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Ukraine: ce que Petro Porochenko espérait de sa visite chez Barack Obama

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JOL Press : Le président ukrainien a rencontré jeudi 18 septembre le président Barack Obama. Qu’était-il venu chercher à Washington ? Quel message a-t-il envoyé à la Russie ?
 

Philippe Migault : Petro Porochenko est venu chercher, à Washington, une sorte d’« onction » de la part de la première puissance mondiale, une reconnaissance sur la scène internationale en tant que chef d’État reçu par Barack Obama, et de l’aide pour son pays. D’un point de vue diplomatique, on peut considérer qu’il a atteint son objectif puisqu’il a été reçu comme chef d’État légitime par le président américain à la Maison Blanche. Mais, vis-à-vis de la Russie, le message qu’il a délivré est pour ainsi dire nul, voire négatif car Petro Porochenko n’a pas obtenu grand-chose pour son pays.

JOL Press : M. Porochenko a notamment demandé que l’Ukraine obtienne un « statut spécial » d’allié non membre de l’OTAN, mais les États-Unis n’ont pas accepté… Pourquoi ?
 

Philippe Migault : Cette demande de statut spécial était une façon de se rapprocher de l’OTAN, sans prétendre encore l’intégrer. Porochenko voulait, de cette manière, sensibiliser les Occidentaux, les amener à considérer que l’Ukraine doit être secourue par eux, même si elle n’est pas membre de l’Alliance. Mais le président ukrainien n’a pas obtenu ce statut spécial de la part de Barack Obama. On voit bien, là aussi, que le président américain est une fois encore ferme sur le ton et sur la forme, mais que dès qu’il s’agit de passer aux actes, il refuse de prendre les décisions que certains membres de son administration le pressent de prendre.

En refusant de lui accorder ce statut, il signifie à l’Ukraine qu’elle n’a pas vocation à rentrer dans l’OTAN, ni à recevoir plus d’aide de l’Organisation qu’elle n’en reçoit déjà. Barack Obama donne ainsi des assurances à la Russie, qui ne veut surtout pas que l’Ukraine rentre dans l’OTAN, et c’est aussi une manière de rassurer, au sein de l’OTAN, ceux qui sont opposés à tout rapprochement avec l’Ukraine à savoir, notamment, les Français et les Allemands.

JOL Press : Les USA vont débloquer 46 millions de dollars d’aide pour l’équipement et la formation de l’armée ukrainienne. Est-ce suffisant ? Quel est l’état de l’armée ukrainienne aujourd’hui ?
 

Philippe Migault : 46 millions de dollars représentent, grosso modo, le tiers d’un Rafale ou le prix de quatre véhicules blindés de transport de troupes modernes. C’est-à-dire que cette aide militaire ne représente, somme toute, pas grand-chose. On ne peut pas acheter beaucoup de matériel avec 46 millions de dollars, ou alors de l’armement léger.

Barack Obama a, par ailleurs, refusé de livrer des armes à l’Ukraine. Concrètement, Petro Porochenko a obtenu un geste tout à fait symbolique, mais il n’a reçu aucune aide concrète d’un point de vue militaire de la part des Américains. L’armée ukrainienne, qui est dans un état de déliquescence avancé, et qui a subi une très sévère défaite militaire face aux séparatistes, ne va pas pouvoir se ressaisir avec 46 millions de dollars et des bonnes paroles. C’est une illusion de croire cela.

JOL Press : Certains sénateurs américains préconisaient début septembre de fournir des armes à l’Ukraine, ce qu’a exclu le président américain. Pensez-vous que fournir des armes à l’armée ukrainienne changerait la donne sur le terrain ?
 

Philippe Migault : Il ne suffit pas de fournir des armes. Car lorsqu’on fournit des armes, il faut aussi fournir un enseignement. Les militaires ukrainiens ont été formés sur un type d’armement de fabrication soviétique. Lorsque vous recevez des nouvelles armes, qui ne sont pas de conception soviétique mais américaine ou européenne, il faut que vous vous formiez sur ces armes, que vous vous entraîniez avec. Mais le temps que la livraison se fasse et que les gens sachent utiliser le matériel ne se compte pas en semaines ni en mois, mais en années.

Cela ne changerait donc pas radicalement la donne, d’autant plus qu’il faudrait que les militaires soient motivés. Or on se rend bien compte que l’armée ukrainienne est complètement démotivée sur le terrain, et que l’opinion publique ukrainienne est coupée en deux, une bonne partie s’opposant à la poursuite de cette guerre.

JOL Press : Barack Obama a salué la loi d’« autonomie » de l’est de l’Ukraine votée par le Parlement ukrainien cette semaine. Pourtant, cette loi a été assez mal accueillie par la population ukrainienne…
 

Philippe Migault : Barack Obama, en félicitant les Ukrainiens de ce nouveau statut d’autonomie pour l’est du pays, envoie le message suivant : c’est un pas vers une fédéralisation de l’Ukraine, avec une autonomie plus large de l’est. C’est donc aussi un pas vers les séparatistes et vers ce que la Russie voulait. En résumé Barack Obama a donc refusé un soutien fort à Petro Porochenko tout en le félicitant de faire la politique que désire la Russie. La visite de Porochencko met en fait en lumière l’échec de sa politique d’opération antiterroriste et de fermeté, et la volonté des États-Unis de ne pas aller au « clash » avec la Russie pour l’Ukraine.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Philippe Migault est directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions de défense, de sécurité, des industries de l’armement et des technologies duales en Russie et dans l’Union Européenne.

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