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Pourquoi la Turquie refuse-t-elle encore d’agir contre l’Etat Islamique?

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(Photo : Bertl123/Shutterstock.com)

Malgré la libération récente de ses otages, la Turquie reste frileuse à s’engager au côté de la coalition internationale pour agir en Irak contre l’Etat Islamique (EI). Pourquoi cette réticence ?
 

Antoine Sfeir : Tout d’abord, gouvernement turc est en pleine mutation : l’ancien Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est désormais président et un nouveau gouvernement a été nommé. De plus en plus de voix en Turquie se sont élevées contre la politique menée vis-à-vis de la Syrie, par Erdogan lorsqu’il était Premier ministre, notamment le groupe qu’on appelle les Alevis qui représentent 22% de la population et qui sont des cousins germains des alaouites au pouvoir en Syrie.

Du temps d’Erdogan, la Turquie avait largement soutenu les opposants et les rebelles et s’était même posée en modèle d’un « islamisme modéré ». Force est de constater aujourd’hui que l’opposition dite démocratique, laïque, n’a pas de prise sur le terrain. Les Syriens l’appellent « l’opposition 5 étoiles », en référence à l’habitude qu’ont ses dirigeants de se réunir dans de nombreux palais de la planète.

D’autre part, beaucoup de voix turques s’élèvent contre l’ouverture des postes frontières, notamment celui de Bab el hawa. Sur cette frontière, les Kurdes ont repris une certaine autonomie disposant d’une force militaire ce qui ne manque pas d’inquiéter les milieux diplomatiques et gouvernementaux turcs.

Voilà pourquoi la Turquie n’a pas aujourd’hui envie de se mêler des actions menées par la Coalition internationale. Il ne faut pas oublier que la Turquie a soutenu les combattants de Dahesh et  de Jabhat al-Nosra au début de la révolution syrienne. Aujourd’hui, c’est le double-jeu turc qui apparaît au grand jour.

Doit-on considérer cette non-intervention comme un soutien implicite à l’Etat Islamique ?
 

Antoine Sfeir : On ne peut pas aller jusque-là. En revanche, il est certain qu’il y a une certaine sympathie à l’égard du califat islamique. Mais sur ce point également, il y a une rivalité avec l’Etat Islamique car les Turcs considèrent que seuls les Ottomans peuvent ressuciter le califat après 400 ans de domination dans toute cette région. Il n’est pas question pour eux de laisser des Irakiens ou des Syriens prendre le pouvoir et remplacer les descendants de l’empire ottoman.

L’aide des Turcs est-elle indispensable au fonctionnement de la coalition internationale ?
 

Antoine Sfeir : Pas forcément. Il est certain que si la Turquie permettait le survol de son territoire et autorisait la Coalition à s’établir sur une base installerait sur leur territoire, cela faciliterait beaucoup les choses pour les coalisés.

La coalition internationale n’en a cependant pas vraiment le besoin car leurs avions peuvent décoller depuis la mer ou depuis la Centrafrique pour les Français.

Les Turcs ne sont pas indispensables, mais leur aide pourrait faciliter les actions.

La communauté internationale agira-t-elle, selon vous, pour enjoindre la Turquie à s’engager ?
 

Antoine Sfeir : Je pense que les Turcs ne cèderont pas. Ils ne rejoindront pas la coalition même si certains nouveaux ministres du gouvernement turc craignent que la communauté internationale ne se retourne contre les Turcs. Pour eux, la facture pourrait être lourde.

Les ambitions régionales de la Turquie vont-elles souffrir de cette prise de position ?
 

Antoine Sfeir : C’est déjà fait puisque la Turquie a désormais perdu tous les pions qu’elle avait installé en Irak, notamment son bataillon qui se trouvait aux portes de la ville de Kirkouk et que les Kurdes irakiens ont repris. Plus loin, les relations avec l’Iran ne sont désormais plus que bancaires, financières et économiques.

Ailleurs encore, les Turcs se sont brouillés avec tout le Moyen Orient, y compris sur le plan économique et ils ont maintenant des problèmes en Asie centrale avec leurs alliés traditionnels, notamment l’Azerbaïdjan.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

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