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Comment les États-Unis justifient-ils leurs frappes aériennes en Syrie?

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(Crédit photo : Shutterstock.com)

JOL Press : Les États-Unis ont commencé à mener des frappes aériennes en Syrie. Dans quel cadre légal ont-elles lieu ?

Fabrice Balanche : Les États-Unis justifient les frappes en Syrie en s’appuyant sur la résolution 2170 de l’ONU, votée à l’unanimité fin août. Elle concerne la lutte contre le terrorisme en Syrie et en Irak, et appelle au désarmement et à la dissolution de l’EI et d’autres groupes comme le Front al-Nosra [branche syrienne d’Al-Qaïda, ndlr]. Au niveau national, les États-Unis ont évoqué la menace sécuritaire représentée par les djihadistes vis-à-vis des intérêts américains pour justifier, devant le Congrès, la mise en œuvre de ces frappes.

JOL Press : Le gouvernement syrien a-t-il donné son accord pour ces frappes ?

Fabrice Balanche : Les Américains ont dû finir par l’obtenir. Le gouvernement syrien, par la bouche de son ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem, avait dit lorsque la résolution de l’ONU a été votée, que tout bombardement étranger sur la Syrie serait considéré comme une agression. Mais les États-Unis ont dû avertir la Syrie.

Les Syriens se sont pliés, soit de leur propre volonté, soit de la volonté de leurs bailleurs de fonds étrangers (Russie et Iran), parce qu’évidemment, c’est un moyen supplémentaire, ne serait-ce que pour les Iraniens, de renouer avec les États-Unis. Le régime syrien, qui n’a pas vraiment les moyens de s’opposer à ces frappes, préfère faire « contre mauvaise fortune bon cœur ».

Ce serait une preuve de faiblesse que de refuser que les Américains frappent les positions de l’EI. Ils acceptent donc cela en montrant que les États-Unis « renouent » d’une certaine manière avec eux, et que c’est le chemin vers un retour en grâce du régime d’Assad auprès des États-Unis.

JOL Press : Le président de la coalition de l’opposition syrienne, Hadi Al-Bahra, avait appelé en début de semaine la communauté internationale à mener ces frappes. Sur le terrain, qui coordonne les frappes aériennes américaines ?
 

Fabrice Balanche : Les Américains ne sont pas présents sur le sol syrien. Mais les frappes ne peuvent en effet être efficaces que si elles sont menées avec une offensive terrestre sur place. Le problème, c’est que la coalition nationale de l’opposition syrienne n’a absolument aucun lien avec les rebelles syriens, même avec les soi-disant rebelles modérés. Sur place, les Américains n’ont donc pas tellement le choix : ils doivent coordonner leurs frappes avec les Kurdes du PKK [organisation considérée comme terroriste par les États-Unis, ndlr] soit avec l’armée syrienne, ce qui semble compliqué pour le moment…

De toute façon, les frappes menées pour l’instant par les Américains à Raqqa et dans la région d’Alep restent assez symboliques. Cela a néanmoins permis de desserrer l’étau sur la ville kurde de Kobané (Aïn al-Arab), mais n’a pas donné lieu à une avancée majeure des rebelles syriens soutenus par les États-Unis, qui peuvent difficilement s’appuyer sur des forces modérées en Syrie comme ils peuvent s’appuyer sur les peshmergas en Irak.

JOL Press : Les États-Unis sont néanmoins soutenus par plusieurs pays arabes dans cette opération en Syrie…
 

Fabrice Balanche : Oui, mais cela reste encore une fois symbolique. Les pays arabes ne sont qu’une caution pour éviter que cela n’apparaisse, comme d’habitude, comme une « croisade » anti-EI ou anti-musulmans. De toute façon, les armées du Qatar ou de l’Arabie saoudite sont des armées de mercenaires, de Pakistanais ou de Marocains, qui sont surtout là pour protéger les frontières, et n’iront pas intervenir en Syrie ou en Irak. Ils peuvent envoyer quelques avions, comme ils l’avaient fait en Libye, mais ce ne sont pas eux qui vont l’emporter.

En revanche, ce que les États-Unis demandent à ces pays arabes, c’est de soutenir financièrement l’intervention et les frappes. Cette coalition sert aussi à Barack Obama à obliger ces pays à arrêter de jouer un double jeu, à se positionner clairement dans ce conflit.

JOL Press : Le président russe a appelé mardi Ban Ki-Moon, rappelant que les frappes ne devaient pas être menées sans l’accord explicite de Damas. Que cherche la Russie exactement dans cette lutte contre l’EI ?
 

Fabrice Balanche : La Russie, dès le départ de la crise syrienne, a dit qu’il fallait faire attention au terrorisme, que l’objectif était de combattre le terrorisme et non de faire tomber Assad. Donc quelque part, ce que font les États-Unis va dans ce sens. Seulement, ils ont dit qu’il ne pouvait pas y avoir d’intervention en Syrie sans l’accord du gouvernement syrien.

Ce que cherchent les Russes, c’est à pousser les Occidentaux à ne pas aller trop loin dans leur intervention, à frapper l’EI mais sans frapper l’armée d’Assad et sans permettre aux rebelles islamistes de s’emparer des territoires libérés par l’EI.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Fabrice Balanche est maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO). Agrégé et docteur en géographie, il a fait de nombreux séjours au Moyen-Orient depuis 1990. Spécialiste de la Syrie, il a publié en 2006 La région alaouite et le pouvoir syrien puis Atlas du Proche-Orient arabe en 2011.

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