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Coalition Irak-Syrie: les Occidentaux sont-ils tombés dans le piège de l’EI?

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« Les islamistes cherchent à pousser l’Occident à surréagir, notamment en exécutant des otages, pour servir leurs desseins », analyse Pierre Guerlain. (Crédit : Shutterstock)

 

Après avoir mené depuis le 8 août plus d’une centaine de raids aériens contre les djihadistes du groupe EI en Irak, les Etats-Unis tentent à présent de bâtir une large coalition impliquant des pays arabes pour « anéantir » les terroristes présents sur les territoires irakien et syrien.

Pourquoi Barack Obama, qui avait promis d’être le président du désengagement en Irak lors de la campagne électorale de 2008, mobilise-t-il de nouveau militairement les Etats-Unis sur ce terrain ? L’« action anti-terroriste » qu’il entend y mener sera-t-elle, comme il le prétend, « différente » de celle entreprise par son prédesseur – une guerre qu’il avait qualifiée d’ « idiote » ?

L’éclairage de Pierre Guerlain, Professeur de civilisation américaine à l’Université Paris Ouest Nanterre.

 

JOL Press : La décision de Barack Obama d’intervenir en Irak a-t-elle à voir avec la tenue des « mid-terms », dans moins de deux mois ?

 

Pierre Guerlain : Les vidéos des journalistes et humanitaires décapités par les islamistes de l’EI ont fortement remué l’opinion publique. Comme après le 11 Septembre, les Américains se disent « il faut faire quelque chose », c’est-à-dire : frapper. La pression de l’opinion publique est un facteur donc très important dans la décision de Barack Obama.

Il y a en effet une émotion très forte qui a retourné l’opinion américaine comme une crêpe : elle, qui était tout à fait contre une intervention en Syrie l’année dernière, veut désormais punir les terroristes ; elle se dit que quelques bombardements aériens ou des drones suffiront.

Pourtant, on peut supposer que cette intervention purement militaire n’atteindra pas ses objectifs. Pour être efficace, il faudrait assécher le flot d’armes et d’argent qui abonde vers l’Etat islamique : ce qui signifierait mettre la pression sur le Qatar et l’Arabie Saoudite – aujourd’hui alliés des Etats-Unis, pourtant ceux qui ont armé et financé l’EI et qui continuent à jouer un jeu trouble – et obliger le gouvernement irakien à ne plus mener une guerre religieuse ou communautaire.

Bref, tout un tas de facteurs politiques qui seraient bien plus efficaces que l’option militaire. Mais étant donné le choc provoqué par les images des décapitations d’Occidentaux, c’est cette dernière qui a aujourd’hui la préférence de la population. Le Président américain réagit à une émotion. 

Jusqu’à maintenant, Obama avait pourtant résisté. Il a refusé d’intervenir en Syrie, il a dit qu’il n’interviendrait pas militairement en Ukraine, il était donc plutôt prudent et résistait bien aux républicains qui, évidemment, agitent l’opinion – qui n’était pas avec eux avant la diffusion des images des exécutions.

On se retrouve dans un cas de figure d’une ironie effroyable : il se trouve des textes de Ben Laden disant qu’il faut susciter de la part des Etats-Unis des réponses massives afin de déclencher en réaction une levée de boucliers dans tout le monde arabo-musulman. Or Washington est justement en train de remplir ce programme ! Il s’agit d’une intervention qui va avoir des effets probablement catastrophiques – on peut d’ailleurs craindre, dans un futur proche, des attentats terroristes en Europe.

JOL Press : Les Américains sont donc tombés dans le piège tendu par les islamistes ?

 

Pierre Guerlain : A quoi servent ces exécutions filmées, absolument effroyables, sinon à choquer l’opinion internationale, à provoquer une réaction émotionnelle parmi la population, et donc une surréaction occidentale qui permet d’attirer des gens à eux ? Les islamistes cherchent à pousser l’Occident à surréagir pour servir leurs desseins.

Barack Obama essaie de ne pas envoyer de soldats au sol, mais.. il en a déjà envoyé 2000 pour défendre l’ambassade. Il y a un grand danger pour les Etats-Unis d’être emportés comme en 2003 ; la situation est une planche savonneuse. 

JOL Press : Barack Obama devient le quatrième président américain à ordonner une campagne aérienne sur l’Irak. Ce faisant, ne court-il pas le risque d’écorner son image de « war-ender » ?

 

Pierre Guerlain : Il est clair qu’il est en train de perdre la crédibilité qu’il regagnait à la gauche du parti démocrate – sans en gagner auprès de la droite.

Le président américain prend à nouveau le risque d’une guerre sans fin. On entend désormais à la Maison Blanche le discours de Bush, à peine modifié. Lequel va être très dangereux, non seulement sur le terrain, mais pour les pays occidentaux qui risquent d’être soumis à des attaques terroristes.

Barack Obama était arrivé au pouvoir en disant que la guerre en Irak était « idiote ». Il y a mis progressivement fin, mais… sans mettre la pression sur Maliki [Premier ministre irakien, ndlr], dictateur communautariste qui est l’un des facteurs de la création de l’EI. Il a donc mis fin à la guerre en Irak sans pour autant créer les conditions pour une stabilisation de la situation.

Aujourd’hui, Obama est à nouveau pris dans le jeu politique américain qui risque de le conduire à relancer un cycle de guerres sans fin contre le terrorisme. En un mot : tomber dans le programme Bush que l’actuel Président s’était evertué à dénoncer et contrecarrer au début.

JOL Press : Pourquoi Barack Obama a-t-il soumis sa décision d’intervenir en Irak à l’approbation du Congrès alors que, légalement, il n’était pas tenu de le faire ?

 

Pierre Guerlain : Si les choses se passent mal, tout le monde sera ainsi mouillé. Comme en Afghanistan en 2001, où il y avait eu préalablement un vote massif au Congrès. Cela donne au président une légitimité supplémentaire.

Obama se laisse entraîner par l’émotion et la surréaction. Cela risque d’avoir des effets catastrophiques, pour la lutte anti-terroriste même ! On tire dans le tas, mais les problèmes centraux – l’exclusion des sunnites en Irak et le jeu trouble des Qataris et les Saoudiens – ne sont pas réglés ; c’est là qu’il y avait en réalité une possibilité d’intervention. Mais, en notre époque rythmée par des médias fonctionnant 24h/24h, l’option politico-diplomatico-économique paraît moins spectaculaire ! 

La réaction d’Obama aujourd’hui est celle de Bush en 2001 : frapper très fort, tout de suite ; c’est la logique de la vengeance. Logique, qui, en géopolitique, n’est pourtant pas très productive.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Pierre Guerlain est Professeur de civilisation américaine à l’Université Paris Ouest Nanterre.

 

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