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Turquie: radiographie du vote à l’élection présidentielle

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Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : A quoi faut-il s’attendre lors de l’élection présidentielle turque ?

Laurent Leylekian : Tout d’abord, je pense que le taux d’abstention sera plus élevé que lors des précédents scrutins, car les électeurs ne savent plus vers qui se tourner. Par le passé, beaucoup de Turcs ont voté en faveur d’Erdogan (AKP) – au pouvoir depuis 2001 – pour se rapprocher de l’Europe et en finir avec un système corrompu. Or, ces espoirs ont été déçus.

De plus, le tournant rigoriste du régime, illustré par les derniers propos du vice-Premier ministre, Bulent Arinç, sur le fait que les femmes devraient s’abstenir de rire fort en public, pourrait aussi dissuader une partie de l’électorat féminin de voter en faveur d’Erdogan.

Mais l’absence d’alternative crédible, tant au niveau des appareils que des personnalités politiques, risque de faire du Premier ministre turc un vainqueur par défaut. Du reste, ses deux concurrents, Ekmeleddin Ihsanoglu et Selahattin Demirtas, n’ont aucune chance d’être élus.

Discours populiste 

JOL Press : Comment l’électorat d’Erdogan est-il constitué ?

Laurent Leylekian : Premier élément : pour l’électorat musulman, Erdogan reste un facteur de stabilité. L’arrière-pays, rural et très pieux, va massivement voter pour lui. L’électorat populaire constitue le cœur de cible du Premier ministre. En maniant un discours populiste, qui flatte la grandeur ottomane passée, et en pratiquant un clientélisme effréné, Erdogan reprend finalement la stratégie qui a réussi par le passé à Silvio Berlusconi en Italie. 

La nouvelle bourgeoisie turque, islamiste et dont l’ascension sociale a été favorisée par le système en place, va sans doute, elle aussi, voter pour Erdogan.

A l’inverse, ceux que l’on appelle les «Turcs blancs» – qui constituent l’ancienne élite politique européanisée et proche de l’appareil kémaliste d’Atatürk – pourraient voter en faveur d’Ihsanoglu. Toutefois, rien n’est sûr car la candidature d’Ihsanoglu est assez illisible. Il s’agit d’un intellectuel, peu charismatique et ancien secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique (l’ONU parallèle des pays musulmans, ndlr) : une personne étiquetée islamiste donc, mais soutenue par deux partis qui se disent laïcs et qui sont en réalité un parti nationaliste pour le CHP, et un parti ultranationaliste pour le MHP. 

Kurdes et Alévis 

JOL Press : Peut-on «cartographier» le vote turc ?

Laurent Leylekian : Des facteurs régionaux, et donc géographiques, entrent effectivement en compte. On sait par exemple que la province du Dersim (centre) est un bastion kémaliste qui vote traditionnellement en faveur du CHP. Or, ces derniers temps, la répression contre les contestataires a entraîné un regain de résistance dans les régions peu favorables à Erdogan. Le vote CHP du Dersim pourrait se renforcer et s’étendre à d’autres régions, mais également à certaines franges de la jeunesse urbaine, fer de lance de la contestation.

D’autre part, certains foyers proches des milieux nationalistes – notamment la province d’Izmir (ouest) et de Trabzon (nord-est) – pourraient voter massivement pour le candidat du CHP, alors qu’ils avaient voté en majorité en faveur de l’AKP lors des dernières élections.

JOL Press : Qui pourrait voter en faveur de Selahattin Demirtas ?

Laurent Leylekian : Demirtas est à l’opposé de la conception ethniquement turque et religieusement sunnite de la Turquie d’Erdogan : il est jeune, kurde et fut membre du conseil d’administration d’une branche régionale de l’association turque des droits de l’homme. Il représente potentiellement la diversité de la Turquie honnie par Erdogan.

Demirtas pourrait agréger au-delà des Kurdes et s’attirer le vote des Alévis (une branche libérale de l’islam, ndlr) qui votent traditionnellement pour le CHP, mais qui sont certainement refroidis par le choix d’Ihsanoglu comme candidat de ce parti. Il me semble que Demirtas pourrait bénéficier de reports et dépasser les 10% des voix à l’élection présidentielle.

Parmi ces électeurs non Kurdes et non pro-Erdogan, il sera certainement intéressant d’observer la répartition des votes entre Ihsanoglu et Demirtas.

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