l’actuel chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoğlu. Recep Tayyip Erdoğan a en fait deux options : soit nommer un Premier ministre « exécutant », ce qui l’exposera au premier chef, soit nommer quelqu’un qui a plus de personnalité,  qui aura plus de marge de manœuvre mais qui pourra également jouer un rôle de « fusible ». Ahmet Davutoğlu est tout désigné pour une telle conception de la fonction. Il a une légitimité, car il est connu dans la région. Après Recep Tayyip Erdoğan et Abdullah Gül, Ahmet Davutoğlu est la personnalité  de l’AKP la plus connue au Moyen-Orient.

Au cours des dernières semaines, pendant que Recep Tayyip Erdoğan faisait sa campagne électorale, c’est Ahmet Davutoğlu qui était aux commandes : c’est lui qui a géré la crise des otages turcs de Mossoul et suivi la situation des communautés victimes de l’avance de l’Etat islamique (chrétiens, yazidis dans le Nord de l’Irak…). C’est encore lui qui a suivi, sur le plan diplomatique, la crise de Gaza. Ces derniers jours, l’opposition a attaqué Ahmet Davutoğlu, un peu comme s’il était déjà Premier ministre. Le parti kémaliste a d’ailleurs déposé une motion de censure individuelle contre lui. Même s’il a plus de marge de manœuvre, il devra tout de même appliquer la politique d’Erdoğan, dont la victoire au scrutin présidentiel a donc considérablement renforcé les pouvoirs et l’influence sur le système.

On ne peut néanmoins manquer d’observer qu’au lendemain de la victoire de Recep Tayyip Erdoğan, Abdullah Gül (qui est encore formellement président jusqu’au 28 août) a déclaré ostensiblement qu’il souhaitait retrouver une place et une action politique au sein de l’AKP.  Interrogé sur ses projets post-présidentiels, il avait expliqué, il y a quelques mois, qu’il ne souhaitait pas redevenir premier ministre pour être un simple exécutant de la politique présidentielle. Toutefois, il n’a peut-être pas dit son dernier mot…

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Jean Marcou est professeur à Sciences Po Grenoble, chercheur associé à l’Institut Français d’Études Anatoliennes d’Istanbul

 

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