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Comment l’État Islamique vend-il son pétrole?

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(Photo : huyangshu/Shutterstock.com)

A-t-on une idée précise des ressources pétrolières dont dispose l’État Islamique ?
 

Philippe Sébille-Lopez : Contrairement à ce que l’on entend, il est difficile de se prononcer précisément sur ce sujet. Les estimations du commandement stratégique américain évaluaient ce chiffre entre 300 et 500 barils par jour s’agissant des 12 « raffineries » bombardées le premier jour des frappes sur ces objectifs. D’autres experts estiment ce chiffre en totalité à 150 000 barils par jour. Ces deux données sont, selon moi, peu représentatives de la réalité.

On peut estimer cette production entre 20 000 et 30 000 barils/jour, voire jusqu’à 50 000 mais sans doute pas au-delà. Toutefois, nous n’avons pas d’informations précises et fiables sur ce sujet. Les djihadistes de l’Etat islamique se sont installés sur des zones pétrolières mais souvent, certains puits sont épuisés ou ont été désaffectés car leur rendement n’était pas suffisant pour justifier le maintien des compagnies qui les exploitaient. Ils contrôlent par contre de petits gisements.
 
Il faut savoir qu’en Syrie, selon les chiffres officiels de BP, la Syrie était censée produire, en 2013, 56 000 barils par jour. Avant le confit, en 2010, la Syrie produisait un peu moins de 400 000 barils par jour. Ce chiffre baisse régulièrement depuis une dizaine d’années. 
 
Concernant l’Irak, les principales ressources pétrolières du pays se situent au sud du pays et ne sont donc pas sous le contrôle de Daesh. Au nord de l’Irak, les principaux gisements pétroliers sont dans la région de Kirkouk et au Kurdistan irakien, deux zones qui échappent au contrôle de Daesh, même si les djihadistes opèrent sur des fronts non loin de ces zones.
Quelle manne financière les islamistes récoltent-ils de la vente de leur pétrole ?
 

Philippe Sébille-Lopez : Il est difficile là encore, et pour les raisons déjà mentionnées, de faire des estimations exactes faute de connaitre avec précision les quantités revendus, aussi bien en pétrole brut qu’en diesel. Il y a en outre un important rabais consenti sur le carburant de contrebande. Les islamistes peuvent revendre leur baril entre 30 et 40 dollars alors que le cours actuel pour le Brent est autour de 96 dollars/baril.

Financièrement, on peut considérer que ce trafic rapporterait des revenus se situant dans une fourchette de 1 à 2 millions de dollars par jour.
Comment les islamistes vendent-ils leur pétrole ?
 

Philippe Sébille-Lopez : Cette région est historiquement bien connue pour le trafic de pétrole brut. Le nord-ouest de l’Iran, le sud de la Turquie, le nord de l’Irak et aujourd’hui la Syrie sont des régions où le pétrole circule facilement par camions citernes dans les montagnes.

En Syrie, ce trafic était plus marginal qu’en Irak mais il s’est désormais fortement développé notamment vers la frontière turque. Il se trouve cependant qu’à cet endroit, les autorités d’Ankara ont fini par réagir et renforcer les contrôles dans les stations-services turques sur la qualité du diesel et tenter ainsi de mettre un frein aux mélanges qui étaient faits avec le diesel de contrebande venant de Syrie.
Qui achète le pétrole de l’État Islamique ?
 

Philippe Sébille-Lopez : Durant les premières années de la guerre civile syrienne, l’Iran et la Russie, alliés du président Assad, achetaient le pétrole au régime de Damas qui contrôlaient encore alors les zones de production. 

Aujourd’hui, et comme partout, ce sont des réseaux de trafiquants de toute nature qui, de part et d’autre des frontières, peuvent réaliser d’importantes plus-values dès lors que le brut et les produits raffinés, même de mauvaise qualité s’agissant du diesel, leurs sont vendus à prix cassés.
Les frappes occidentales vont-elles durablement nuire à l’Etat Islamique ?
 

Philippe Sébille-Lopez : Pour les Etats-Unis, le bombardement des raffineries artisanales de Daesh en Syrie est un moyen stratégique de tenter de réduire la mobilité des djihadistes et leur progression, même si ces frappes contribuent bien sûr aussi à réduire les ressources financières de l’Etat Islamique. 

Mais bien que la manne pétrolière contribue au financement de Daesh, les islamistes ont aussi d’autres sources de financement. Au départ, ce sont d’abord des soutiens financiers en provenance de plusieurs pays arabes, qui lui ont permis de s’armer, de se structurer et de recruter. Depuis et du fait de sa progression, l’Etat Islamique n’est pas à cours de nouvelles ressources. Pillages, demandes de rançons, impôts collectés sur les populations dans les zones qu’ils contrôlent, sans parler des armes lourdes prises à l’armée irakienne lors de sa débâcle cet été ou encore les 500 millions de dollars récupérés par Daesh lors de la prise de la Banque centrale irakienne de Mossoul également cet été. Daesh pratique également d’autres formes de trafics tels que le trafic d’œuvres d’art. 
 
Les frappes aériennes de la coalition pourraient donc se poursuivre plusieurs semaines voire durant quelques mois, pour tenter de réduire les capacités logistiques, financières et militaires de Daesh, en attendant la suite des opérations, mais cette fois au sol, sur le terrain, avec tous les problèmes que cette suite des opérations va soulever. 

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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