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Boko Haram: vers une coalition internationale contre le terrorisme?

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JOL Press : La semaine dernière, les autorités nigérianes ont demandé l’aide de la communauté internationale pour lutter contre Boko Haram. Est-ce un aveu de faiblesse de la part du Nigeria ? Pourquoi ne parvient-il pas à endiguer la menace ?
 

Philippe Hugon : C’est effectivement un aveu de faiblesse d’autant plus que le Nigeria est très sourcilleux de sa souveraineté nationale. Boko Haram a pris beaucoup d’ampleur au nord du Nigeria, où il contrôle largement l’État de Borno. Il continue à recruter et tente de s’étendre aussi au-delà du Nigeria, notamment au Cameroun. Le mouvement lui-même a changé un peu de nature puisqu’il revendique un califat, c’est-à-dire un territoire à lui et plus seulement des actions terroristes.

Face à cela, le Nigeria a fait beaucoup d’efforts en termes de financement et de soutien de son armée. Bien équipée et bien payée, elle est cependant largement corrompue, au niveau de ses chefs. Même si elle est suréquipée, elle n’a pas le pouvoir de lutter contre des réseaux mobiles : on est en effet dans une guerre asymétrique, et ce n’est pas la force des armes qui fait gagner le terrain.

Il faut savoir aussi que, malgré ses actions atroces, Boko Haram trouve un appui certain auprès des jeunes qui gagnent, par leur engagement, beaucoup plus que ce qu’ils gagnent lorsqu’ils ont un emploi. L’armée nigériane est impuissante face à Boko Haram – qui a d’ailleurs récupéré une partie de ses armes à cause de la corruption – et n’est pas apte à lutter contre un mouvement de cette ampleur.

JOL Press : Quelle forme l’aide internationale pourrait-elle prendre ?
 

Philippe Hugon : La priorité est évidemment la coopération régionale, puisque quatre pays sont concernés (Nigeria, Niger, Cameroun et Tchad). On a aussi dit que certains éléments de Boko Haram étaient présents en Centrafrique : cela n’a pas été totalement vérifié, mais c’est plausible.

Ceci étant, l’armée camerounaise est relativement efficace. Elle a récemment tué une centaine d’islamistes dans les rangs de Boko Haram. Mais ces armées manquent généralement d’équipement, de logistique et de savoir-faire pour lutter contre le terrorisme.

Il faut impérativement qu’elles disposent d’un appui logistique, d’un système d’information (notamment par satellites ou drones) et là, ce sont les Américains, les Français ou les Britanniques qui sont les plus aptes à apporter cet appui et cette coopération.

JOL Press : Quel est le but des djihadistes de Boko Haram dans la région ? Les autres pays voisins doivent-ils vraiment s’inquiéter ?
 

Philippe Hugon : Boko Haram, au départ, est une secte qui repose sur l’objectif d’instaurer la charia et de s’opposer à l’éducation occidentale. Son combat se situait essentiellement dans le champ du religieux. Depuis, cela a beaucoup changé puisque Abubakar Shekau, le leader du groupe, est un psychopathe qui mène des actions d’une violence extrême et qui dépassent le Nigeria.

Il fait par ailleurs référence à un califat, qui correspond à un vieux rêve de rassembler, depuis la Mauritanie jusqu’à la Somalie en Afrique, des pays sous un même califat religieux.

Boko Haram a également des hommes dans l’économie mafieuse, qui sont puissants et ont reçu l’aide d’hommes politiques du nord du Nigeria, qui considéraient que le mouvement était un appui pour permettre une plus grande autonomie du nord. Mais aujourd’hui, il reste difficile de trouver une rationalité dans l’action globale de Shekau.

JOL Press : Sur quels réseaux financiers Boko Haram s’appuie-t-il ?
 

Philippe Hugon : Il a pu d’abord compter sur les financements d’hommes politiques, par des liens avec des militaires, des généraux et des hauts gradés de l’armée nigériane, où il a pu notamment bénéficier d’approvisionnement en armes.

Il faut savoir qu’il montre également d’une très grande détermination : lorsqu’il y a des combats, les armées ne tiennent pas à se sacrifier et Boko Haram récupère donc assez facilement des armes. Et comme tous les mouvements djihadistes extrêmes, ils sont aussi présents dans des réseaux de trafics illégaux, de pillages de banques etc. Peut-être sont-ils aussi sponsorisés par quelques responsables extérieurs.

JOL Press : On évoque beaucoup en ce moment la constitution d’une large coalition internationale pour lutter contre les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Ce genre de coalition pourrait-elle être lancée au Nigeria ?

Philippe Hugon : Heureusement, l’ampleur de Boko Haram n’est pas du même ordre de grandeur que l’État islamique en Irak et en Syrie. Ce sont plutôt des actions antiterroristes ciblées qui doivent être menées contre lui. Je ne crois pas qu’il faille prendre très au sérieux l’idée d’un califat, c’est-à-dire d’un territoire contrôlé par Boko Haram – même s’il contrôle quand même des zones dans l’État de Borno.

Je crois qu’il faut aussi se méfier de l’idée d’un grand mouvement d’islamisme radical qui irait de la Mauritanie jusqu’en Afghanistan. Les groupes sont quand même relativement séparés, même s’ils peuvent partager, en partie, la même idéologie. La réponse à cela ne peut donc pas être la même.

Ce qu’il faut, à mon avis, ce sont des actions approfondies contre le terrorisme, et de ce point de vue-là, cela suppose une action qui passe par l’appui des grandes puissances militaires, qui ont les services de renseignement, de surveillance et les moyens aériens pour lutter contre Boko Haram et qui peuvent en plus former et encadrer les troupes africaines.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Philippe Hugon est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), en charge de l’Afrique. Consultant pour de nombreux organismes internationaux et nationaux d’aide au développement, il enseigne au sein du Collège interarmées de défense et l’IRIS SUP’. Il a par ailleurs enseigné au Cameroun et à Madagascar. Il est également directeur scientifique de la Revue Tiers Monde et chargé du chapitre « Afrique Subsaharienne » dans L’Année stratégique.

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