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Journaliste vendu à l’État islamique: le trafic d’otages est-il monnaie courante?

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Fin août et début septembre, l’organisation de l’État islamique a décapité deux journalistes américains. L’un aurait été vendu par des rebelles modérés syriens. (Crédit photo: alexskopje / Shutterstock.com)

Le journaliste américain Steven Sotloff, enlevé à Alep en 2013 et assassiné par décapitation le 2 septembre après son confrère James Foley, aurait été vendu à l’organisation de l’État islamique par des rebelles modérés syriens.

« Checkpoint volant »

C’est ce qu’a affirmé le porte-parole et ami de la famille du journaliste, Barak Barfi, sur la chaîne américaine CNN, lundi 8 septembre. L’homme a donné plusieurs détails sur les conditions de l’enlèvement de Steven Sotloff, capturé par l’État islamique à la frontière turco-syrienne, où les djihadistes, renseignés sur son heure d’arrivée, avaient installé un « checkpoint volant » pour le kidnapper.

« Quelqu’un, au passage de la frontière, a téléphoné à l’EI, et ils ont installé un faux checkpoint avec plusieurs personnes. […] Steve et les gens qui l’accompagnaient ne pouvaient pas s’échapper », explique M. Barfi, qui indique que l’informateur était « un des rebelles modérés [de l’opposition à Bachar al-Assad] que les gens veulent que l’administration [américaine] soutienne ». Selon lami du journaliste, le montant de la transaction oscillerait « entre 25 000 et 50 000 dollars ».

L’appât du gain

« La vente d’otages est courante, et ne concerne pas seulement la Syrie et l’Irak », indique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes interrogé par JOL Press. « Cela peut arriver partout dans le monde, au Sahel par exemple. Un occidental, qu’il soit journaliste ou non, peut-être kidnappé par n’importe quel individu ou petit groupe qui cherchera ensuite à le vendre à un groupe plus important, qui a déjà un nom et une certaine « aura », et qui pourra ainsi faire une revendication » ajoute-t-il.

Lorsque le soldat israélien Gilad Shalit a été capturé par un commando palestinien à Gaza en juin 2006 par exemple, ce n’est pas directement le Hamas qui l’a kidnappé mais plusieurs petits groupes. « Mais c’est le Hamas qui a négocié sa libération avec Israël, parce qu’il a les relais, le nom, « l’aura » », explique M. Nasr.

Parfois, un otage passe d’un groupe à un autre parce que le groupe qui l’a kidnappé n’a plus les moyens d’assurer sa sécurité. « Il le vend donc à un groupe qui a plus de moyens. Il y a un vrai business qui existe derrière ces prises d’otages », indique le journaliste. « Cela peut ainsi commencer d’une manière « crapuleuse » avant de prendre une tournure politique. C’est fait par des gens qui cherchent l’appât du gain avant tout ».

« C’est la nationalité qui compte, pas la profession »

Dans le cas de l’enlèvement du journaliste américain James Foley, décapité par l’État islamique le 19 août, l’opération visait d’abord à obtenir une rançon de l’État américain avant de devenir un coup médiatique. James Foley a été kidnappé par le Front al-Nosra – aujourd’hui la branche syrienne d’Al-Qaïda – à une époque où l’organisation islamiste était encore une branche de l’EI. Quand il y a eu scission entre Al-Qaïda et l’État islamique, et que le Front al-Nosra s’est finalement rallié à Al-Qaïda, le journaliste s’est retrouvé à Raqqa en Syrie, entre les mains de l’État islamique.

« Les djihadistes de l’État islamique ont ensuite demandé une énorme rançon aux États-Unis ainsi que la libération d’un prisonnier, mais les négociations n’ont pas pu être menées. Les États-Unis ne voulaient pas négocier », rappelle David Thomson, journaliste auteur de plusieurs ouvrages sur le djihad, interrogé par JOL Press. « Après ces refus, les Américains ont lancé des frappes aériennes contre les positions de l’EI en Irak, et les djihadistes ont ainsi saisi l’occasion pour faire un coup médiatique, en décapitant James Foley ».

Les otages ne sont pas forcément kidnappés parce qu’ils sont journalistes. « Mais ce sont quasiment les seuls Occidentaux, avec les travailleurs humanitaires, qui se rendent dans ces territoires », explique Wassim Nasr. « De fait, ce sont forcément les premiers visés. Mais c’est la nationalité qui compte, pas la profession ». Dans les vidéos de leurs meurtres, James Foley et Steven Sotloff n’ont d’ailleurs pas été présentés comme journalistes : ils ont été tués parce qu’ils étaient américains.

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