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Les mesures de Washington contre la propagande de l’État islamique

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 Washington tente de mettre fin à la propagande diffusée par l’Etat islamique sur Internet pour enrôler de nouvelles recrues dans ses rangs –  Photo DR Shutterstock

JOL Press: Quels sont les moyens d’action de Washington pour contrer la propagande menée par l’Etat Islamique sur Internet ?
 

Mathieu Guidère : Aujourd’hui, les centres névralgiques du contrôle d’Internet se trouvent principalement aux Etats-Unis : il leur est donc possible de surveiller à peu près tout ce qui se passe sur la toile mondiale. Washington a différents moyens d’action : le contrôle de l’accès, c’est-à-dire le contrôle des connexions dans certaines régions ou certains pays, ainsi que la surveillance de tout ce qui circule et tout ce qui s’échange sur le réseau mondial à travers leur système de surveillance globale.

La stratégie de contre-propagande des Etats-Unis se compose en deux volets : une opération basée sur les faits et une guerre psychologique. L’opération basée sur les faits vise à attirer l’attention ainsi qu’à capter un public qui auparavant était accaparé par l’ennemi. L’objectif est de parvenir à intéresser les djihadistes – qui n’ont aucun intérêt à regarder ce que diffusent les Américains –  et les intéresser à la contre-propagande qu’ils diffusent. La guerre psychologique doit permettre de montrer l’ennemi sous un jour différent de celui dont il se présente :  l’Etat islamique se présente par exemple comme une organisation non-terroriste et charitable qui appelle les musulmans à venir à elle, et qui ne cherche pas l’affrontement avec l’Occident.

L’Etat islamique s’est construit une image auprès de la mouvance djihadiste tout à fait contraire de l’image que l’on avait d’Al-Qaïda jusque-là, en allant jusqu’à l’affrontement des djihadistes d’Al-Qaïda. Toute la propagande américaine aujourd’hui vise à confondre ces deux djihadistes et à diffuser une image de l’Etat islamique qui soit conforme à celle que nous avons d’Al-Qaïda.

JOL Press : Quels sont les risques de la stratégie de contre-propagande des Etats-Unis  ?
 

Mathieu Guidère : Il y a deux risques. Tout d’abord, que la confusion souhaitée entre Al-Qaïda et l’Etat islamique ne se fasse pas. Les personnes intéressées connaissent les différences entre les deux organisations. Le deuxième risque concerne le public qui n’était pas censé être touché par la propagande de l’Etat islamique, dont la curiosité serait attisée par ce type de propagande, et qui chercherait donc à en savoir davantage sur l’Etat islamique : cela serait dans ce cas contre-productif. Les Etats-Unis sont pris aujourd’hui entre deux feux : celui de contrer la propagande et celui de nourrir la propagande sans le vouloir.

JOL Press : Quelle est la stratégie de communication de l’Etat islamique pour enrôler de potentiels combattants ?
 

Mathieu Guidère : L’Etat islamique a procédé jusqu’ici à une construction très minutieuse de son image en tant qu’organisation. D’abord en se différenciant d’Al-Qaïda – le premier axe majeur de sa communication et de sa propagande -, en montrant qu’il était différent d’Al-Qaïda, qu’il ne s’inscrivait pas dans le djihad global, qu’il ne visait pas à faire des attentats en Occident, mais qu’il voulait construire un Etat islamique et restaurer le califat musulman, disparu en 1924.

L’Etat islamique s’est lancé dans des luttes armées contre les militants d’Al-Qaïda réunis au sein du Front al-Nosra. D’un autre côté, l’organisation a construit son image en tant que « proto-État » qui offre tous les services que propose un Etat, en convainquant les djihadistes non pas de commettre des attentats en Occident, mais de venir en Irak, en leur permettant de vivre sous les lois de la charia, dans le cadre d’un Etat islamique.

JOL Press : La violence motive-t-elle les combattants davantage que le projet politique et idéologique de l’organisation terroriste ?
 

Mathieu Guidère : La violence montre la détermination de l’organisation. Elle n’a pas une visée de recrutement, mais plutôt de terroriser l’ennemi, en particulier les combattants d’Al-Qaïda ainsi que les Occidentaux pour qu’ils ne mettent pas les pieds en Irak, ni en Syrie. Les recrues sont davantage intéressées par le projet politique et idéologique proposé par l’Etat islamique. Contrairement à Al-Qaïda – qui a projet de « lutter pour lutter » – l’Etat islamique a présenté un objectif et mis en perspective son combat de façon attrayante.

JOL Press : Quel est le profil des combattants qui partent gonfler les rangs de l’organisation de l’Etat islamique ?
 

Mathieu Guidère : Les personnes qui veulent rejoindre l’Etat islamique le font pour des motifs religieux : ils se sentent discriminés en Occident, et ne peuvent pas vivre leur religion comme ils l’entendent. Ils sont attirés par la construction de ce nouvel Etat qui applique la charia et dont la propagande montre des musulmans qui peuvent faire ce qu’ils veulent sur place.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Mathieu Guidère est islamologue spécialiste de géopolitique et des groupes terroristes.

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